Aled Eirug, membre du British Council, hier au Forum de “Liberté” “La cohésion sociale vient par les médias”

Aled Eirug, membre du British Council, hier au Forum de “Liberté”  “La cohésion sociale vient par les médias”

Cette façon de voir les choses implique que le gouvernement n’a pas de “droit de regard” sur la presse.

Après avoir salué l’assistance par un sabah el khir, suivi d’un azul et d’un good morning, l’invité, hier, au Forum de Liberté, Aled Eirug, membre du Conseil d’administration du British Council, a tenu à le dire aussi en gallois, sa langue maternelle : “Bore do !” (bonjour !). Avant d’aborder sa conférence sur “Le rôle des médias dans une démocratie moderne”, Aled Eirug s’est félicité d’être le deuxième diplomate à passer au Forum de Liberté après l’ambassadeur du Brésil à Alger, Eduardo Botelho Barbosa, qui était l’hôte de notre espace de débats à la veille de l’ouverture de la Coupe du monde 2014 organisée par son pays.

Présentant son parcours de “journaliste pendant 25 ans” et de son expérience notamment à la tête de la British Broadcasting Corporation (BBC) pour le Pays de Galles, “deuxième rédaction après celle de Londres”, l’invité de Liberté s’est ensuite attaqué au thème de sa conférence en estimant d’emblée que l’une des questions fondamentales qui se posent, dans le cas d’espèce, est de savoir “dans quelle mesure les médias doivent être indépendants du gouvernement”. Cette façon de voir les choses implique, selon lui, de s’assurer que le gouvernement n’a pas de «droit de regard» sur les médias. Reconnaissant les diverses pressions politiques et autres contraintes financières exercées, l’orateur n’en estime pas moins précisément que le rôle des médias est justement de “responsabiliser l’État et d’examiner ses actions ainsi que celles du Parlement”. Si cette relation médias – gouvernement est différente de par le monde et que sa complexité varie selon les situations, le diplomate anglais plaide pour une “séparation officielle” entre le gouvernement et les rédactions. Quid de la BBC ? “Au Royaume-Uni, nous sommes fiers de disposer d’une société de production et de diffusion de programmes de radio-télévision la moins mauvaise dans le monde.” Et d’expliquer le secret de cette “réussite”. D’après la lui, la ligne éditoriale de la BBC résulte d’abord de la nature même de son financement qui s’opère de manière participative grâce à la fiscalité. “Le contribuable paye une redevance de 145 livres par an pour garantir cette autonomie. Du coup, les journalistes de ce média sont moins inquiets de critiquer le gouvernement si besoin est.” “Vous savez mieux que moi que le thème de cette conférence ne relève pas seulement d’un débat académique mais surtout d’une question éminemment pratique.” Il révélera qu’en descendant les escaliers du siège de Liberté, il a eu le loisir de voir les photos de nos journalistes assassinés durant la décennie noire. Il ne manquera pas de saluer ces sacrifices pour la liberté d’expression dans notre pays.

So british !

