Bien que cette nouvelle prise d’otages n’ait pas été revendiquée pour l’heure, tout laisse croire qu’elle porte en filigrane la signature d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Sept personnes travaillant pour le groupe Areva et la société Satom (Vinci), dont cinq ressortissants français, ont été enlevées jeudi matin au nord du Niger, ont affirmé tour à tour le gouvernement français et les autorités nigériennes. L’enlèvement est intervenu vers 2 heures du matin par «un groupe armé» qui comprendrait de sept à une centaine d’hommes, a déclaré à l’AFP une source sécuritaire nigérienne, qui affirme par ailleurs que les deux autres otages sont un Togolais et un Malgache.
Les ravisseurs, à bord d’au moins deux pick-up, parlaient majoritairement arabe et tamachek (langue des Touaregs dans la région) et ont pris la direction d’Inabangaret, près de la frontière avec l’Algérie et le Mali, a souligné la même source. Bien que cette nouvelle prise d’otages n’ait pas été revendiquée pour l’heure, tout laisse croire qu’elle porte en filigrane la signature d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Tous les regards se tournent désormais vers cette organisation terroriste. «Les assaillants pourraient appartenir à Al-Qaïda, être des bandits qui revendent leurs otages aux djihadistes ou encore faire partie du peuple touareg qui entretient des relations tendues avec Areva concernant la question des bénéfices tirés de l’exploitation des mines d’uranium», ont confirmé les autorités nigériennes à l’AFP.
«Les trois salariés de Sogea-Satom (filiale de Vinci) étaient chez eux dans la zone sécurisée d’Arlit», a précisé à l’AFP un porte-parole de Vinci. Un porte-parole d’Areva a précisé que son salarié ainsi que son épouse avaient eux aussi été enlevés «dans leur habitation à Arlit». Tout comme Michel Germaneau, les cinq Français ont été kidnappés dans le nord du Niger, bastion de la rébellion touarègue. Celle-ci réclame une «juste répartition» des revenus tirés de l’uranium et contribue à entretenir un climat d’instabilité dans ce pays victime, le 18 février, d’un coup d’Etat militaire.
Il est possible que des groupes rebelles touaregs soient impliqués dans l’enlèvement des cinq Français. Bien que le trafic d’otages n’entre pas dans leurs habitudes, ces groupes pourraient être des «sous-traitants» d’Aqmi. Ils ont en tout cas démontré dans le passé qu’il leur arrivait de collaborer pour des raisons pragmatiques et non pas idéologiques avec cette organisation.
Dans un communiqué, le gouvernement français déclare «faire le maximum» pour assurer la sécurité de ses ressortissants dans le Sahel. Areva avait ainsi limité au strict nécessaire les déplacements de son personnel, une cinquantaine d’expatriés.
La France soupçonne l’Aqmi
Au lendemain de l’enlèvement, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a évoqué une responsabilité de la «mouvance Aqmi». «On s’imagine qu’il s’agit sinon des mêmes groupes (que dans d’autres affaires d’enlèvements, ndlr), au moins de la mouvance Aqmi», a déclaré le ministre aux médias français. «Hélas, nous avons déjà eu affaire à eux», a-t-il ajouté. Invité à confirmer ses soupçons sur ce groupe, Bernard Kouchner est toutefois resté prudent : «Bien sûr, mais je n’en ai aucune certitude puisque l’enlèvement n’a pas été revendiqué». Si cela se confirme, ce rapt constituerait une véritable déclaration de guerre à la France. Car les propos provenant du Quai d’Orsay peuvent attiser encore les groupes salafistes qui comptent agir pas uniquement pour obtenir la rançon, mais pour attaquer les intérêts stratégiques de la France. Pour sa part, le président Nicolas Sarkozy a réuni jeudi soir un conseil restreint de défense sur ce dossier.
La revanche d’Al-Qaïda ?
Le kidnapping des cinq ressortissants français pourrait être aussi une riposte à l’opération franco-mauritanienne menée le 22 juillet contre une base d’Aqmi au Mali pour libérer Michel Germaneau. Sept terroristes avaient été tués au cours de cette opération et Aqmi avait crié «vengeance» après avoir annoncé la mort de Germaneau, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Au lendemain de l’annonce de la mort de Michel Germaneau, le président Nicolas Sarkozy avait promis que cet assassinat «ne resterait pas impuni». Les islamistes avaient ensuite lancé des menaces contre les intérêts français en France et dans la région, et la France avait renforcé ses mesures de sécurité.
Cette nouvelle prise d’otages démontre la grande détermination des terroristes à aller jusqu’au bout de leur mission pragmatique.
