Une fois que son mari Hadj Saïd Saïd eût rejoint la révolution à la première heure, Josiane prit le maquis à son tour, non pas pour être auprès de son époux, mais pour se mettre à la disposition de l’ALN.
La population, les moudjahidine, les autorités locales et les comités des villages d’Aït Semlal et Achalam se sont rassemblés en ce lundi 1er mai afin de rendre un hommage particulier à une grande dame chahida de la guerre de Libération nationale. Il s’agit de Mme Hadj Saïd Saïd, née Koffi Josiane qui a vécu dans ce village pendant la colonisation. Et au déclenchement de la guerre de Libération nationale, son mari prit le maquis dès la première heure, laissant sa femme et son fils à peine âgé de quatre ans.
Aussitôt Josiane prit le maquis à son tour, non pas pour être auprès de son époux, mais pour se mettre à la disposition de l’ALN; les responsables locaux avaient alors préféré la charger de certaines tâches, en même temps que les autres femmes.
S’étant intégrée au sein de la population, elle s’est totalement engagée au service des maquis; elle s’acquitta à merveille des tâches qui lui furent confiées, pour le grand bonheur des autres femmes et des responsables locaux de l’ALN qui voyaient en elle une patriote. Après quelques pérégrinations dans les maquis et les durs combats de l’opération «Jumelles», elle se vit forcée d’avoir à rejoindre le village Aït Semlal.
Engagement total
Ce n’était pas chose facile, puisqu’elle était d’origine française. Cependant, avec ses habitudes au sein de la société algérienne, notamment en embrassant la religion musulmane depuis son arrivée en Algérie et parlant parfaitement le kabyle, elle s’est trouvée en symbiose avec la population, épousant non seulement un homme du village Achalam, mais aussi toutes les coutumes et les traditions.
Le problème qui se posait à elle était dû à son teint européen et ses yeux bleus, donc différente des autres. Lors des incursions des soldats au village, elle enduisait son visage de suie, se barbouillait les membres en ajoutant des boucles d’oreilles berbères et en se faisant même des tatouages au visage, ce qui lui donnait une parfaite ressemblance avec la femme algérienne.
Pour ses yeux bleus et sa blonde chevelure, une vieille femme qui avait deux filles du même type, la prit en charge. Et lorsque les soldats essayaient de dévisager Josiane, ils se heurtaient à son opposition en les menaçant de ne pas toucher à ses filles.
Mais le stratagème ne dura pas longtemps car elle fut arrêtée, peut-être sur dénonciation. Les soldats du poste de Takheroubte n’en revenaient pas! Une femme de leur race, de leur pays vivant au milieu de cette population qui leur était hostile! Cela ne lui a pas évité les tortures, espérant lui arracher quelques renseignements, comme si ses tortionnaires voulaient la sensibiliser sur la solidarité de la race. Mais rien n’y fit. Par représailles, elle fut mise en demeure d’avoir à quitter la région et rejoindre la France dans les meilleurs délais. Prétextant de récupérer son fils avant de prendre le départ, elle fut relâchée et même avec un laissez-passer. Aussitôt, elle rejoignit le village d’Achalam qui est désormais le sien.
Les tortures qu’elle avait subies ont eu raison d’elle, puisqu’elle mourut en 1959, soit deux ans avant son mari devenu un brillant officier de l’ALN. Lorsque les soldats sont arrivés et trouvé le corps inerte, la vieille Maouchi Yamina, chef de refuge exhiba son livret de famille pour la faire passer pour Ourdia sa fille aînée.
En ce jour du 1er mai, un hommage des plus marquants lui est rendu, sur l’initiative de l’infatigable Mabrouk Rachedi qui s’est démené depuis toujours afin de parvenir à la reconnaissance et aux témoignages de respect qui sont dus à cette grande dame.