LG Algérie

Revenant à son sujet, il révélera que la presse britannique a, elle aussi, ses propres problèmes de gestion à régler, à l’instar des tabloïds à scandale : “L’enquête de Lord Leveson avait relevé que de nombreux titres de la presse britannique s’adonnaient à une pratique d’écoute téléphonique et de surveillance.” L’orateur révélera qu’il y avait aussi des irrégularités sous plusieurs formes concernant notamment des journaux appartenant au magnat de la presse Rupert Murdoch. “Aucune mesure n’a été prise à ce jour pour s’assurer que ces journaux aient un comportement plus décent”, déplore-t-il, pour sa part, en souhaitant une “refonte de nature commerciale dans la presse” et “une réglementation plus rigoureuse”. Avant de clore son laïus préliminaire et ouvrir le débat, le diplomate et non moins ancien journaliste, a tenu à faire part à l’assistance d’une anecdote qu’il a personnellement vécue : “En 1998, il avait été accepté le principe de disposer d’assemblées locales en Écosse, en Irlande du Nord et au Pays de Galles. Il fallait, dès lors, expliquer aux populations ce processus et évaluer ensuite le travail de ces institutions démocratiques nouvelles élues. Une tâche importante du reste. J’étais à l’époque rédacteur en chef dans une rédaction lorsqu’un ministre s’est permis de m’interpeller pour me demander de rapporter que ce qui est positif ou encore couvrir uniquement l’aspect positif des choses. Il avancera en guise d’arguments le fait qu’il s’agissait du même pays, de la même famille… J’ai dû lui répondre que des membres d’une seule famille pouvaient se disputer et même ne pas s’entendre, qu’on pouvait remettre en question des institutions qu’on aimait.” D’après lui, couvrir ce qui est “négatif” doit être perçu d’abord comme une preuve d’amour. Interrogé sur l’irruption d’un nombre incalculable de médias, Aled Eirug estime que l’essentiel reste “l’efficacité” : “Le nombre ne fait pas la qualité forcément. Plus de médias ne signifie pas de meilleurs médias. La question fondamentale est de savoir dans quelle mesure le média jouit de la confiance de son public.” D’après lui, tout est question de “crédibilité” : “Le public doit être sûr que vous êtes indépendant de toute influence politique et de l’emprise d’autres éléments. Pour cela, vous devez sans cesse montrer votre intégrité et votre honnêteté. Quant au public, il sera toujours enclin à connaître votre origine et d’où vous venez…” C’est pour cela, selon lui, que les médias régionaux jouissent aujourd’hui d’une plus grande confiance : “Ce défi est le même à travers le monde !”

Un Gallois fier de l’être !

étant journaliste bilingue, l’invité de Liberté dira avoir à l’esprit, en Algérie, la langue amazighe à laquelle il s’intéresse, dit-il, pour en connaître l’audience réelle dans le pays. Cohérent dans son propos, “la pluralité est une question cruciale”. Elle offre, selon lui, différentes perspectives. “Car le défi est de disposer surtout d’une information sous différents angles.” Ainsi, dans un contexte difficile pour la presse écrite, où il est coûteux d’imprimer des journaux à la manière traditionnelle, la “diversité” prend aujourd’hui tout son sens. Les secteurs public et privé sont, selon lui, tous les deux indispensables à la démocratie. Ainsi, la BBC n’a pu se développer qu’en s’adaptant à la concurrence.

Dès lors que le pluralisme médiatique est reconnu et qu’il existe dans le secteur privé un “journalisme responsable”, il n’y a pas de raison pour que tout le monde ne s’y mette pas à la fin. “La BBC incite ses journalistes à faire preuve d’honnêteté !” Il reconnaît toutefois dans son argumentaire que si les motivations étaient différentes d’un titre à un autre, le secteur privé a, lui, un rôle important à jouer notamment pour le “changement et les idées à injecter dans la société”. Sur ce point, les pressions des politiciens ne passent pas toujours. L’orateur en veut pour preuve le fait que la scène politique apporte de nouveaux développements à l’industrie de la presse. Et de rappeler que le référendum sur l’indépendance de l’Écosse qui a vu la majorité (55%) des électeurs voter “non” n’a pas empêché la création il y a trois semaines de News Quest un média pro-indépendance. Sur ce chapitre du référendum sur l’indépendance de l’Écosse qui s’est déroulé en septembre dernier, Aled Eirug révélera avoir été impressionné par l’enthousiasme soulevé par ce scrutin en… Tunisie. D’après lui, “l’exemple écossais” avait surpris les Tunisiens par le fait de la participation en force de la jeunesse écossaise et cela sans l’influence des partis politiques.

