Son Excellence l’ambassadeur de Russie Alexandre Zolotove, s’entretenant avec notre journaliste
Maîtrisant, en plus du russe, l’arabe, l’anglais et le français, l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Fédération de Russie à Alger, Alexandre Zolotove, a fait l’essentiel de sa carrière diplomatique dans le Monde arabe. En plus de Tunis, Rabat et Oman, c’est la troisième fois qu’il séjourne à Alger. Il a eu à travailler en effet, à l’ambassade de Russie à Alger de 1989 à1994. De 2000 à 2006 il a occupé le poste de ministre conseiller de l’ambassade de son pays, toujours à Alger avant d’y revenir en 2012 en tant qu’ambassadeur. Dans cet entretien, il a mis l’accent sur les relations économiques et commerciales entre Alger et Moscou et tiré au clair la position de son pays au regard des conflits régionaux comme la crise en Syrie et celle du Mali.
L’Expression: Excellence, vous êtes ici depuis quelque temps, l’Algérie se prépare à des élections législatives très importantes. Quel regard portez-vous sur cette échéance électorale?
Alexandre Zolotove: Ce que je peux dire c’est que nous suivons avec beaucoup d’attention le processus qui se déroule en Algérie. Nous soutenons le cours des réformes défini par la direction algérienne à travers un paquet de lois sur les partis, les élections et la participation des femmes dans les instances élues. Donc, nous percevons à travers ces réformes la volonté sincère des autorités algériennes et du peuple algérien d’ancrer les valeurs démocratiques dans le pays tout en préservant sa stabilité, et en tenant compte des spécificités locales, des traditions, des valeurs politiques et idéologiques. Nous souhaitons que ce processus engagé depuis l’année dernière aboutisse et qu’il donne des résultats palpables au profit de l’élargissement du multipartisme, du pluralisme d’opinion et que cela aussi débouche sur le renforcement de l’économie et son adaptation au contexte international.
Parlant d’économie, justement Excellence, est-ce que votre pays envisage de pénétrer le marché algérien autrement que par la voie des armes? Jusque-là les seules relations commerciales entre l’Algérie et la Russie se limitaient à la vente d’armes?
Je voudrais revenir un peu en arrière. On avait des traditions et des relations fructueuses avec l’Algérie depuis l’indépendance de votre pays jusqu’au moment où l’Union soviétique a cessé d’exister au début des années 1990. A cette époque on s’était refermés dans nos problèmes, il fallait stabiliser la situation intérieure en Russie. Donc, on ne prêtait pas beaucoup attention au renforcement des liens commerciaux et économiques avec des pays étrangers. Au début de ce millénaire, il y a eu une reprise des rapports avec le monde extérieur. Cette reprise s’est concrétisée concernant l’Algérie par la signature d’une Déclaration de partenariat stratégique en 2001. C’était d’ailleurs le premier document de ce genre qui a été signé avec un pays arabo-africain, c’est pour souligner l’intérêt que nous portons à votre pays. Dans cette déclaration, il était prévu que les deux parties doivent entreprendre des efforts pour apporter un nouveau contenu aux relations dans différents domaines y compris en matière économique et commerciale. Le second élément dans la concrétisation de cette déclaration était la constitution d’une commission mixte pour les affaires commerciales, économiques, scientifiques et techniques.
Nous avons déjà tenu cinq sessions de cette commission. La dernière a eu lieu à Moscou au début du mois de décembre 2011 coprésidée par le ministre des Finances, Karim Djoudi. Ce mécanisme a permis de définir des créneaux de coopération dans les domaines de la responsabilité de cette commission notamment, il n’y a pas longtemps, les deux parties se sont mises d’accord pour trouver les moyens d’explorer l’apport technique russe en matière d’habitat. On est en train de préparer les premières rencontres entre les établissements concernés. D’autre part, on a pénétré le marché algérien des hydrocarbures. Il y a trois compagnies russes, dont le mastodonte Gazprom, qui ont des projets avec Sonatrach et d’autres établissements algériens. C’est pour vous dire que les choses marchent, il y a un développement palpable, en plus, nous avons organisé deux business forum. Nous essayons de faire en sorte que les milieux d’affaires se connaissent mieux car le grand défi est de trouver des partenaires fiables de part et d’autre?
