Invité par l’IFA, le réalisateur de Là-bas mon pays et Ce que le jour doit à la nuit, évoque avec nous dans cet entretien la mémoire du monstre sacré qu’était Roger Hanin, lequel avait joué notamment dans ses deux films Le Coup de sirocco et Le Grand Pardon. Alexandre Arcady revient sur la relation affective qu’il entretenait avec cet acteur dont un point commun les relie à tout jamais, à savoir leurs origines pieds-noirs respectives…
L’Expression: Tout d’abord dites-nous comment est né ce film Le Coup de sirocco?
Alexandre Arcady: J’avais envie de faire un film sur cette génération qui a pris le chemin de l’exil et pour beaucoup, involontairement et pour ce faire, j’ai voulu écrire un scénario, avec quelqu’un que vous connaissez qui est Jean Pelegri. Un grand auteur, écrivain.
J’ai commencé à écrire un scénario avec lui dont c’était la même histoire, sauf que le personnage n’était pas épicier, mais garagiste. J’écris ce film d’une façon un peu différente, dans la noirceur et la rancoeur. J’obtiens à Paris une avance sur recette. Mais je n’arrivais pas à produire le film.
Personne ne s’y intéressait. Jusqu’au moment où je rencontre un agent qui me dit: «J’ai lu le scénario, c’est intéressant, mais je n’arrive pas à comprendre vos personnages, ils sont si noirs et si désespérés alors qu’il y a dans cette communauté de pieds-noirs une faconde, une joie de vivre, ce côté méditerranéen que l’on connaît que je ne retrouve pas ici, il n’y aurait pas quelqu’un qui pourrait retravailler les dialogues? J’ai répondu: «Vous avez raison, Je me suis un peu trompé de route. Je venais de lire un ouvrage de quelqu’un que je ne connaissais pas, Daniel Saint- Hamont, hilarant sur la même période, avec beaucoup de verve et d’humour.
J’ai dit que je vais le retrouver pour qu’il retravaille les dialogues avec moi. Il était à l’époque journaliste à France Inter. Le soir je lui raconte cela, je lui donne le scénario. Au bout d’une semaine, il vient et il me dit qu’il venait d’écrire un roman qui n’est pas sorti et il me tend les épreuves, cela s’appelle Le Coup de sirocco. Je le lis. C’était pratiquement la même histoire, à la différence – le mien avait un titre étrange, Il fait beau si on allait au cimetière, car chaque dimanche après-midi, quand on allait sur la tombe de ma grand-mère avec ma mère à Saint-Eugène, sur le plus haut niveau du cimetière, on avait la chance de voir de là-haut un endroit magnifique. C’était un moment malgré tout magnifique – Je lis ce roman et je comprends que j’avais fait fausse route.
Mon personnage n’était pas celui que j’avais en tête. Quelquefois, on peut se tromper de chemin et on peut bifurquer et moi j’étais sur un autre chemin, le drame. Cette légèreté malgré l’émotion qu’on peut avoir, ce sourire en disait plus qu’un autre discours et ça ressemblait beaucoup à ces comédies, aux films italiens de l’époque, comme Pain et chocolat.
Donc, j’ai immédiatement changé de fusil d’épaule, si l’on puisse dire et abandonné le scénario. C’était une décision importante et j’ai adopté Le Coup de sirocco en y apportant une touche personnelle, tout de même, au roman, dont le personnage tonton Jacob, qui était vraiment mon oncle et habitait à Bab El Oued, qui avait vraiment inventé ces bougies de cérémonie. Avec Daniel et son frère, nous avons écrit ce scénario qui a donné Le Coup de siroco et non pas, Il fait beau si on allait au cimetière…
Aujourd’hui nous rendons hommage à Roger Hanin, quelle image gardez-vous de lui et quel rapport entreteniez-vous avec l’homme et le comédien qu’il était, le grand point commun qui vous liait, à savoir l’attachement à l’Algérie de par vos origines de pied-noir?
Tout d’abord pour répondre à cette question je vous invite à vous référer au livre qui parle de tout ça qui sort chez Grasset «7 rue du Lézard». Je disais tout à l’heure, qu’au départ je n’avais pas envie de me tourner vers Roger Hanin pour ce rôle-là. J’ai même tenté de me tourner vers des acteurs italiens, avec des appréhensions car il avait une image un peu déformée dans mon esprit jusqu’au moment où convaincu par Marthe Vilalenga, je lui donne le scénario et quelques jours après, il me reçoit dans son bureau.
