L’équipe qui gère depuis les dernières élections communales les affaires de la commune d’Alger centre semble avoir fait de l’animation nocturne de la capitale une priorité. M. Bettache, le président de l’APC, ne cherche en fait qu’à traduire sur le terrain un vif souhait du ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de la Ville, Amara Benyounès.
A maintes reprises, ce dernier a expliqué que la qualité de vie n’est pas seulement une affaire de ramassage régulier des ordures ménagères ou de maîtrise de la circulation urbaine. Il a insisté davantage sur l’urgence pour Alger de retrouver son lustre d’antan, de renouer avec des habitudes de joie et de convivialité propres à toutes les villes méditerranéennes. Depuis quelques années, la capitale détient la peu enviable réputation d’être la plus triste d’entre elles.
Longtemps, on a expliqué cet état de fait par l’insécurité. Le déchaînement de la violence terroriste a contraint, une décennie durant, les populations à se calfeutrer chez elles et à déserter les salles de spectacles. Une ville comme Bordj El Kiffan, jadis réputée comme un lieu de ralliement des amoureux des glaces et des noctambules, a périclité. Mais l’espace public s’est retrouvé réoccupé au fur et à mesure que reculait le spectre des attentats. Hélas, l’explosion de la délinquance a pris le relais. « Quand en pleine journée, des voyous n’hésitent pas à s’en prendre à vous, il est difficile de vouloir s’aventurer le soir. Même nous, on ferme nos magasins très tôt par mesure de sécurité », confie un gérant d’un magasin de téléphonie mobile à la place Emir-Abdelkader.
Les habitudes et les mentalités ont changé
Alger, notamment son centre, devient, le soir tombé, le royaume des sans-abris, le décor sinistre d’une ville sans lieu de rencontres, hormis les hôtels et les clubs fréquentés par une minorité de privilégiés.
On a peine à croire ceux qui parlent d’un temps où une femme seule comme à Tunis, Casa ou Paris peut sortir prendre l’air, ou des familles entières se pressaient devant les cinémas ou dans le hall du TNA, l’Algeria, l’Atlas et d’Ibn Khaldoun. Les habitudes de consommation culturelle ont radicalement changé. « Au delà de 18 heures, ce n’est pas facile de projeter un film. Déjà que la vidéo, les bouquets numériques ont fait perdre l’habitude de sortir aux gens », reconnaît un réceptionniste à la salle El Mougar.
Récemment, un enseignant racontait à la radio comment son collègue a trouvé toutes les peines du monde à expliquer à ses élèves ce qu’est une …salle de cinéma. Tout simplement parce qu’ils n’y ont jamais été. Il sera difficile de remonter la pente. Mais les autorités y croient. Depuis deux mois, instruction a été ainsi donnée aux commerçants afin de procéder à la pose de nouvelles devantures.
Cette mesure, qui expire le 30 du mois courant, se veut un premier pas pour donner un visage plus avenant aux boulevards et rues de la capitale. Il a été mis à la disposition des commerçants, un bureau d’étude, un numéro de téléphone mais certains se sont montrés rétifs. A la place Maurice-Audin et à la rue Khettabi, des espaces dotés reliés à la wifi attirent déjà beaucoup de jeunes et de familles avides de détente. Les commerçants montrent une disponibilité pour ouvrir jusqu’à une heure tardive, mais faire revivre Alger n’est pas un une affaire de commerçants. « Encore faut-il des clients », ironise un d’entre eux.
Ce goût perdu pour la culture
S’il est vrai qu’Alger ne subit plus de pression terroriste particulière et que les services de sécurité ont pris des mesures pour maîtriser la petite criminalité, les nostalgiques qui ont connu Alger qui veillait aux premières lueurs de l’aube peinent à croire à une résurrection. « La jeunesse n’était pas aussi agressive.
Ce sont les étudiants, les lycéens qui formaient le public de la cinémathèque », se désole un libraire qui était alors à la fac d’Alger. « Dans les hôpitaux, les universités, des excursions mixtes, au cours desquelles danser avec une amie n’était pas vue comme le plus inexpiable des péchés, étaient organisées régulièrement. Aujourd’hui, ce sont d’abord des mentalités, qui, à l’ère de l’isolement du pays et d’un système éducatif différent, ont eu le temps de sédimenter, qu’il faut changer », estime le libraire. Le coût de la vie n’était pas également un obstacle pour sortir en famille ou entre amis. Les prix soutenus faisaient qu’un plat qui apparaît aujourd’hui comme un luxe ne l’était pas.
On ne se ruinait pas pour une veillée alors qu’une virée pour la plage s’avère de nos jours ruineuse. Plusieurs facteurs doivent être réunis pour faire revivre Alger by night. La sécurité, des chauffeurs de taxi et des serveurs moins grincheux ne suffiraient pas. Les réseaux de transport (métro, bus, trains de banlieue) doivent rester ouverts jusqu’à une heure tardive. L’Etusa assurant déjà des navettes jusqu’à minuit.
Outre les restaurants qui demeurent excessifs pour la majorité, les créateurs devraient se mettre de la partie. Il est difficile de concevoir une vie nocturne si le TNA, les salles de spectacles n’ont rien à offrir comme attractions et divertissements. Dans la multiplication des activités culturelles et la restauration de certaines infrastructures ces derniers mois, on perçoit comme le retour de quelques hirondelles. Annonceraient-elles un printemps tant attendu ?
H. Rachid