Alger : où sont donc passés les électeurs ?

Alger : où sont donc passés les électeurs ?

LE VOTE MASSIF N’A PAS EU LIEU MALGRE L’APPEL DES CANDIDATS

La capitale, vitrine du pays, n’a pas enregistré un vote massif. Du moins jusqu’aux dernières minutes du scrutin, les chefs de centre et de bureau “scrutaient” des yeux les électeurs et draguaient ces voix silencieuses. Reportage.

Jeudi 17 avril 2014, il est 6h30. Alger se réveille lentement avec, en fond de toile, les premières queues pour s’approvisionner en pain et en lait, pourtant disponibles en grosses quantités. Hormis le dispositif de sécurité apparent sur les routes, comme devant les enceintes de vote, les Algérois profitent encore de leur grasse matinée.  Comme si c’était un “jour férié”, “chômé et payé par la Fonction publique”, les habitants de la capitale sont rares à se lever en cette matinée de jeudi. Seuls quelques retraités, journal à la main, attendent l’ouverture des bureaux de vote pour accomplir leur devoir, pour se fondre ensuite dans le décor.

C’est le cas à Draria où une trentaine de vieux, des retraités pour la plupart, attendent, depuis 6h55, l’ouverture du centre de vote Ibn-Rochd. Ailleurs, les services de sécurité sont sur le qui-vive. Gilets pare-balles et fennecs à la main (détecteurs de métaux), chose qu’on a vue en 2009 lors de la réélection de Bouteflika et en 2007 lors des législatives, mais avec moins de vigilance et de méfiance, les policiers et les gendarmes sont partout.On a l’impression de (re)vivre des moments semblables à ceux des années 1990-1991.

Où sont passés les représentants des candidats ?

La circulation est fluide et les premiers magasins ont déjà levé le rideau. La “température électorale” est plutôt tiède. Le centre Ibn-Rochd ouvert, les premiers électeurs accomplissent leur devoir. À 10h, le premier sondage tombe : 5% de participation sur 4 338 inscrits, répartis sur 10 bureaux de vote. Le chef du centre, Yacine Slimani, rompu à ce genre de circonstances, veille au grain. Les représentants des candidats, notamment de Bouteflika et de Benflis, sont en force.

Les autres, leur nom ne figure même pas sur la liste affichée sur les portes des bureaux. Il est 10h15, direction le centre de vote de la cité 1 600-Logements de Sebala. Là aussi, même topo, le taux de participation environnait les 5% pour les femmes et 15% pour les hommes, selon un sondage effectué à 10h. Hormis les représentants de Bouteflika et de Benflis, les autres sont aux abonnés absents. Côté sécurité, toutes les enceintes de vote étaient hautement surveillées, avec un dispositif directement supervisé par le chef de sûreté de daïra de Draria.

Au centre Takarni de la même ville, où seules les femmes votent habituellement, seulement 49 femmes ont accompli leur devoir. Le reste, il faut attendre 13 ou 14h, comme à l’accoutumée. D’“Alger 2007, capitale de la culture arabe”, on se dirige vers “Alger 2014, capitale de l’abstention”. Et ce n’est point une surprise pour les Algériens qui braquent leur regard vers une capitale totalement démantelée pour laisser place aux cités dortoirs.

Une participation sans conviction ?

L’ambiance est fade à en croire ce vieil homme que nous avons accosté, au centre-ville de Zéralda. “Je vais voter à blanc. Je ne donnerai pas ma voix à ces candidats. L’un est malade et a décroché trois mandats (Bouteflika, ndlr), l’autre est un enfant du système (Benflis, ndlr) et les autres candidats n’ont jamais daigné venir nous rencontrer.” Visiblement déçu, cet ancien moudjahid est désabusé, lui qui n’a jamais raté un rendez-vous électoral depuis l’Indépendance, les anciennes cartes de vote à l’appui.

Ses voisins, plutôt méfiants, préfèrent s’adonner à leur activité quotidienne : vendre des épices, ou encore des légumes sur la route pour arrondir des fins de mois difficiles. Sur le périphérique Sud d’Alger, comme sur la nouvelle autoroute Est-Ouest, reliant Zéralda à Boudouaou et l’est d’Algérie, c’est pire.

C’est le désert. Il a fallu attendre 11h pour voir les premiers électeurs arriver “en masse”, directives des candidats obligent, aux centres et aux bureaux de vote. Cette tendance durera le temps qu’il faut, soit une trentaine de minutes, pour voir cette masse se diriger vers les pizzérias et les restaurants. “C’est un évènement nul. On a voté parce qu’on croit encore aux discours. Mais dans les cités et quartiers où on subit notre quotidien morose, on n’ose même pas aller débattre avec nos voisins”, lâche un sympathisant et néanmoins meneur de la campagne d’un candidat. À l’école primaire de Sebala (El-Achour), les autorités locales ont tout réussi sauf ce design des plus moches : peindre de moitié le mur de l’école pour capter l’attention des électeurs. Mais bon, ce n’est pas demain la veille pour en finir avec les réflexes des années 1970.

La Ligue arabe satisfaite, mais…

Il est 13h, direction Zéralda. Le dispositif de sécurité déployé par les gendarmes aux alentours des centres de vote, comme sur les routes, est impressionnant.

À elle seule, Zéralda compte 23 centres et 128 bureaux, avec 99 110 inscrits. Dans toute la localité, seulement 9,91% des électeurs ont accompli leur devoir, selon le sondage révélé à 10h. Le plus grand centre de vote de cette localité, à savoir le centre de Sidi-Ménif, a enregistré 22,72% à 14h. Azzedine Zikara, chef de centre, se réjouit des conditions dans lesquelles se sont déroulées les choses. Avec zéro incident, les représentants des candidats sont tous là pour veiller au bon déroulement du scrutin.

Au centre de vote de Sidi-Boukhris n°2, relevant de la commune de Kheraïcia, le taux de participation a atteint, à 14h, 25,20%, alors qu’il était de 18,20% à 10h du matin. En plus des membres de la commission de surveillance qui passent toutes les deux heures, les observateurs de la Ligue arabe ont affiché leur satisfecit. “On ne pouvait pas faire plus. Les choses se déroulent dans la transparence”, dira l’un des membres présents. Mais les mêmes membres n’ont pas évoqué le bilan de toute leur mission.

La jeunesse : la grande absente

Il est 15h. Nous butons sur un centre de vote de Chéraga où aucun électeur n’était dans la cour de l’enceinte. Le chef du centre, visiblement méfiant, nous exigera un ordre de mission signé par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités. À défaut, il sollicitera notre “compréhension” pour éviter toute équivoque. Quant à l’accréditation délivrée par le ministère de la Communication et portant l’entête de la République algérienne, la filiation du journaliste et le numéro de badge, elle est reconnue par certains, mais pas par d’autres. Fait marquant de cette élection, les jeunes sont de moins en moins présents dans les bureaux de vote.

Désintéressés, voire démobilisés, les jeunes Algérois avaient la tête ailleurs. Dernière image de notre tournée, ces dizaines de familles qui se dirigent vers le littoral algérois, la forêt de Bouchaoui ou les marchés pour profiter de cette journée ensoleillée et s’approvisionner pour ce long week-end. Il est 16h, les électeurs se font de plus en plus désirer. Sur les deux périphériques d’Alger, comme sur l’autoroute Est-Ouest, la circulation automobile reprend ses droits. Finie l’ambiance électorale, place au dépouillement.