La chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, le parquet et les familles de victimes se sont accordées, mardi 27 mars devant le tribunal de Paris, pour que la chaîne ne diffuse pas la vidéo des assassinats commis par Mohamed Merah et remette à la justice les copies dont elle dispose. Dans une initiative rarissime, la chaîne avait été assignée au civil par le parquet de Paris en référé d’heure à heure pour empêcher la diffusion de cette vidéo, au nom de la défense de l’ordre public et notamment de la protection des victimes des tueries. Deux familles de victimes avaient décidé de se joindre à cette procédure de référé.
Dès réception de la vidéo lundi au bureau parisien de la chaîne, » la pièce a été remise aux services de police, spontanément « , a rappelé son avocat, Me Antoine Comte devant le tribunal des référés. Le directeur d’Al-Jazira France, Zied Tarrouche, a alors » annoncé qu’il était obligé d’en transmettre un exemplaire à sa direction qatarie « , seule responsable des décisions éditoriales.
M. Tarrouche et son avocat ont proposé que les copies placées dans un coffre-fort de la chaîne à Paris soient remises à un juge d’instruction. » Je ne voudrais pas qu’on ajoute l’horreur du spectacle à l’horreur des faits « , a déclaré Me Comte. Une solution acceptée par Me Lef Forster, l’un des avocats des familles. Son confrère Me Patrick Klugman a toutefois exigé qu’une décision visant à interdire la diffusion soit rendue par le tribunal. Ce dernier rendra sa décision mercredi à 17 heures.
Engagement à ne pas diffuser les images
Avant cette audience, fixée à 17 heures, Al-Jazira avait déjà annoncé qu’elle ne diffuserait pas la vidéo des tueries de Mohamed Merah, reçue la veille à son bureau parisien. Cette décision a mis fin au délai de réflexion que s’était accordé la chaîne. Lors d’une interview sur la chaîne d’information BFM TV le chef du bureau de Paris, Zied Tarrouche, avait indiqué dans la matinée que la chaîne » va décider aujourd’hui du sort de cette vidéo « , c’est-à-dire » de diffuser cela ou pas « .
Dans un communiqué, un porte-parole de la chaîne a indiqué que » conformément à son code d’éthique et compte tenu du fait que les vidéos n’ajoutent aucune information qui n’est pas déjà du domaine public, Al-Jazira ne diffusera pas leurs contenus « . Cette vidéo, qui s’intitule » Al-Qaida attaque la France « , ne montre pas le visage du tueur, ne contient aucune déclaration de sa part et Mohamed Merah, qui a été abattu jeudi dernier par la police, paraît agir seul.
Les autorités et les familles » soulagées »
Les autorités françaises, Nicolas Sarkozy en tête, avaient instamment demandé à ses responsables de ne les diffuser » sous aucun prétexte par respect pour les victimes et par respect pour la République « . Le président a salué une décision » raisonnable « , assurant qu’il était prêt à » faire ce qu’il faut pour empêcher la diffusion du signal » si la vidéo devait être » détournée par des télévisions appartenant ou proches d’organisations propageant des idées terroristes « . François Hollande avait également adressé une mise en garde appuyée à Al-Jazira.
» C’est bien, c’est la bonne décision, c’était la seule décision à prendre « , a déclaré Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier parachutiste tué par Mohamed Merah. » Là, tout de suite, je suis soulagée, car c’était l’honneur de mon fils (qui était en jeu). Je ne veux pas que mon fils soit sali « , a-t-elle insisté. Elle avait plus tôt imploré la chaîne de ne pas diffuser ces images, comme l’avait fait également la famille de Jonathan Sandler, le professeur de religion assassiné avec ses deux fils Arieh, 5 ans, et Gabriel 4 ans.
Un mixage de musique et de chants religieux
Mohamed Merah a filmé ses crimes avec une petite caméra sanglée sur lui. » On voit toute les attaques perpétrées à Toulouse et à Montauban dans l’ordre chronologique, c’est-à-dire l’assassinat du premier soldat, après les trois soldats et enfin, l’attaque de l’école « , indique Zied Tarrouche. Les vidéos sont montées : » Il y a un mixage de musiques et des chants religieux, des lectures, des récitals de versets coraniques. En montrant les coups de feu au moment des assassinats, on entend la voix de cette personne, les cris des victimes. »
» On n’est pas une chaîne de sensationnel, on ne cherche pas à diffuser des images sans mesurer les risques et les conséquences, et c’est pour cela que la direction va décider aujourd’hui lors d’un meeting au siège, au Qatar, de la diffusion de cette vidéo ou pas « , avait ajouté mardi matin le patron du bureau français d’Al-Jazira.
