Alger et Rabat tentent de renouer les fils d’une relation cassée par la crise de 1994

Alger et Rabat tentent de renouer les fils d’une relation cassée par la crise de 1994

Entre Alger et Rabat, des petits signes laissent présager une tentative de renouer les fils d’une relation bilatérale distendue depuis la grosse crise de 1994 et aggravée par des postures symétriques sur la manière de gérer la divergence durable sur la question du Sahara Occidental. Une mince satisfaction en ce 27 avril, 53ème anniversaire du congrès historique de Tanger.

Un mémorandum portant sur une coopération sur cinq ans « pour assurer la sécurité alimentaire » entre l’Algérie et le Maroc a été signé, lundi, à Rabat par les ministres de l’agriculture des deux pays, Rachid Benaïssa et Abdelaziz Akhanouch. L’accord permet aux « Maghreb-optimistes » de relever que quelque chose « bouge » sous le ciel du Maghreb au moment de la commémoration du 53ème anniversaire du congrès historique de Tanger (27-30 avril 1958) au cours duquel le FLN algérien, le Destour tunisien et l’Istiqlal marocain ont pris l’option de l’Union maghrébine. Les « Maghrebo-pessimistes » n’ont pas besoin d’étaler beaucoup d’arguments pour constater que la frontière algéro-marocaine est toujours fermée 17 ans après l’annus-horribilis de 1994 et que le Maghreb est l’ensemble régional le plus en retard dans le monde. Les optimistes font remarquer cependant que les choses commencent à bouger entre les deux plus grands pays du Maghreb et que les échanges de visites ministérielles se multiplient depuis trois mois. Les explications sur les raisons de cette tentative de reprise sont variées. Certains l’imputent à des pressions américaines, d’autres à un début de convergence entre les deux régimes dans un contexte maghrébin agité. Il faut noter aussi la similitude de la réponse aux demandes de changement émanant de l’intérieur. Mohamed VI tout comme Abdelaziz Bouteflika ont choisi de répondre à ces demandes en engageant un processus de révision de la Constitution.

Des signaux de reprise réversibles

Les signaux d’une reprise sont réels mais ne sont pas irréversibles. Outre Rachid Benaissa, Abdelamalek Sellal, ministre des ressources en eaux et El Hachemi Djiar, ministre de la jeunesse et des sports se sont rendus au Maroc. Le ministre marocain des sports, Moncef Belkhayat et la ministre de l’énergie et des mines, Amina Benkhadra sont venus en Algérie au cours du mois de mars.

La visite de Mme Benkhadra a été l’occasion de révéler l’existence d’un projet d’études d’un gazoduc algéro-marocain pour approvisionner le royaume à partir de Hassi Rmel. Ces échanges de visite semblent annonciateur de dégel d’autant que la partie algérienne, sans faire de promesses précises, parait moins abrupte dans ses réponses sur la question de la réouverture de la frontière terrestre fermée par Alger en 1994 à la suite d’un attentat à Marrakech attribué à tort aux services algériens par le Maroc qui a décidé dans la foulée d’instaurer le visa. Si aujourd’hui, le visa n’est plus de mise, la frontière reste fermée même si elle n’empêche pas les échanges informels.

Durant ces dix-sept années de crise, l’Algérie et le Maroc n’ont pu s’entendre sur la possibilité de développer les relations bilatérales en les découplant du dossier du Sahara Occidental où il était clair qu’aucune partie ne transigera sur ses positions. Pendant des années, la position algérienne a consisté à dire que l’Union du Maghreb et les relations bilatérales entre l’Algérie et le Maroc peuvent avancer et qu’il faut les déconnecter de la question du Sahara Occidental qui relève de l’Onu. A l’opposé, le Maroc faisait valoir que le Sahara était une «question nationale vitale » et qu’elle ne peut être séparée du reste des relations.

Des réponses moins abruptes sur la frontière

Quand en mars 2008, le Maroc a semblé s’être rangé sur la position algérienne en appelant à la réouverture des frontières, Alger – ou du moins certains responsables algériens, dont l’ex-ministre de l’intérieur, Yazid Zerhouni – faisait le chemin inverse.

En effet, à l’appel du Maroc, Yazid Zerhouni avait répondu que le « problème de la circulation (des biens et des personnes) aux frontières ne peut être dissocié d’une approche globale de ce que nous voulons faire de notre Maghreb ». Le « linkage » entre la question du Sahara Occidental et la relation bilatérale, longtemps le fait du Maroc avant d’être celui de l’Algérie, a été totalement contreproductif. Alger semble désormais revenir à sa démarche initiale de « découplage ». Le 16 avril dernier, le président Abdelaziz Bouteflika, a déclaré, à Tlemcen, qu’il « n’existe pas de problème entre l’Algérie et le Maroc» et que le «problème du Sahara occidental est un problème onusien.

Le Maroc est un pays voisin et frère. Il faut coopérer et nous devons coopérer». C’est la première fois en dix-sept ans qu’Alger et Rabat semblent être « en même temps » en accord pour découpler l’affaire du Sahara Occidental du dossier bilatéral. Les responsables algériens, sans prendre d’engagement, sont devenus beaucoup moins abrupts qu’un Yazid Zerhouni, sur la question de la réouverture des frontières.

Elle ne restera pas fermée pour « l’éternité »

Le ministre algérien des affaires étrangères l’a évoqué à plusieurs reprises. Lundi dernier, dans un entretien avec le journal Echourouk, il a estimé qu’il était « déraisonnable » d’imaginer que les frontières resteront fermées pour l’éternité. « Il faut ouvrir les frontières, mais il faut créer les conditions. Quand cela sera décidé, cela sera appliqué de manière honnête et équilibrée, dans l’intérêt des deux parties.

Comment parvenir à ce résultat ? Par les consultations entre les responsables. Nous avons entamé cela depuis trois mois. On s’est entendu sur l’échange de visites dans des secteurs très sensibles.

Cela a été entamé il y a trois mois et nous nous sommes entendus sur l’échange de visites dans des secteurs sensibles. Nous poursuivrons peut-être ces échanges de visites jusqu’à la fin de l’année. Il en sortira un programme de coopération dont les résultats peuvent inciter les deux à faire d’autres pas. Et pourquoi pas à ouvrir les frontières ». Les tentatives de renouer les fils d’une relation bilatérale distendu dépendront en définitive de la capacité des deux parties à avancer tout en constatant que sur le Sahara Occidental la divergence reste fondamentale. Et que décider qu’elle est du ressort de l’Onu reste l’option la plus réaliste.