Algérie 2013 : un système politique obsolète et déconnecté des réalités

Algérie 2013 : un système politique obsolète et déconnecté des réalités

L’objet de cette contribution reprend mon analyse parue dans un ouvrage collectif sous ma direction parue en 2005 à Casbah Edition intitulé « Les enjeux de l’Algérie : réformes et démocratie », suivi de plusieurs conférences aux universités de Constantine, Annaba, Alger (ENA), Tizi-Ouzou, Sidi Bel Abbès et Oran, toujours d’une brûlante actualité à une une année des élections présidentielles (1).

Ould Kablia, 80 ans, représente le système Bouteflika.

Vieillissement des élites politiques issues de la guerre de libération nationale, gestion volontariste, obsolescence du système politique et enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont révélé une réalité bien amère : l’absence dramatique d’une véritable stratégie nationale d’adaptation tant aux mutations internes qu’externes, une diplomatie non adaptée aux nouvelles réalités mondiales se croyant encore aux années 1970, le tout aboutissant à des incohérences au manque de visibilité dans la démarche. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes et l’intervention massive – parfois directe et par moment insidieuse – d’acteurs internes et externes a abouti finalement à une crise systémique d’une ampleur inattendue et à une transition chaotique qui se traîne en longueur depuis au moins 1986

1.- L’absence volontaire ou préméditée d’une élite organique agissante, capable d’élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs qui fondent et marquent le lien social, s’est faite sentir particulièrement face à la déferlante des idéologies peu crédibles et souvent impertinentes. La logique des alliances et la sémantique des discours politiques en vogue expriment actuellement cette sorte d’égarement intellectuel qui frappe de plein fouet l’action politique et particulièrement son rapport avec la société. Les Algériens veulent vivre leurs différences dans la communion et non dans la confrontation que leur imposent les idéologies réfractaires et à tous point de vue fragmentaires. La refondation de l‘Etat doit saisir les tendances réelles de la société algérienne en mutation. Le rôle de la recherche et la nécessité de nouvelles idées s’imposeront comme incontournable pour sortir du volontarisme populiste qui a empoisonné nos choix antérieurs. Le renforcement de l’Etat de droit avec la limitation des mandats présidentiels et une option claire ente soit le régime parlementaire ou présidentiel devient alors plus urgent quand on sait que la démocratisation des institutions et l’autonomisation vont encourager l’éclosion de nouvelles identités qu’on croyait mortes et qui exigent le pilotage d’un Etat et d’un pouvoir fort de sa légitimité et crédible de sa compétence. La refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. La fin de l’Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire, signifie surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politiques et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. C’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté nationale. Le passage de l’Etat de « soutien » à l’Etat de justice est de mon point de vue un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l’Etat.

La construction politique passe aujourd’hui nécessairement par la dialectique de l’alternance politique. L’Algérie ne peut revenir à elle même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. La compétence n’est nullement synonyme de postes dans la hiérarchie informelle, ni un positionnement dans la perception d’une rente, elle se suffit à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. Et la compétence n’est pas un diplôme uniquement mais une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir et la référence privilégiée des pouvoirs qui sans elles resteront alors prisonniers des schémas sans impact réel sur la dynamique sociale globale. Sans cela, les grandes fractures sont à venir. La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique (changement de gouvernement ou de ministres) Elle passe par une nouvelle gouvernance, une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la Nation de la faire, une moralité sans faille de ceux qui auront à diriger la cité avec cette corruption qui prend des tendances dangereuses pour l’avenir de l’Algérie étant facilité par une économie totalement rentière. La bonne gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l’organisation du pouvoir devant poser la problématique stratégique du futur rôle de l’Etat largement influencé par les effets de la mondialisation dans le développement économique et social notamment à travers une réelle décentralisation. Les exigences d’un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d’autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes. La cohésion de ces espaces et leur implication dans la gestion de leurs intérêts et de leurs territorialités respectives enclencherait alors une dynamique de compétitions positives et rendront la maîtrise des groupes loin de la centralité politique largement dépassée. Les récents évènements du Sud montrent l’inadéquation de l’organisation institutionnelle actuelle.

