ALGÉRIE • Pétrole et chômage font bon ménage

ALGÉRIE • Pétrole et chômage font bon ménage

Ils sont jeunes, pleins d’énergie, novateurs et détiennent une conscience politique. Eux, ce sont une dizaine de jeunes de Ouargla qui se sont constitués en comité de chômeurs pour faire valoir leurs droits. Ils ont même pu sortir du cadre régional, jusqu’à créer un Comité national pour la défense des droits de chômeurs (CNDDC).

A Ouargla, dans le sud-est algérien, ils sont connus de toute la population. Et ils sont craints par les autorités locales. Ils sont les premiers à avoir dénoncé les agissements des services de sécurité, qui sont, selon le comité des chômeurs, de mèche avec la mafia du sud-est du pays.

Il faut rappeler que Ouargla est la capitale du pétrole algérien. A 80 km de la ville, se trouvent les gisements pétroliers de Hassi Messaoud. Il est utile de souligner que Hassi Messaoud veut dire « puits de Messaoud », du nom d’un homme qui a découvert le gisement à l’époque coloniale. Une fois l’indépendance acquise, la famille de Si Messaoud s’est retrouvée sans toit. A l’heure actuelle, ses descendants vivent dans une misère atroce.

A Ouargla, il est souvent dit que la ville est également la capitale des forces de l’ordre. Pour des raisons stratégiques, l’Etat algérien l’a dotée d’une armada capable d’intervenir rapidement pour protéger les puits de pétrole. Mais, ce qui est bien pour le pays n’est pas souvent positif pour les habitants. Des éléments des forces de sécurité outrepassent leurs prérogatives, imposent leur diktat, et cela en piétinant les lois de la république.

Dénoncer les dérives des forces de l’ordre

Aibek Agh Sahli, l’un des membres actifs du comité des chômeurs de Ouargla, relate sans crainte les déboires que rencontre la population. « Les services de sécurité, qu’ils soient de la police, de la gendarmerie, ou du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), arrivent parfois à utiliser leur uniforme pour leurs intérêts personnels. Nous ne sommes pas contre l’Etat algérien, bien au contraire. C’est parce que nous aimons notre pays que nous avons décidé de dénoncer toutes les dérives », argumente-t-il.

Tahar Belabes, l’un des fondateurs du comité des chômeurs, dénonce les pratiques mafieuses qui régissent la ville de Ouargla. D’ailleurs, il joint au nom de la ville le terme « république », pour essayer de faire comprendre que sa région est gouvernée selon un autre code que les autres villes d’Algérie. « Une fois muté à Ouargla, n’importe quel policier peut devenir général. Les gens ont peur des forces de l’ordre parce que l’Etat de droit n’a pas de sens. Toutes les lois de la république algérienne sont piétinées à Ouargla, au point que le président Abdelaziz Bouteflika est un personnage quasiment inconnu. Les gens ne le connaissent que par la télé, mais ils savent pertinemment qu’il n’a aucune autorité sur les services de sécurité présents à Ouargla », affirme Belabes.

Si le comité des chômeurs a été créé pour demander de l’emploi, ce sont surtout les pratiques de corruption qu’il entend dénoncer. « Pour demander un travail, outre les fameux réseaux de connaissances, il faut donner un pot-de-vin à quelqu’un qui travaille à l’Agence nationale de l’emploi. Que votre CV soit étoffé ou pas, c’est presque l’unique recours pour travailler. Aussi, pas mal de directeurs régionaux de l’Anem qui se sont succédé ont fait venir leurs proches, leurs cousins ou leurs connaissances pour travailler chez les sous-traitants. Ils ont instauré le népotisme. Une direction régionale de l’Anem est installée pour donner d’abord de l’emploi aux enfants de la région, avec bien entendu le respect de chaque profil. Mais à Ouargla, même si vous êtes docteur, on vous refuse et on confisque votre place pour quelqu’un qui n’a pas dépassé l’école primaire », déplore Tahar Belabes.

Des habitants démunis malgré la manne pétrolière

Un chauffeur de taxi originaire de Ouargla, sollicité pour nous emmener en promenade dans la ville, a confirmé que la population locale vit dans la peur. « Vous avez une casquette de policier, les gens vous craindront. Vous présentez une carte délivrée par l’Etat, les gens vous fuiront. Nous subissons la hogra [le mal-être, l’abandon] quotidiennement. Les forces de l’ordre ont ici des prérogatives incroyables. Ce n’est pas l’Algérie, c’est le Ouargland », ironise-t-il.

A Ouargla, pourtant une riche commune, on est face à une pauvreté et à une misère jamais égalée. Les gens sont fatigués, les femmes sont souffrantes et les enfants clochardisés. Ce n’est pas pour rien que les Ouarglis disent souvent que la manne pétrolière sert les régions du nord du pays pour mieux réprimer celles du sud.

Un journaliste local, El-Madani Madani, souligne : « Tout le monde sait que le régime algérien méprise le peuple. Dans un passé récent, les habitants de Ouargla croyaient que l’argent du pétrole servait les habitants du nord. Mais la médiatisation des émeutes [à travers le pays] a fait comprendre à la population que tous les Algériens sont victimes de l’exclusion et que la distribution des richesses ne profite qu’aux apparatchiks. »