Interrogé par ailleurs sur le rôle des médias dans le Printemps arabe, notre invité s’est borné à botter en touche en déclarant : “Je ne suis pas la personne la mieux indiquée pour répondre de la situation de médias arabes. Je suis incapable de répondre à cette question.” Face à l’insistance de la journaliste, Aled Eirug concédera à livrer son point de vue “occidental” dans cette couverture par les médias du Printemps arabe et qui consiste dans plusieurs interrogations : “Qui est, d’abord, cette personne qui me raconte cette histoire ? Et pourquoi le fait-elle ? Quel est son agenda ?”. Des questions non dénuées de bon sens ! Et de poursuivre : “Le journaliste a pour responsabilité de refléter la vérité, sur ce qui se passe sous ses yeux… Cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement agisse en conséquence sur ce qui se passe ensuite sur les écrans. Vous savez, j’ai des amis qui ont couvert les événements à Gaza. En dépit de ce qu’ils ont rapporté, il résulte encore beaucoup de frustration s’agissant de la reconnaissance de la Palestine”, avance-t-il sous forme de prise de position vite saluée, d’ailleurs, dans la salle. En matière de “transparence”, il reconnaît qu’il peut y avoir ainsi, des circonstances qui amènent à “taire certains faits”, une censure pour dire les choses crûment. Pour éviter ce travers, le Royaume-Uni a mis en place, apprend-on, un commissaire à l’information publique, un juge indépendant en mesure de décider si l’information doit être partagée ou non.

Ce fonctionnaire peut invoquer l’intérêt public, “l’excuse” la plus courante des pouvoirs publics pour ne pas diffuser l’information. “Seulement, en cas de plainte, il peut alors forcer un service à rendre publique une information. Souvent les autorités invoquent des motifs sécuritaires pour ne pas assumer leurs erreurs et ne pas être embarrassés par des révélations.” Peu avare en anecdotes, Aled Eirug révélera que quand il était “jeune journaliste”, il enquêtait sur le prix des fleurs qu’il trouvait dans un bâtiment public. La somme qui s’élevait à 40 000 livres sterling était considérée comme une information confidentielle : “La règle générale est donc de rendre public le maximum d’informations. Il faut faire confiance à l’intelligence du public pour l’impliquer dans la prise de décision qui ne doit pas être l’apanage des élites.” Pour l’hôte de Liberté, la société en entier y gagnerait car, selon lui, “la cohésion sociale vient par le débat et l’analyse”. Et sûrement pas par l’imprimatur qui a été imposé, rappelle-t-on, aux journalistes algériens. “La pluralité est importante pour toute société arabe ou autre. Elle offre la compréhension de l’autre. D’ailleurs, l’une des missions du British Council est de promouvoir le dialogue dans le monde.”

Facebook plus fort que la presse ?

Aled Eirug plaide clairement “pour une société inclusive où toutes les voix sont entendues”. C’est pourquoi il ne dédaigne pas les réseaux sociaux auxquels il trouve quelques vertus. Ces réseaux informels ont eu un impact politique et social important. “Rappelez-vous de la campagne électorale du candidat Obama en 2008. Ses bailleurs de fonds ont créé des réseaux de millions de personnes qui sont devenues à leur tour, eux-mêmes, des bailleurs de fonds. Je reviens à l’exemple de l’Écosse. La campagne a été menée essentiellement sur les réseaux sociaux et non pas par les partis politiques. Mêmes s’ils sont difficiles à suivre, il faut considérer les nouveaux médias tels Facebook ou Twitter comme un outil. Si vous êtes pessimiste, vous allez dire que parler de soi est, somme toute, secondaire. Mais si vous êtes optimiste, vous direz que cette technologie est un moyen qui renforce les médias pour avoir davantage d’informations. Les nouvelles technologies offrent des services aussi louables que les médias. Et puis, la responsabilité dans le partage des informations est une question qui concerne tous les médias en général.” Il avouera, pour sa part, avoir mordu à l’hameçon et qu’il ne faisait qu’essayer de moins utiliser Facebook que ses enfants (rires). Interrogé, par ailleurs, si le British Council avait l’intention de se développer sur le territoire algérien ou s’il allait continuer à promouvoir la langue anglaise uniquement à Alger, Aled Eirug semble avoir été pris au dépourvu.

A cette question très “terre-à-terre”, le diplomate a mis notamment en exergue l’importance de l’Algérie dans la région, soulignée, à cette occasion, par la présence au forum de Liberté de Son Excellence l’ambassadeur du Royaume-Uni, Sir Andrew Noble. “Pour la généralisation de l’anglais, nous avons notamment lancé, en étroite collaboration avec le gouvernement algérien, une formation pour les enseignants. Cela dit, nous avons encore du pain sur la planche”… Sur ce point, il est à parier, en effet, que dans un pays de plus en plus sous influence française, “la perfide Albion” aura fort à faire…

M. -C. L