Opposé à une intervention au nord du Mali, les responsables du plus grand pays d’Afrique prêchent le patriotisme.
La semaine dernière, le premier ministre Abdelmalek Sellal a appelé à un «front interne fort» capable de protéger le pays contre «des mains malveillantes» qui tenteraient de porter atteinte à l’unité du pays. Un discours développé de manière récurrente par la classe politique, à commencer par le président Bouteflika: «Les jeunes sauront se dresser contre les ennemis du pays et faire face aux instigateurs de la fitna et de la division ou aux velléités d’ingérence étrangère», a-t-il déclaré en mai dernier.
Ce discours patriotique serait nourri, selon les termes d’un proche de la présidence, par «la crainte de voir resurgir un vieux fantôme, celui de l’amputation territoriale, proposé par de Gaulle en 1961. Depuis la partition du Soudan, notre nouvelle position de “plus grand pays d’Afrique” nous rend extrêmement fragiles, surtout depuis qu’à nos frontières sud, les Touaregsont rompu avec Bamako et proclamé leur indépendance.»
Risques de déstabilisation
Pour autant, la politologue algérienne Louisa Aït Hamadouche estime le risque de déstabilisation bien réel. Non pas que les velléités indépendantistes kabyles, chaouies ou touaregs représentent une menace sérieuse, mais parce que «l’Algérie n’a jamais connu une telle conjonction de risques». Groupes islamistes armés au Mali, frontières impossibles à contrôler avec la Libye et relations tout juste protocolaires avec le nouveau pouvoir, tensions récurrentes avec le Maroc… «Nous évoluons dans un environnement qui, quand il n’est pas hostile, est instable.
Pour un pays comme l’Algérie, la frontière a une fonction militaro-stratégique importante: elle représente un front latent ou actif», explique l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi en reconnaissant que se pose aussi la question de la «responsabilité». «Comment préserver la cohésion sociale quand aucune force politique majeure n’est capable de mobiliser la population? Quand la justice ne rend pas la justice? Quand la corruption se substitue à l’État de droit?»
Alors que cette semaine, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, a justifié sa participation aux élections locales de novembre par «la dimension stratégique de défense de l’unité de la nation et de sa souveraineté nationale», un ancien cadre de l’armée relève, désabusé: «Ce régime a toujours fonctionné par la menace.
Lorsque les manifestations ont éclaté en Kabylie en 1980 pour des revendications identitaires pacifiques, Alger a accusé les Kabyles d’avoir brûlé le drapeau. On convoque toujours le mythe de la désunion faute de projet national.» Une attitude que Louisa Aït Hamadouche lie à la construction même de l’État algérien. «Cela remonte à l’époque où le FLN a pris le dessus sur les autres groupes du mouvement national. Il fallait être unis face à l’ennemi, la France. On a fait de l’unité nationale un élément sacré non pas basé sur le contrat social mais sur la nécessité d’être “un”». Et aujourd’hui, le pouvoir perpétue cette idée.»
Mais dans l’Algérie de 2012, en particulier celle du Sud, des réserves de pétrole et de la misère sociale, ce discours est «consommé», assure Yacine Zaïd, syndicaliste et militant des droits de l’homme. «Les gens y ont cru quand l’Otan est intervenue en Libye, mais ils ne sont plus dupes. Ils voient que le gouvernement ne fait rien pour eux et que ces appels patriotiques ne permettent qu’à ceux qui sont au pouvoir d’y rester.»