Que pensez-vous de l’environnement des affaires en Algérie et plus particulièrement de la loi 49/51%?
J’ai entendu dire qu’il n’y a pas mal de pays qui ont la même formule. En principe, elle ne gêne pas. Ce n’est pas la loi algérienne qui pose des restrictions pour les étrangers. Les compagnies russes doivent discuter avec les partenaires algériens concrètement les projets et trouver des formules qui permettent de tirer des avantages mutuels, c’est une question de négociation et d’intérêt de part et d’autre. C’est une affaire de business et si quelqu’un veut réaliser un projet il négocie, il se met d’accord et si l’autre partie pense qu’il y a un avantage, je ne vois pas de problème pour aller de l’avant. C’est le partenaire étranger qui doit s’accommoder aux lois en vigueur s’il veut travailler. S’il y a un vrai intérêt de travailler ensemble on peut toujours trouver un compromis. Ce qui pose réellement problème c’est que nos milieux d’affaires connaissent mal le pays. Cela est dû à notre politique intérieure qui, à un moment donné, s’est repliée sur elle-même. Il faut donc faire en sorte que l’information passe entre ces milieux d’affaires. C’est ce que nous essayons de faire dans cette commission mixte en plus de ce que notre ministère de l’Economie est en train de faire: un site pour faciliter à nos entreprises de nouer des affaires à l’étranger. Nous sommes en train d’envoyer des informations à Moscou pour remplir ce site concernant l’Algérie. Il y a aussi un autre mécanisme, c’est le Conseil algéro-russe d’hommes d’affaires. D’autre part, il faut tenir compte du fait que nous n’avons pas de mécanisme d’assurance comme la Coface. Nous sommes en train de mettre en place ce genre de mécanisme. Après le démantèlement de l’Urss on est passé en phase de transition vers l’économie de marché mais les mécanismes n’ont pas été tous mis en place.
Excellence, où en sont les choses dans le dossier Vimpelcom Djezzy?
Il s’agit d’une entreprise privée russo-norvégienne, donc elle a des contacts directs avec la partie algérienne, vous avez suivi les déclarations de M.Djoudi et les déclarations du ministre des TIC, Moussa Benhamadi. Si je comprends bien, les deux parties sont en train de trouver une issue convenable. Nous en tant qu’institution nous ne pouvons pas nous immiscer dans les affaires d’une entreprise privée. Mais je suppose qu’il faut être très méticuleux car c’est des milliards qui sont en jeu.
La position russe par rapport à la crise syrienne est en porte-à-faux avec la majorité des membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Certains observateurs avancent que cette position est intéressée: une base militaire à Tartous, des contrats d’armement de 500 millions d’euros et une livraison de 36 avions de chasse.
Je dois d’abord apporter une précision: c’est que nous n’avons pas de base militaire à Tartous mais c’est un point de support logistique. Le point principal de notre position envers la Syrie c’est que nous tenons à la légalité internationale. Je m’explique: en dehors de notre coopération avec la Syrie. D’ailleurs, les contrats dont vous parlez ont été signés il y a quelques années et pas maintenant. Notre priorité est que le problème syrien soit réglé dans le cadre de la légalité internationale, en d’autres termes nous sommes contre l’ingérence étrangère et en faveur d’un dialogue inter-syrien large. Ce dialogue doit englober toutes les parties syriennes, les sensibilités politiques, ethniques et autres. C’est ce que nous essayons de mettre en valeur et dans le cadre de la souveraineté syrienne elle-même. Il est clair qu’il y a une forte volonté de changement en Syrie, ce qui est tout à fait naturel mais il y a les pro-changement et ceux qui supportent le régime en place. Donc pour dénouer cette crise et ne pas pousser le pays vers une guerre civile, la meilleure approche est d’amener les deux parties au dialogue. C’est ce que nous avons essayé de faire dès le début et nous l’avons fait à travers nos contacts non seulement avec le pouvoir syrien mais aussi avec l’opposition. Il y a eu des contacts avec notre ministère des Affaires étrangères.