C’était le moment fondateur de nos relations. Il me dit: «J’ai lu le scénario et je sais tout du personnage d’Albert Narbony. Je sais trois choses principales. La première est comment faire du papier journal des cornets pour servir à l’épicerie, la deuxième je sais comment casser le contrefort de mes chaussures pour faire des savates. Et la 3ème je sais quand je rentre tard, et pour ne pas me faire engueuler par ma femme, de retarder ma montre et dire: moi Je suis en retard?»
Dans ces trois petits exemples il avait compris le personnage. Je suis tombé en amour de Roger Hanin. Il faut dire qu’il a eu vent de mes hésitations du départ et il me les a rendues de cette manière en me disant: «Je ne sais pas si je peux faire le film.» C’était avec la complicité d’un ami qu’il a fallu le ramener à la raison et évidemment on a fait un tournage extraordinaire. Car c’est un personnage qui donne sans compter quand il joue.
La complicité s’est faite immédiatement de par ses origines. On a connu la même enfance. On sait de quoi on parle. Il y avait de sa part beaucoup d’affection qu’il me portait un peu comme à son fils. Alors je l’admirais beaucoup. Il avait la faconde. Pour vous dire quelque chose de particulier.
Faut noter qu’au départ, le scénario était beaucoup plus tourné vers la maman et la présence de Roger a transformé le film. On a glissé vers le père parce que c’était Roger Hanin. Il avait sa façon d’être. Contrairement aux autres metteurs en scène qui lui demandaient de maigrir, moi je n’avais de cesse de vouloir qu’il grossisse. Je lui mettais des beignets, des makroutes juste à côté de sa chaise et évidemment c’était le bonheur pour lui.
Il n’y avait plus d’entrave pour lui. C’était le personnage qui existait et il l’avait, je ne sais pas s’il a analysé mais il a compris que c’était une opportunité pour lui en tant qu’acteur, d’abord, de ne pas avoir honte de son accent ni de ne pas avoir en appréhension sa gestuelle, mais au contraire de s’en servir comme Rému se servait de son accent marseillais. A partir du moment où il s’en est servi comme ça, il est devenu ce personnage qui est plein de personnalité incroyable. Il est rentré dans la peau du personnage et il est devenu cet Albert Narboni.
Pour la petite anecdote, quand il a vu le film une première fois, il m’a écrit une lettre en me disant qu’il a beaucoup aimé tourner avec moi mais qu’il ne croyait pas que le film allait marcher. C’était un rude coup porté au metteur en scène que je suis avant la sortie du film. Heureusement que le film a eu le succès que l’on sait. Il a récidivé avec le Grand Pardon en me disant qu’il ne va pas marcher. Je lui ai dit d’un coup, si un jour tu aimes un film, surtout ne me le dis pas! Voilà, nos rapports, ils étaient basés sur une espèce de respect et de confiance vis-à-vis du metteur en scène. Il savait qu’il y avait des limites, je le guidais, mais moi j’étais friand de ce qu’il pouvait m’apporter!
Le film n’a pas été tourné en Algérie…
Le privilège des cinéastes est de pouvoir retraduire des émotions, effectivement, avec un grand regret pour moi. Le regret est qu’ en 1979, j’avais cette volonté de tourner en Algérie. Malheureusement, je n’ai pas eu les autorisations. Mais j’ai eu plusieurs voyages ici. J’ai été reçu par le secrétaire d’Etat. A chaque fois la réponse était «peut-être». Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce «peut-être» n’était pas un oui, mais plutôt un non. J’ai dû trouver un autre chemin et aller en Tunisie et moi la Tunisie je n’en connaissais qu’une partie.
J’avais tourné en tant qu’acteur dans le film de René Vautier, Avoir 20 ans dans les Aurès, dans la Tunisie du Sud qui est plus présentative avec son architecture, le désert, jusqu’au moment où je rencontre à Tunis un jeune architecte qui m’indique le chemin de Bizerte qui ressemblait aux villes françaises de l’époque. J’ai pu retrouver ces décors naturels que j’ai retrouvés deux ans plus tard avec Le Grand Carnaval.