Algérie : 286 milliards de dollars à distribuer

Algérie : 286 milliards de dollars à distribuer

Le chèque que compte dépenser le gouvernement algérien sur les 5 prochaines années est astronomique. Il provoque des réactions en chaîne. Tout le monde veut en être.

14 tramways, 6500 km de voies ferrées, 850 lycées, 175 hôpitaux, 35 barrages, 48 stades, 200 piscines publiques, 1200 km d’autoroute, 600 000 places pédagogiques universitaires… la publication, fin mai, du plan quinquennal algérien 2010-2014 a donné le tournis aux opérateurs économiques nationaux et étrangers.



« Sans aller jusqu’à prendre à la lettre un tel programme, c’est une annonce prometteuse qui vient faire un peu de bien au climat des affaires de ces derniers mois » commente le responsable à Alger d’un grand groupe industriel européen. La publication du plan quinquennal a déclenché des réactions en série, les entreprises algériennes redoutant d’être tenues à l’écart de la manne de 286 milliards de dollars que compte dépenser Alger durant la période.

« L’Algérie a acheté 7 centrales électriques de plus de 3500 mégawatts au total, sans lancer une industrie locale des composants. C’est cela qui doit cesser ».

Certes, Le Forum des chefs d’entreprise a été prompt à saluer le plan quinquennal pour son soutien « à la promotion des PME », « à l’économie de la connaissance », « au taux bonifié des crédits bancaires dans les secteurs prioritaires (pétrochimie, génération d’électricité) », et pour bien sûr « l’élargissement de la marge préférentielle accordée aux entreprises algériennes sur les contrats publics », celle-ci était de 15% jusque là. Mais, passés les premiers élans d’enthousiasmes, les appréhensions sont remontées très vite.

Plusieurs grands patrons ont profité, la semaine dernière, de la tribune d’un symposium sur l’entreprise, organisé par le MDI Business School, pour dénoncer les entraves mises devant les soumissionnaires algériens dans les grands marchés du programme de l’Etat. Ce à quoi, a rétorqué le premier ministre Ahmed Ouyahia pour assurer que le plan quinquennal 2010-2014 n’est « pas un plan pour les importations ».

Les entreprises étrangères incontournables

Un pronostic peu partagé. « La réalité du plan fera encore une fois la part belle aux étrangers dans de nombreux secteurs » affirme Mohamed Beradja, consultant, « comment réaliser 14 tramways sans appeler une fois encore Alstom, Siemens ou Bombardier.

Il y aura bien des Algériens pour une partie des gros œuvres, comme l’a fait Cosider dans le métro d’Alger, mais dans beaucoup trop de contrats, le cœur du métier nous échappe ; et avec lui s’échapperons vers l’étranger des devises en milliards de dollars ». Le coup de pouce que veut clairement donner le nouveau plan quinquennal aux entreprises algériennes, en leur permettant de soumissionner au-delà de 15% plus cher que les entreprises étrangères, ne suffit pas de l’avis d’un des participants au symposium : « Notre handicap n’est pas au niveau de l’offre financière.

Les entreprises algériennes franchissent rarement la short list de l’offre technique. C’est dans la rédaction même du cahier des charges que nous sommes éliminés. Les états-majors des ministères s’arrangent pour mettre des spécifications favorables aux étrangers ». Mohamed Beradja estime, de son côté, que l’opportunité à été ratée durant le plan quinquennal 2005-2009, pour contraindre les entreprises étrangères qui se sont emparées des plus grands marchés de participer au développement de leur propres sous-traitance en Algérie : « l’Algérie a acheté 7 centrales électriques de plus de 3500 mégawatts au total, sans lancer une industrie locale des composants.

C’est cela qui doit cesser ». Altsom, qui voyait arriver cette exigence, a annoncé en 2008 sa volonté de réaliser le montage de ses rames à Annaba (est de l’Algérie) en joint venture avec Ferrovial. Un investissement qui devrait aboutir avant fin 2010, selon les parties.

Le spectre de la corruption… bien sûr

L’autre grande inquiétude soulevée par l’annonce du plan quinquennal de 21 214 milliards de dinars (286 milliards de dollars) est bien sûr le gaspillage et la corruption. Le RCD, seul parti d’opposition siégeant au parlement a interpellé le gouvernement sur le bilan du plan précédent, émaillé par des scandales et des dépassements de budgets à profusion. La seule facture des rallonges est éloquente à ce propos. 120 milliards de dollars sont mobilisés pour parachever les projets engagés dans le plan 2005-2009, dont l’enveloppe était de… 150 milliards de dollars. Pour un expert international, « il faut bien voir qu’il existe deux problèmes ici. Le premier est la capacité d’absorption de l’économie algérienne de telles dépenses en un délai aussi court. Le maître d’ouvrage est l’Etat.

Il est par définition bureaucratique dans sa prise de décision, ses validations, son contrôle. Le second problème est celui des surcoûts. Ils sont liés à la corruption, mais encore plus à l’incompétence du maître d’ouvrage ». Exemple, les Chinois ont obtenu un avenant de 600 millions de dollars sur leurs deux lots de l’autoroute est-ouest… en changeant la chaussée prévue dans le cahier des charges par une autre plus robuste, mais aussi plus économique.

Grande interrogation pour tous, le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, dont le staff est en prison pour corruption présumée, a été reconduit dans ses fonctions, lors du récent remaniement ministériel. Son enveloppe pour le secteur est de 38 milliards de dollars pour les cinq prochaines années..

IHSANE EL KADI