Alger peut-elle vivre la nuit ?

Alger peut-elle vivre la nuit ?

Contrairement aux capitales du monde qui connaissent une grande animation la nuit, Alger est une ville morte à partir de 20 heures.

Au-delà, on ne rencontre que des délinquants et des SDF, ou encore quelques écumeurs des rares bars toujours résistant aux assertions d’obscurantistes qui se réfugient derrière de fallacieux prétextes. Pour un pays dont le gouvernement chante depuis des années le développement de son tourisme, l’autre créneau de l’après-pétrole, c’est plutôt aliénant. Vivre la nuit, faut-il le dire, n’est ni dans les traditions des Algérois qui n’ont rien à trouver pour passer un peu de bon temps ni de celles de l’État qui n’a rien à offrir.

À présent que le matelas financier permet, pourquoi pas, de rêver, le visage de la métropole a besoin d’une mue que les autorités locales s’attellent à lui donner. À commencer par l’ouverture des commerces jusqu’à une heure tardive. Mais qu’en pensent justement les commerçants, les citoyens, les autorités locales ?

Karim est du genre à ne pas trop traîner dehors. Jeune cadre dans une importante administration, non encore marié, il se permet à la sortie du boulot une petite escapade avec ses copains dans l’un des salons de thé en vogue de la capitale. Histoire de rompre avec la monotonie.

“Je suis toujours à l’heure au dîner qui est servi à 20h”, confie-t-il, avant de faire un constat navrant sur Alger by night. “Il n’y a rien qui puisse retenir tard les gens. En dehors de deux ou trois salons de thé, de petits restaurants qui se comptent sur les doigts d’une seule main, Alger se vide de toute animation à partir de 21h, alors que cette heure devrait sonner le début d’une bonne soirée. Et là je suis optimiste, car beaucoup de commerces ferment avec le coucher du soleil. Et même si ces derniers restent ouverts, un autre problème se pose, en l’occurrence celui du transport. Du moins pour ceux qui habitent les hauteurs de la capitale ou sa périphérie.” Yacine, 27 ans, fréquente les cybercafés. N’ayant pas Internet chez lui, il s’engouffre en fin de journée dans un de ces établissements pour chatter. “On a fait une demande de ligne téléphonique, mais on nous a dit que le site où j’habite est saturé. C’est la seule distraction pour moi. Au lieu de vadrouiller, je préfère aller dans un cyber. Mais il m’arrive de m’attarder et de me retrouver coincé en matière de transport. À partir d’une certaine heure, c’est la galère pour trouver un taxi. Les bus de l’Étusa sont aléatoires. L’autre risque, ce sont les agressions, bien que ces derniers jours on constate une présence policière plus accrue”, dira le jeune homme. Madjid, Amir, Rabah et bien d’autres citoyens s’accordent à soulever ces points constituant des handicaps pour une vie nocturne. Pour les femmes, la question relève d’un autre débat.

UGCAA-commerçants : la sensibilisation

L’idée de créer une véritable animation nocturne dans la capitale ne date en réalité pas d’aujourd’hui ; beaucoup de tentatives ont été lancées, mais sans aboutissement. La mise en œuvre du plan stratégique de la capitale visant l’horizon 2029 constitue l’amorce à cette idée.

On ne peut lancer des réalisations homériques sans pourvoir celles-ci d’une âme représentée par les commerces à même de donner une vie la nuit à laquelle va adhérer la population.

Un travail est en train de se faire dans ce sens par l’Union des commerçants et artisans, l’UGCAA. Sid-Ali Boukerrouche, représentant cette association pour Alger, explique : “La réunion du

17 mars dernier placée sous l’égide du wali d’Alger qui a été consacrée aux intoxications alimentaires a regroupé des représentants de l’APW, du ministère du Commerce, de la DCP et la présence de 500 délégués au niveau de la capitale. Elle avait pour objectif de sensibiliser les commerçants pour adhérer pleinement à l’idée de rester ouvert jusqu’à une heure tardive de la nuit. Ce n’est pas une opération ponctuelle ou estivale, comme l’ont compris certaines parties, mais il s’agit d’un travail à long terme devant aller en harmonie avec la vision d’Alger capitale méditerranéenne à l’horizon 2029. La deuxième réunion a vu une forte présence des commerçants qui ont plébiscité l’idée tout en émettant quelques questionnements ayant trait essentiellement à la sécurité et au transport que le wali a jugé légitimes. Ces commerçants restent ouverts actuellement jusqu’à 22h, un horaire qui sera retardé durant le mois de Ramadhan. D’autres points ont été soulevés au sujet des commerces en contentieux, soit du secteur public ou faisant l’objet de problème d’héritage. Actuellement fermés, ces commerces constituent des points noirs. Nous avons sollicité le wali pour le règlement éventuel de leur cas. Comme nous avons posé la question relative à l’anarchie créée par les revendeurs d’or ainsi que le marché du change au square Port-Saïd. Enfin, notre association demande que les autorités compétentes interviennent auprès des organismes des postes et des banques pour que ces dernières restent ouvertes dans la soirée.” Il y a lieu de noter que ce représentant a affirmé que l’opération enclenchée pour l’ouverture des commerces est suivie actuellement à 60% grâce au concours des deux APC d’Alger-Centre et de Sidi-M’hamed.

Qu’en pense la DCP ?

Partie prenante en tant que structure de contrôle de qualité et des fraudes, la Direction de la concurrence et des prix (DCP) est aussi chargée de coordonner l’opération d’ouverture des commerces la nuit.

