L’homme qui fait peur aux Moubarak
Sa fièvre d’après-disqualification atténuée, l’Egypte tressaille à convulser face à ses tâches domestiques un moment délaissées. Le délire passé, le clan Moubarak ouvre les yeux sur la menace Al Baradai. Peur panique chez les dépositaires du régime.
Sofiane Aït Iflis Alger (Le soir)- Si la personnalité d’Al Baradai n’avait pas existé, Hosni Moubarak et ses égéries ne se seraient certainement pas amusées à la fabriquer. L’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) lorgne sérieusement le trône que le président Moubarak aurait à l’idée de léguer à son rejeton, Djamel Moubarak. Al Baradai, dont la lune de miel filée avec l’opposition est un secret de Polichinelle, se poste en postulant le plus à même de fausser les calculs de Moubarak.
Rien qu’à l’annonce de sa probable candidature pour la présidence égyptienne, le clan Moubarak, qui a régné sans partage sur la vallée du Nil des décennies durant, panique, sonne le tocsin pour sa presse pour descendre en flammes ce concurrent gênant. Aussitôt ordonné, aussitôt exécuté. La presse proche du pouvoir égyptien, puisant dans sa réserve de fiel, a pris en mire Al Baradai.
Acharnement. Les journaux Al Ahram et Al Djamhouria n’y sont pas, en effet, allés de main morte pour vilipender celui que le clan Moubarak semble avoir désigné comme ennemi à abattre. L’une comme l’autre publication cairote a prestement concocté les potions qui jusque-là ont fait recette dans le monde arabe, s’agissant de vouer aux gémonies des adversaires politiques.
Al Baradai, qui doit sa notoriété internationale à ses activités en tant que directeur de l’AIEA, une agence onusienne, est accusé des pires tares que, dans la compréhension des Egyptiens, pouvait charrier un postulant à la magistrature suprême : l’inexpérience politique mais surtout la jouissance de la double nationalité. Les médias égyptiens, au professionnalisme douteux — on a eu tout le loisir de le vérifier —, se sont fendu expressément de ces deux reproches à l’encontre d’Al Baradai pour enfin conclure qu’il ne pouvait, de ce seul fait, être candidat à la présidentielle. A lire les commentaires de la presse cairote, pour Al Bradai, la cause est entendue.
La Constitution égyptienne, font-ils remarquer, exclut les binationaux de la course au trône. Argument de parade, s’il en est. Car Al Baradai n’a pour le moment pas fait acte de candidature solennelle pour examiner son engagement à l’aune de la Constitution. Le Nobel de la paix, qui a traqué bien des fissions atomiques, ne semble dupe de rien. Il sait que ses seules notoriété et hardiesse ne suffiront pas à faire de lui le successeur de Moubarak en 2011.
Il est conscient que sa candidature serait vaine tant que les règles du jeu électoral sont dictées par le régime égyptien. Aussi, a-t-il choisi d’attaquer de ce coté-là. Dans un communiqué rendu public, Al Baradai pose la question des conditions à réunir pour une compétition électorale loyale. Agé de 67 ans, dont 12 années passées à la tête de l’AIEA, Al Baradai a revendiqué une supervision internationale de l’élection présidentielle de 2011.
Pour lui, c’est la seule garantie de transparence du scrutin. Sans être franchement partisan, du moins jusque-là, Al Baradai revendique aussi la réforme des conditions d’éligibilité à la tête de l’Etat égyptien. Il réclame que la possibilité de candidature soit ouverte à l’ensemble des citoyens égyptiens, qu’ils aient une chapelle partisane ou pas. Ceci sans omettre d’appeler à la levée de toutes les entraves constitutionnelles que le régime dresse devant les ambitions politiques des Egyptiens.
Le clan Moubarak semble vivre ces propositions-revendications comme des crimes de lèse-trône. D’où sa réaction virulente, le moins qu’on puisse écrire, traduite dans un premier temps pas une levée de boucliers médiatique. Al Ahram a reproché crûment à Al Bradai d’appeler, voire fomenter un coup d’Etat constitutionnel pour, écrit le journal, qu’il puisse se porter candidat. Al Ahram, tout comme Al Djamhouria, a accusé aussi Al Baradai de faire siennes les revendications d’organisations étrangères, relayées par des associations nationales telle l’Association pour la protection des minorités.
C’est à peine s’il n’est pas reproché à Al Baradai de faire lui-même partie des minorités. D’ailleurs la conclusion à laquelle sont parvenus les deux journaux est en l’espèce édifiante : Al Baradai ne connaît pas bien l’Egypte. Sentence que formule à sa manière le journal Al Massai qui a titré : «Un président importé pour l’Egypte.» On le voit bien, la candidature d’Al Baradai dérange Moubarak et les siens. En témoigne cet acharnement éditorial à son encontre, alors qu’il n’a fait jusque-là que poser les conditions d’une éventuelle inscription en course.
Il veut jouer à la régulière, et cela n’agrée pas les tenants du pouvoir en place. Moubarak sait pertinemment que son rejeton de fils ne fera que piètre figure face à une candidature aussi calibrée que celle d’Al Baradai. Ce dernier est, au demeurant, courtisé par le principal parti d’opposition en Egypte qui, déjà, lui offre la présidence pour pouvoir postulé à la présidence en toute aisance. Le régime électoral égyptien impose pour les candidatures partisanes un minimum d’une année de membre de la direction d’un parti politique. Et pour les candidatures indépendantes, il est exigé le parrainage de 250 hommes politiques, dont au moins 65 députés et 25 sénateurs et 10 élus municipaux. C’est largement à la portée d’Al Baradai.
S. A. I.