L’autonomie des pouvoirs locaux ne signifie pas autonomie de gouvernement mais un acte qui renforce la bonne gouvernance en renforçant le rôle de la société civile. Cellule de base par excellence, la commune algérienne a été régie par des textes qui ne sont plus d’actualité, autrement dit frappés de caducité. L’objectif central est de transformer la commune « providence » en « commune entreprise ». Cela suppose que toutes les composantes de la société et les acteurs de la vie économique, sociale et culturelle, soient impliquées, sans exclusive, dans le processus décisionnel qui engage la configuration de l’image de l’Algérie de demain qui devra progressivement s’éloigner du spectre de l’exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives qui hypothèquent la cohésion sociale. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures, est une manière pour l’Etat, de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale. L’image de la commune-manager doit reposer sur la nécessité de faire plus et mieux avec des ressources restreintes. Il n’y aurait donc plus de place pour le gaspillage et le droit à l’erreur, ce qui exclut obligatoirement le pilotage à vue, au profit des actions fiabilisées par des perspectives de long terme d’une part, et les arbitrages cohérents d’autre part, qu’implique la rigueur de l’acte de gestion. Ce qui nous amène à aborder les fondements politico-institutionnel démocratique, la refonte du système partisan, et de la société civile. Une enquête de l’ ONS publiée officiellement le 10 aout 2012 montre clairement que le tissu économique national est fortement dominé par les micros unités dont les personnes physiques à 95% alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, et que le secteur commercial et services concentrent 83% des activités de l’économie algérienne en 2010, soit 88% du total, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l’économie. Aussi, grâce à cette aisance financière artificielle, dépenser sans compter, importer au lieu de privilégier la production locale se fondant tant sur l’entreprise locale ou étrangère créatrice de richesses, telle est la situation de l’actuelle gouvernance. C’est le syndrome hollandais.

2.- Cela est la résultante d’un système partisan inefficient et une société civile impotente. Pour le système partisan, en raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappent la majorité d’entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles sont dans l’incapacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d’apporter une contribution efficace à l’œuvre de redressement national . Pour preuve les dernières élections législatives du 10 mai 2012 où les bulletins nuls ont représenté 7,87 % par rapport aux inscrits (une nette progression par rapport à 2007) ce qui nous donne 100 moins 43,14% soit un taux d’abstention de 56,86% plus 7,87% de bulletins nuls, donnant le nombre de personnes n’ayant pas fait un choix de 64,73% environ les deux tiers de la population algérienne. La question stratégique est la suivante : le parti FLN avec 6,11% de voix par rapport aux inscrits, 8,53% inclus le RND et moins de 1% pour le parti des travailleurs (PT), souvent appendice des deux précédents partis, peuvent-ils engager l’avenir du pays ? Ira-t-on vers un réel changement salutaire en réorganisant la société, du fait des bouleversements géostratégiques mondiaux annoncés entre 2015/2020, ou simplement du replâtrage différant les tensions sociales inévitables à terme grâce à la distribution passive de la rente. Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser le système partisan loin de toute tutelle administrative, pour qu’il puisse remplir la fonction qui est la sienne dans tout système politique démocratique. En effet, le discrédit qui a frappé les formations politiques nationales doit laisser la place à des formations crédibles non crées artificiellement supposant une appréciation objective du statut et du rôle qui doivent être les leurs dans une société qui ambitionne de rejoindre le rang des sociétés démocratiques.