Le directeur Mimoun Bouras, un chevronné du secteur, a, lors de son passage à la radio, suscité un débat nourri ayant abouti à un certain nombre de points émis notamment pas les citoyens, à savoir : l’intensification des activités culturelles, artisanales et sportives dans le but d’inciter les familles à sortir le soir, le transport reliant le centre-ville aux quartiers périphériques sous ses divers aspects (bus, métro, taxi), une présence réelle de la police pour que le centre-ville puisse connaître un éventuel début d’activité en nocturne.

Le DCP, reprenant différents avis de citoyens, pense qu’il est temps de revoir les horaires pratiqués par les commerçants du centre-ville en envisageant la fermeture des commerces entre 12h et 15h afin de pouvoir décaler l’heure de fermeture le soir. Il est même souhaité d’adapter des horaires pour certains services publics comme les banques, assurances, postes, eau, électricité…). L’éclairage, lui aussi, fait partie du débat, car il faut le reconnaître, seules les grandes artères semblent être illuminées alors que les rues et ruelles parallèles le sont insuffisamment, voire pas du tout. On parle également de mesures incitatives qui consisteraient en l’attribution de divers prix consacrant la meilleure vitrine, la meilleure enseigne lumineuse.

Calme, propreté, Bornes wifi dont seront dotés les espaces publics (jardins, placettes), possibilité de prévoir divers petits marchés de livres, fleurs, artisanat constituent aussi des créneaux très demandés. Les propositions du DCP dans ce cadre préconisent de mettre en place un comité de suivi composé de toutes les parties concernées, notamment les représentants de l’APW, les APC et l’UGCAA.

Les municipalités à pied d’œuvre

Le maire d’Alger-Centre, Abdelhakim Bettache, fait partie de ceux qui sont convaincus que faire vivre Alger la nuit, comme cela se fait partout dans le monde, est une question de volonté.

Une idée qui le taraude depuis qu’il militait au sein du comité de quartier il y a bien des années de cela. Pour lui, il est impensable que la capitale soit déserte dès la nuit tombée. Il s’attelle actuellement au suivi de l’opération ravalement des façades lancée conjointement avec la wilaya.

“Donner une vie nocturne à la capitale signifie qu’il faut mettre les moyens nécessaires consistant à l’embellissement de l’environnement, à commencer par les façades des immeubles, les terrasses de café à délimiter par des plantes naturelles, relancer l’activité des salles de cinéma, animations culturelles et de distraction dans des jardins publics.

À noter qu’un programme est déjà mis en place avec l’accord du wali au niveau des parcs de la Liberté et Beyrouth. Parallèlement, un avis d’appel d’offres a été lancé pour les aménagements, ainsi que pour la sécurité interne qui sera assurée par des sociétés privés. Une opération de dératisation a été lancée avec la participation des associations des quartiers”, dira-t-il d’emblée.

Concernant les commerçants, le P/APC confie que l’idée qu’il a “jetée” a été bien reçue par ces derniers. Il en veut pour preuve le branle-bas de combat suscité par l’opération new-look des commerces. Certains ont déjà pris le taureau par les cornes en installant de belles vitrines dignes des grandes villes du monde. Questionné sur les marchés parallèles de l’or et des devises qui se pratiquent ouvertement au niveau du territoire de la commune, l’élu a fait savoir que des dispositions seront prises très prochainement pour les éradiquer.

Au plan de l’animation culturelle et sportive, il y a tout un programme spécial été qui a déjà démarré au début du mois de juin et s’étendra jusqu’à la veille de la rentrée scolaire.

Floralies, exposition de produits de l’artisanat, portes ouvertes sur le fléau de la toxicomanie, rencontres sportives de beach volley, semaine culturelle de solidarité avec la Rasd, soirées musicales, des séances pour enfants (magicien, clown, marionnettes), des soirées ramadhanesques, etc. sont prévues tout au long de l’été.

Ce qui ne veut pas dire que l’animation nocturne s’arrêtera là. Pour le maire, c’est parti dans le temps.

Deuxième commune du centre de la capitale, Sidi-M’hamed se met, de son côté, au diapason. Le P/APC, Nacereddine Zenasni, est actuellement au four et au moulin. “Je suis constamment l’opération sensibilisation des commerçants en qui j’ai trouvé du répondant. Bien sûr, ces derniers sont un peu soucieux en matière de sécurité, mais ils ont vite constaté que ce volet est pris en charge par l’autorité compétente. La commune compte environ 85 commerces et beaucoup d’organismes publics (banques, compagnies aérienne et portuaire, assurances). Sur ce plan, la municipalité s’est rapprochée de tous les intervenants pour la prise en charge de cette opération lancée depuis que des directives ont été données par les instances de la wilaya. 18 commerces ont refait leurs devantures, conformément au cahier des charges, alors qu’une dizaine est en cours de réalisation. Il faut dire qu’il existe un problème de qualification des ouvriers en matière d’installation des devantures. Avec un début timide, je reste persuadé que la cadence sera améliorée durant le Ramadhan”, conclut le maire. En somme, tout semble indiqué que la capitale vivra au rythme des noctambules. Les ingrédients sont réunis et en premier lieu la sécurité bien renforcée par la DGSN, un constat visible dans toutes les rues d’Alger.

Espérons une prise de conscience citoyenne à ce sujet et souhaitons beaucoup de plaisir aux Algérois qui en avaient bien besoin.

A. F