Manager et patriarche de Manchester United depuis vingt-trois ans, sir Alex vise un troisième sacre en Ligue des champions demain à Rome, devant Barcelone.
Une légende vivante. À 67 ans, Alex Ferguson incarne un quart de siècle de suprématie. Celle de Manchester United sur le Championnat d’Angleterre (11 titres de champion). Et la renaissance du club mancunien en Europe (Coupe des Coupes en 1991 contre Barcelone, Ligue des champions en 1999 et 2008). En attendant, demain soir à Rome, contre le Barça de Josep Guardiola, de trente ans son cadet, de conserver le trophée le plus convoité du continent. Un exploit qui n’a plus été réalisé depuis le Milan AC d’Arrigo Sacchi en 1989-1990. Un triomphe qui lui assurerait un troisième succès personnel dans la compétition reine. Et lui permettrait ainsi de rejoindre Bob Paisley, l’entraîneur de Liverpool des années 1970, au panthéon des Coupes européennes.
Débarqué de son Écosse natale en 1986, où, avec Aberdeen, il avait brisé l’hégémonie des clubs de Glasgow (Celtic, Rangers) et remporté une Coupe des Coupes en dominant le Real Madrid en finale (1983), Ferguson avait alors promis de faire tomber Liverpool de «son p… de piédestal». Vingt-trois ans après, la promesse a été tenue. En remportant, il y a moins de deux semaines, la onzième Premier League de son ère, l’entraîneur le plus titré de l’histoire du football britannique a permis à Manchester d’égaler les Reds, le rival honni, au palmarès de cette compétition (18 titres de champion chacun).
Gardien de l’enracinement ouvrier d’un club par ailleurs à la pointe du football business (deuxième club le plus riche du monde avec 324,80 M€ de recettes annuelles), Alex Ferguson a fondé sa loi d’airain en reprenant les commandements énoncés par Matt Busby, le légendaire prédicateur écossais du Manchester des années 1950 et 1960. «Je suis fier d’avoir remporté tous ces titres en perpétuant la tradition. Je suis le doyen de la méthode United.»
Sir Busby, qui aurait eu 100 ans demain, et dont l’influence façonna à jamais l’identité des Red Devils, sera, autorisation spéciale de l’UEFA, célébré dans les tribunes de Rome. Un intense moment d’émotion durant laquelle la mémoire des Busby Babes, victimes de la catastrophe aérienne de Munich en 1958, ébranlera la carapace de fer de sir Alex…
Perpétuant la légende des Red Devils, cet ancien apprenti sur les chantiers navals de Glasgow pousse l’éthique du labeur hérité d’un père docker jusqu’à son paroxysme. Bourreau de travail, ouvrant et fermant quasiment quotidiennement le centre d’entraînement de Carrington, Ferguson ne semble nullement rassasié par son exceptionnelle réussite (30 trophées avec « Man U»).
«La star c’est l’équipe, pas un joueur»
Combatif à l’excès, il a toujours le dernier mot. Contestant son hégémonie patriarcale durant quelques saisons, Arsène Wenger avec Arsenal, puis José Mourinho avec Chelsea, ont été violemment renvoyés à leurs chères études. Le Français se souviendra longtemps de la correction reçue cette année à l’Emirates Stadium en demi-finale retour de la Ligue des champions (1-3). De son exil italien à l’Inter, l’arrogant entraîneur portugais s’incline devant le maître : « S’il devait l’emporter à Rome, il deviendrait le plus grand manager de club.» Intransigeant, Ferguson force l’admiration en interne. «Il est comme un grand-père. Il protège tout le monde et veut que le maillot de Manchester United soit respecté. Si c’est le cas, c’est possible de devenir son ami. Mais il faut travailler dur chaque jour, ne pas le décevoir. Il n’y aura jamais d’autre entraîneur comme lui. Ferguson s’assure que la star c’est l’équipe, pas un joueur. C’est son secret», raconte Patrice Evra. Sa méthode consiste à responsabiliser les joueurs plutôt que de les infantiliser. «Il sait surtout vous dire les choses qui vous mettent en confiance. Je ne veux pas décevoir. Ni lui, ni mes partenaires.»
Talisman de Manchester dans les années 1990, Éric Cantona n’a pas oublié l’impact de Ferguson sur sa carrière, comme il l’a rappelé à Cannes lors de la présentation du film de Ken Loach Looking for Éric (dans les salles mercredi) : «Ken et Alex sont deux hommes qui savent tirer le maximum des gens qu’ils dirigent. Ils le font avec beaucoup d’humilité.» Et de passion. Ainsi, pas question, en dépit de ses 67 ans, de parler de retraite à sir Alex : «Je vais continuer jusqu’à ce que ma santé me dise d’arrêter… Mais je ne cherche à égaler personne. Je veux juste que nous soyons les meilleurs.» Pour la seule gloire de Manchester United.