Malgré le renforcement des mesures de sécurité dans la région du Sahel depuis l’enlèvement puis l’exécution de Michel Germaneau, revendiquée en juillet par Aqmi, rien n’est en mesure d’arrêter cette série de kidnappings. Depuis trois ans, les prises d’otages ont doublé dans la région. Elles sont généralement réalisées par de petits groupes de trafiquants qui opèrent pour le compte d’Aqmi. Ces prises d’otages constituent une manne financière pour l’organisation salafiste en quête de nouvelles recrues. L’Espagne aurait versé 8 millions d’euros à l’Aqmi pour libérer ses otages. Mardi dernier, les chefs d’état-major des sept pays de la région sahélo-saharienne estimaient, lors d’une réunion à Alger, qu’Aqmi percevait de manière régulière des rançons de l’ordre de 5 millions d’euros pour chaque otage libéré.
Alger, qui s’est fixé pour objectif d’éradiquer les groupes islamistes armés opérant dans le Sahara, estime que «payer des rançons» n’est pas «une bonne stratégie». Malgré les efforts consentis par certains pays pour faire face à cette menace terroriste dans la région du Sahel, une véritable coopération tarde encore à voir le jour.
Par Hocine L.
Chronologie d’enlèvements d’étrangers au Sahel
Voici les principaux enlèvements d’étrangers au Sahel depuis 2003.
– Février-mars 2003 : 32 touristes européens sont enlevés par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dans le Sud algérien. Une détenue allemande meurt en juin des suites d’une insolation. Les derniers otages sont libérés en août depuis le Mali où ils avaient été transférés.
– 21 août 2006 : Une vingtaine de touristes, surtout italiens, sont enlevés au Niger près de la frontière tchadienne. L’enlèvement est revendiqué par le Front des forces révolutionnaires du Sahara (Fars), rébellion touboue. Deux Italiens restés détenus sont libérés après 53 jours de captivité, après une intervention libyenne.
– 24 décembre 2007 : Trois personnes attaquent un groupe de cinq touristes français dans le sud-est mauritanien, tuant quatre d’entre eux.
– 22 février 2008 : Deux touristes autrichiens sont enlevés en Tunisie, avant d’être transférés dans le nord du Mali. Le rapt est revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, ex-GSPC). Ils sont libérés en octobre.
– 14 décembre 2008 : Enlèvement de deux diplomates canadiens au Niger, revendiqué par Aqmi. Ils sont libérés au Mali le 21 avril 2009.
– 22 janvier 2009 : Quatre touristes européens (deux Suisses, un Allemand et un Britannique) sont enlevés dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger. Le 3 juin, Aqmi annonce avoir tué le Britannique. Les trois autres otages sont libérés en avril et juillet.
– 26 novembre 2009 : Enlèvement d’un Français, Pierre Camatte, à Ménaka, au Mali, revendiqué par Aqmi. Il est libéré le 23 février 2010, peu après la libération au Mali de quatre islamistes.
– 29 novembre 2009 : Trois coopérants espagnols (Alicia Gamez, Roque Pascual et Albert Vilalta) de l’ONG Barcelona Accio solidaria sont enlevés au nord-ouest de Nouakchott, en Mauritanie. Aqmi revendique le rapt. Alicia Gamez est libérée le 10 mars 2010. Le 23 août, annonce officielle de la libération des deux autres volontaires espagnols. Cette libération a été précédée par l’extradition vers le Mali de l’auteur de l’enlèvement, «Omar le Sahraoui», et dont le retour au Mali était une des exigences d’Aqmi.
– 18 décembre 2009 : Enlèvement en Mauritanie de deux Italiens, Sergio Cicala, retraité, et son épouse Philomene Kabouree, revendiqué par Aqmi. Libérés le 16 avril 2010.
– 19 avril 2010 : Un Français, Michel Germaneau, 78 ans, et son chauffeur algérien sont enlevés dans le nord du Niger. En mai, Aqmi revendique le rapt, puis diffuse un enregistrement sonore et une photo du Français enlevé.
Le 22 juillet, l’armée mauritanienne mène une opération contre «une base» d’Al-Qaïda «dans le désert» et tue des «terroristes armés». Paris confirme avoir participé à l’opération avec l’objectif de retrouver Michel Germaneau. Le 25 juillet, le chef d’Aqmi, Abou Moussab Abdelwadoud, annonce dans un enregistrement sonore que l’otage a été exécuté. Le 26 juillet, le président français Nicolas Sarkozy confirme la mort de Michel Germaneau.
– 16 septembre 2010 : 5 Français, un Togolais et un Malgache, pour l’essentiel des salariés des groupes français Areva et Satom, sont enlevés dans la nuit dans la région minière d’Arlit, dans le nord du Niger