Concernant le courrier qui accompagne ces vidéos, » c’est écrit en français avec des fautes d’orthographe, de conjugaison « , a-t-il indiqué, ajoutant : » C’étaient quelques petits mots comportant la revendication de ces attentats par soi-disant Al-Qaida. » Les enquêteurs ont indiqué que Mohamed Merah n’est pas l’expéditeur de la vidéo.
Les enquêteurs à la recherche d’un troisième homme
Les enquêteurs français tentent d’identifier un » troisième homme « , qui aurait pu prendre part avec les frères Merah au vol du scooter utilisé par Mohamed Merah lors des tueries de Toulouse et Montauban, ont indiqué des sources proches de l’enquête.
Une des sources a précisé que cet homme, qui n’a pas été identifié, était peut-être impliqué dans d’autres épisodes précédant les tueries, comme l’achat d’accessoires de moto pour Mohamed Merah, ou le fait d’avoir tenté d’obtenir des renseignements sur la manière de neutraliser le » traqueur » du scooter T-Max 530, un outil antivol permettant de le localiser.
Les enquêteurs continuent de privilégier la thèse d’un acte isolé de Mohamed Merah avec éventuellement la complicité de son entourage proche, en particulier son frère Abdelkader, qui est pour l’heure le seul judiciairement mis en cause. S’il reconnaît avoir été présent lors du vol du scooter, il a nié en garde à vue avoir pris part aux crimes de son cadet et selon son avocate n’est » pas du tout fier » de Mohamed. Il a été placé à l’isolement à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne).
De source proche de l’enquête, on indique qu’Abdelkader a également fait, pour le compte de son frère, des achats d’ « accessoires de motocycliste « . Par ailleurs Abdelkader aurait dîné avec son cadet le 18 mars, la veille de l’attaque de l’école juive.
Merah était-il un indic des renseignements français ?
L’ancien chef de la DST (Direction de la surveillance du territoire) Yves Bonnet s’est ouvertement interrogé mardi sur la possibilité que le tueur au scooter Mohamed Merah ait été un indicateur des services de renseignement français.
Une amorce de polémique à laquelle la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a voulu tout de suite couper court. Merah, retranché à son domicile toulousain, est mort lors de l’assaut donné par les services d’élite du Raid.
« Eh bien voilà, c’est exactement ça la problème », répond Yves Bonnet au quotidien La Dépêche du Midi, qui lui demande dans sa livraison de mardi si le tueur au scooter était un indicateur de la DCRI, « car ce qui interpelle quand même, c’est qu’il était connu de la DCRI, non pas spécialement parce qu’il était islamiste, mais parce qu’il avait un correspondant au renseignement intérieur ».
« Or avoir un correspondant, ce n’est pas tout à fait innocent. Ce n’est pas anodin », ajoute cet ancien grand flic avant de préciser. « Appelez ça correspondant, appelez ça officier traitant… Je ne sais pas jusqu’où allaient ces relations, voire cette collaboration avec le service, mais on peut effectivement s’interroger sur ce point. »
« Pas un indic » pour le chef de la DCRI
Des interrogations balayées par l’actuel directeur de la DCRI, entité qui regroupe à la fois l’ancienne DST et la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG). Mohamed Merah n’était « ni un indic de la DCRI, ni d’autres services français ou étrangers », a affirmé mardi à l’AFP le chef de la DCRI.
Merah a été convoqué en novembre 2011 par la DCRI de Toulouse « parce que nous voulions recueillir des explications sur son voyage en Afghanistan. C’est un entretien administratif sans contrainte, puisque nous n’étions pas dans un cadre judiciaire (…) », avait assuré vendredi Bernard Squarcini. « Des dispositions ont été prises, avait-il poursuivi, la DCRI l’a notamment inscrit au fichier des personnes recherchées pour être informé en cas de contrôle et de déplacements ».(AFP et Reuters)