Alain Rollat, ancien directeur exécutif du journal “Le Monde”, hier, au forum de “Liberté” : “Le politique passe, le journaliste reste”

Alain Rollat, ancien directeur exécutif du journal “Le Monde”, hier, au forum de “Liberté” : “Le politique passe, le journaliste reste”

Quand l’intérêt du public est en jeu, le journaliste ne doit accepter aucune censure. Plus facile à dire qu’à faire…

Le Forum de Liberté a reçu, hier, Alain Rollat l’un des vétérans de la presse écrite française avec 50 ans d’expérience. Ancien directeur exécutif du journal français Le Monde où il a exercé “tous les métiers qu’on peut exercer dans le journalisme professionnel” durant 25 ans. Expert indépendant, actuellement il assure une mission de formation au Maghreb pour le compte de l’Union européenne sur le thème : “Déontologie du journalisme : des principes aux pratiques”. Dès le début de son intervention, il marquera d’emblée son “respect” et son “estime” à l’égard des journalistes algériens : “Je ne peux manquer d’avoir une pensée pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance de cette liberté d’expression et dont certains de vos compagnons ont payé l’exercice de leur métier au prix de leur vie.”

Invité à donner sa conception du “journalisme”, Rollat s’en tient à la définition qui lui a été donnée par la charte de l’Unesco sur les médias : “Le journaliste est aux services des autres, au service des droits des peuples à disposer d’une information juste.” Pour lui, il n’y a qu’un seul journalisme “digne de ce nom”, c’est celui qui se pratique avec un “maximum d’honnêteté” : “Le droit de savoir, le devoir d’informer’, la devise du journal

Liberté est, pour moi, la meilleure référence possible.” Et quid de l’éthique et de la déontologie. Pour lui, l’éthique relève plus du comportement de l’individu alors que la déontologie renvoie surtout à ses écrits. “Tous les textes qui existent à ce sujet sont les mêmes par leurs contenus. Ils renvoient, tous à l’essentiel à savoir la nécessité de vérifier les faits. Ils consacrent le droit des gens à avoir une information, authentique, vérifiée, recoupée” précise-t-il. Il révélera qu’il y a déjà eu un code déontologique maghrébin adopté par la profession en 2003 à Hammamet en Tunisie et qui recèle, selon lui, “une transversalité qui peut être utile”.

S’agissant du mandat qui lui a été confié par l’Union européenne, il promettra qu’à l’issue de ses travaux toute la presse maghrébine sera destinataire de ce document, “libre de droits d’auteurs et disponible pour tout le monde et dans plusieurs langues”. “On va mettre toutes nos réflexions dans cette corbeille professionnelle commune.”

Mais pourquoi tant de précautions : les journalistes sont-ils si corrompus ? “Effectivement, de par le monde, le journalisme est une fonction sociale très discréditée. Certains disent qu’on peut les acheter pour un repas ou un voyage gratuit. Ainsi, si leur rôle est de demander des comptes aux autres, ils doivent accepter aussi que les autres leur demandent des comptes.” Il regrette, à ce sujet, qu’avec le développement des nouvelles technologies et la multiplication de vecteurs d’informations tels que les diffuseurs de nouvelles, la “contrefaçon” a fait son apparition avec force. “La vérité absolue n’existe pas.

Nous sommes des diseurs de vérités, des chercheurs de vérité…” Aussi, le journaliste est appelé à faire son autocritique, à rectifier ses erreurs, à respecter les opinions des autres, le pluralisme… Pour ce “vieux crabe de la presse française”, c’est ainsi qu’il s’est présenté devant nos jeunes confrères, du reste, captivés par son intervention, il n’existe qu’une seule façon digne d’être journaliste. “C’est d’éviter, en toutes circonstances, l’incitation à la haine. Le journaliste doit pratiquer spontanément la tolérance qui se meurt d’ailleurs à l’aune de ses écrits et de ses commentaires.”

Quant à l’exercice même du métier, pour l’invité de Liberté, “les principes restent intangibles alors que les pratiques peuvent évoluer, selon les circonstances ou les personnes”. Pour ce routier de la presse écrite française, les journalistes devraient d’abord commencer par se poser ce genre de questions utiles : “Est-ce que j’ai le droit d’écouter aux portes ou d’exercer une autre activité rémunérée ?” : “Le journaliste est toujours en situation de compromis. Votre intérêt de journaliste ne coïncide pas toujours avec celui de votre employeur.