Afin de mobiliser la société d’autant plus que pour les années à venir, les réformes différées pour une paix sociale fictive, transitoire, seront très douloureuses. Quant à la société civile force est de constater qu’elle est impotente. La confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend malaisée l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traverse et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion et rendent impératif une réflexion qui dépasse le simple cadre de cette contribution. En raison de la jeunesse très grande de la société civile, des conditions historiques qui ont présidé à sa naissance et des évènements tragiques qu’a connus notre pays et auxquels elle a été directement ou indirectement associée, la question qui touche à sa mobilisation doit être traitée avec une attention et une vigilance soutenues. Héritière, dans une certaine mesure, des anciennes organisations de masses du parti unique – puisqu’elle y puisera une partie substantielle de ses cadres et de ses militants – elle va littéralement exploser dans les tous premiers mois qui ont suivi l’avènement du multipartisme. Paradoxe : malgré un contexte sécuritaire particulièrement difficile et dissuasif, dans les années 1990, elle va connaître, à l’instar du système des partis, un développement intensif et débridé durant la décennie écoulée. Ainsi la verra-t-on rapidement se scinder en deux sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques, porteuses chacune d’un projet de société spécifique : une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, particulièrement active, formant un maillage dense et d’une efficacité redoutable ; une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. Sollicitée à maintes reprises, et à l’occasion d’échéances parfois cruciales, cette dernière manifestera souvent sa présence d’une manière formelle et ostentatoire, impuissante presque toujours à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. Aujourd’hui, l’état de désorganisation et de léthargie dans lequel se trouve la société civile nécessite une action vigoureuse de réorganisation et de redynamisation qui ne pourra être que salutaire pour elle. Mais cette politique n’a de chance de réussir que si le mouvement associatif est assaini et que si les associations qui le composent ne soient pas au service d’ambitions personnelles inavouables et parfois douteuses.

3.- En conclusion, les réformes politiques et économiques en Algérie en ce mois de mars 2013 sont toujours au stade des intentions non réalisées. Or, il n’est plus permis aujourd’hui de faire l’impasse sur le rôle que des acteurs résidents, mus puissamment par des intérêts organiquement liés à la distribution de la rente, ont pu à un moment où à un autre peser dans un sens franchement défavorable aux réformes politiques et économiques. De même qu’il n’est plus possible, d’occulter le rôle que d’autres acteurs, externes ceux-là, ont pu jouer dans un sens tout aussi défavorable, motivés qu’ils étaient eux aussi par la défense d’intérêts de groupes ou de personnes que la poursuite d’un commerce hautement lucratif rendait allergiques à toute velléité de changement et de réformes. Comme il n’est plus permis d’ignorer la nécessaire intégration maghrébine, et plus globalement de l’Afrique du Nord, pont entre l’Europe et l’Afrique, face aux nouvelles mutations mondiales. Aussi les réformes en profondeur du fonctionnement de la société algérienne et non des replâtrages organisationnels, impliquent d’analyser avec lucidité les relations dialectiques réformes et les segments de la production de la rente (Sonatrach) avec les scandales financiers qui la secoue et celui de sa redistribution (système financier) qui bouleversent des intérêts, les gagnants de demain n’étant pas forcément ceux d’aujourd’hui. Lorsque la valeur de la rente des hydrocarbures s’accroît paradoxalement les réformes sont freinées et l’on assiste à une redistribution passive de la rente pour une paix sociale éphémère avec l’extension de la corruption et une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière. Ce couple contradictoire rente/réformes explique fondamentalement l’instabilité juridique et le manque de cohérence et de visibilité dans la réforme globale. Il semble bien que le pouvoir actuel est tétanisé par les tensions sociales et politiques dans le monde arabe avec une diplomatie non adaptée aux nouveaux évènements, des évènements actuels en Syrie, des tensions au niveau du Sahel, des remous sociaux qui se généralisent qui ont un impact sur le devenir l’Algérie, la diplomatie algérienne vivant au temps des illusions des années 1970 ne s’étant pas adaptée aux nouvelles mutations géostratégiques. Pourtant l’Algérie qui traverse une phase cruciale de son histoire ayant d’importantes potentialités, a besoin qu’un regard critique et juste soit posé sur sa situation sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qu’il s’agit d’accomplir encore au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance : un développement harmonieux conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale, conditionné par de profondes réformes économiques et politiques, le statu quo actuel étant suicidaire pour le devenir de la nation.

Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur d’université