On a reçu en automne dernier à Moscou les membres de l’opposition intérieure et extérieure, la semaine dernière, il y avait une délégation des Tansiquiat à Moscou et le 20 avril dernier il y a eu une délégation de l’opposition intérieure à Moscou. Je dois aussi le noter que dès le début, nous étions en faveur du règlement de cette crise dans le cadre arabe et c’est le point de jonction de notre position avec la position algérienne. Il y avait une volonté de règlement dans le cadre arabe avec l’envoi d’une délégation d’observateurs mais ils sont retirés malheureusement. Pourtant, le niveau de violence avait baissé même si cette violence n’a pas cessé. On revient vers ces positions aujourd’hui. Aujourd’hui, tout le monde approuve la mission de Kofi Annan dont le point essentiel est le déploiement des observateurs internationaux avec le désengagement militaire des deux parties et le dialogue. On revient donc à l’approche pour laquelle nous avions milité au début.
Mais vous n’avez pas été aussi intransigeants dans le cas libyen, en d’autres termes vous avez laissé faire, non?
Si on revient au cas libyen et à cette fameuse résolution que nous avons laissé passer, elle ne prévoyait pas pour nous l’utilisation des avions de guerre, le bombardement contre des objectifs militaires libyens. La résolution prévoyait l’instauration d’une zone de non-survol.
A l’époque, le régime libyen utilisait des avions de guerre contre des civils, il fallait agir vite pour interdire ce mode d’action contre les civils. Voyez maintenant les répercussions de cette action pour les pays voisins de la Libye dont l’Algérie avec la circulation d’armes, la recrudescence du terrorisme. Il faut agir donc de manière juste et vérifier dans n’importe quelle crise pour éviter que la même situation ne se reproduise dans d’autres pays.
Quelles sont les conséquences du retour de Poutine aux affaires. Y aura-t-il une nouvelle politique arabe de la Russie?
Je ne pense pas, nous serons plutôt dans la continuité. On a développé des liens avec les pays arabes de façon constante. Nous avons un accord avec la Ligue arabe, un accord avec le Conseil des pays du Golfe, nous essayons de reprendre économiquement et politiquement les relations avec pas mal de pays arabes. Vous avez cité le retour de Poutine et c’est prometteur pour les relations entre nos deux pays. Il y a eu deux échanges de visite entre lui et M.Bouteflika. On peut dire donc que c’est M.Poutine qui est au fondement de la reprise des relations entre l’Algérie et la Russie.
Au Sahel, il y a une situation explosive qui vient de se compliquer avec la proclamation de la création de l’Etat de l’Azawad au nord du Mali. Dans ce dossier la voix de la Russie est inaudible. Pourquoi?
Peut-être que notre position est mal répercutée. Nous avons dit que ce problème doit être réglé dans le cadre de la souveraineté malienne, à travers un dialogue entre l’opposition et Bamako. J’insiste: la question du Nord du Mali doit être réglée dans le cadre de la souveraineté du Mali. Par ailleurs, nous sommes aussi en faveur des efforts déployés par les pays de la Cedeao et également les pays du champ.
Parmi ces derniers figure en pole position l’Algérie. Elle joue un rôle crucial d’abord parce qu’elle a une frontière prolongée avec le Mali, ensuite par le fait qu’elle connaît bien la situation dans la région de par ses relations avec les tribus touarègues.
Dans le règlement de cette crise, dans les pays du Sahel nous estimons que l’Algérie est absolument incontournable.
Il reste que le règlement de la crise qui sévit dans la région du Sahel, appartient exclusivement à ces pays du champ. C’est à eux seuls de trouver la formule appropriée pour une solution pacifique dans la région et le Mali.