À mon avis, la limite qu’il faut se fixer est de ne jamais censurer quand l’intérêt du public est en jeu ! Je veux être honnête, donc, je dois rester irréprochable tout en sachant que je vais me tromper…” Il prendra l’exemple du terrorisme “une réalité qu’on ne peut cacher en niant son existence ou en tentant de le minimiser. Mais en même temps, il faut éviter de lui donner une caisse de résonance. Notre métier est de dire ce qui est. Dans un cas comme dans l’autre, si vous sortez de votre rôle vous aurez un poids sur la conscience.”

Ne jamais céder au chantage

Sur ce chapitre, Alain Rollat fera valoir sa longue et riche expérience en tant que journaliste politique : “Le journaliste n’est pas un acteur politique, c’est plutôt un acteur social dont l’activité a un impact politique.” Pour lui, d’ailleurs, “la vraie question” est quels sont les critères à retenir pour la “représentativité”. “Dans l’histoire de la démocratie, on a tout connu. Au début, on sélectionnait les plus intelligents, les plus riches, les plus beaux parleurs… parmi eux, d’ailleurs, il y avait de nombreux enseignants ou professeurs habitués à discourir en chaire à l’université. En France, la tendance est aux fonctionnaires.

Aujourd’hui, c’est la télé qui enfante ces élites politiques. On choisit les gens en fonction de l’image qu’ils donnent à la télé et à leur faculté à apprivoiser les médias. Partant de ce postulat, Démosthène qui était bègue n’aurait jamais été élu…”, regrette-t-il.

Pour l’hôte de Liberté, “le politique passe, le journaliste, reste. C’est le politique qui a besoin du journaliste et non l’inverse. Le simple fait de répéter son nom cela lui donne de l’importance, une existence…”. Ce grand journaliste saisira cette occasion pour raconter alors plusieurs de ses prouesses : “Ayant été chef de service politique interne au Monde, mon boulot consistait à savoir ce qui se disait dans une salle où je n’avais pas accès. Je ne suis pas entré par effraction dans un endroit privé ou même public. J’assistais derrière une cloison aux réunions d’un parti politique à huis clos et cela sans manigances et sans déguisement. Ni même sans fracturer une porte. Après, j’étais bien content de raconter…”.

Un autre exploit à mettre à l’actif d’Alain Rollat dont il n’est pas peu fier : “J’avais trouvé une combine magnifique. J’ai eu une taupe dans le Conseil des ministres pendant un an. Sous Mitterrand, les ministres étaient interdits de prendre des notes sauf Max Gallo qui, était, alors, le porte-parole officiel. J’avais découvert un nouveau dans le cabinet de Max Gallo originaire du Sud-Ouest et qui aimait comme moi le foot et le rugby Après le compte rendu officiel, je le retrouvais dans un restaurant non loin de l’Élysée. Mon propre chef de service ne m’a jamais demandé de qui, il s’agissait.

Vous savez, c’est dans l’ordre des choses, quand vous avez une bonne source, vous finissez par le dire à vos copains. Au bout d’un an, j’ai craché le morceau à un mec fiable et sympa. J’étais instrumentalisé et conscient de l’être, mais j’étais à la recherche de la vérité. Tout le monde trouvait son compte et cela n’a gêné personne.” Après avoir fait languir son auditoire, Rollat finira par lâcher que “gorge profonde” n’était autre que l’actuel président de la République française, François Hollande.

“En démocratie, notre privilège, et ce qu’attendent les lecteurs, est d’être un intermédiaire avec les pouvoirs publics. Nous devons jouer notre rôle de contre-pouvoir. Nous devons interpeller les politiques sur ce qu’ils font ou ne font pas.” Peu avare d’anecdotes significatives, Rollat a révélé qu’un jour, un grand annonceur français, en l’occurrence Alsthom, avait décidé de supprimer le budget publicitaire à cause d’un de ses responsables qui avait été malmené dans les colonnes du journal Le Monde. Mal lui en prit ! Et pour cause, il s’est retrouvé du jour au lendemain dans le “mauvais rôle” comptant les dégâts considérables : “Face aux pressions du pouvoir politique et du pouvoir financier, la meilleure réaction est d’en faire part aux lecteurs. Quand on se fait respecter, le pouvoir politique finit par s’incliner.”

M.-C. L.