D’ailleurs parmi l’assistance, plusieurs intervenants ont tenu à le remercier pour tous les efforts qu’il a consentis et sans lesquels, peut-être qu’un tel hommage posthume n’aurait pas eu autant d’ampleur. Et puis ce fut le tour d’autres témoignages pour mettre en valeur la personnalité de cette chahida. Ce sont d’abord les vieilles qui prirent la parole qui, tour à tour, ont ému l’assistance par des paroles simples, des récits captivants avec moult détails sur la vie et le parcours de Josiane. Puis quelques vieux leur emboîtèrent le pas pour apporter leur témoignage jusqu’au petit détail.
L’émotion envahit la salle et nous voyons même quelques larmes couler sur des barbes blanches.
Des instants vraiment émouvants au cours desquels l’assistance a vibré au rythme de la tristesse du parcours de cette grande dame, qui avant de mourir, avait déjà perdu son fils. Quelle est l’âme qui peut rester insensible à un tel drame, devant une telle tragédie?
Réussite complète
Nous sentions que tous ces témoignages faisaient partie de l’écriture de l’Histoire de notre guerre de libération. Ils constituaient une belle leçon pour nous, pour tous ceux qui écrivent l’Histoire de ce pays, de cette guerre de libération afin de perpétuer les souvenirs et entretenir la mémoire collective. Chez ces vieilles et ces vieux témoins de la guerre, chaque mot qui sort de leur bouche résonne dans nos oreilles, comme pour nous faire le reproche de n’avoir pas assez fait pour la transmission du message des chouhada.
C’est dans cette ambiance faite de tristesse que des intervenants prirent la parole pour mettre en valeur cette rencontre particulière afin de participer à l’unisson à cet hommage combien émouvant. Ce fut le tour de l’infatigable Mabrouk Rachedi à qui, nous le rappelons, tout le mérité revient dans la concrétisation de cette rencontre. Lui-même, fils du chahid Amar Rachedi, n’a jamais cessé de fouiller, de rechercher, de se rendre partout, là où il pouvait avoir des informations sur notre Révolution en allant d’Est en Ouest, même jusqu’aux archives de Vincennes!
Le président de l’APC de Bouzeguène a quant à lui souhaité la bienvenue à l’assistance, en insistant sur son entière disponibilité quant à la préservation des monuments dédiés à la Révolution, ainsi que des projets en réalisation de certaines stèles. Puis ce fut le tour d’un enfant du village, un ancien officier de l’ALN, membre du PC de la Wilaya III historique en la personne de Maître Saâda Messous pour donner un aperçu sur le déroulement de la guerre dans la région, l’apport combien précieux de la population et l’ensemble des sacrifices consentis par tous aux côtés des moudjahidine.
Le Dr Hadj Saïd Nacer, un proche du mari de Josiane, dont la famille compte 17 chouhada, rappela quant à lui l’importance de cette rencontre qui fait partie de notre Histoire que nous devons tous préserver. Auparavant, son père Ahmed, ancien compagnon de détention de la chahida, avait essayé de témoigner, mais gagné par l’émotion, ses yeux se remplirent de larmes, même avec ses quatre-vingt-dix ans. Djoudi Attoumi, dernier intervenant s’est félicité de cette rencontre en faisant part de son émotion devant tant de témoignages authentiques et la grandeur de cette héroïne que l’assistance a honorée, en essayant de la faire revivre pour quelques instants avant de reprendre sa place dans l’Histoire.
Il évoquera les durs combats qui se sont déroulés dans la région lors de l’opération «Jumelles» qui a secoué les moudjahidine et la population. Il n’a pas omis de rendre hommage au colonel Akli Si Mohand Oulhadj, un illustre fils des Ait Idjeur qui fut le successeur du colonel Amirouche. Pour terminer, il présenta ses huit ouvrages dédiés à la guerre de Libération nationale en Wilaya III historique, cela pour éclairer le public sur tous ses efforts en matière d’écriture de l’Histoire et en le conviant à leur signature.
Cette rencontre fut une réussite grâce aux efforts de tous, car il s’agit là du devoir de chacun de nous de participer à tout ce qui peut honorer notre Révolution et glorifier nos héros.