Aires de jeu de proximité et réification du terreau sportif national Les jeunes, entre discours anesthésiants et triste réalité

Aires de jeu de proximité et réification du terreau sportif national Les jeunes, entre discours anesthésiants et triste réalité

L’urbanisation effrénée a vite fait de phagocyter la multitude d’espaces naturels eu œuvre d’homme invariablement adossée à une cité, un quartier, un petit bois…

Dans la wilaya de Constantine, ces espaces de proximité dont l’entretien était assuré de manière quasi darwinienne par l’usage régulier «imposé » par les groupes de jeunes qui y défilaient du matin à la fin de la journée.

Qui ne se souvient pas du terrain de la cuvette, si tant est qu’un terrain sillonné par deux crevasses et barré de trois arbres dont l’un oblique obligeant les apprentis footballeurs à slalomer et parfaire leur dribble mieux qu’un Gento, Kopa, Makhloufi et/ou Garrincha de l’époque sinon être en éveil permanent pour ne pas tomber dans les anfractuosités précédemment évoquées.

La cuvette, c’était le centre-ville sans l’être réellement, mais il suffisait tout juste de traverser le pont de Sidi Rached pour quitter le brouhaha d’une vieille ville à laquelle faisait face comme pour la narguer l’autre partie de la cité, celle européenne. De ce petit espace sont sortis pourtant de grands joueurs qui ont fait le bonheur des deux clubs phares de la ville en l’occurrence le MOC et le CSC alors que le reste des stars locales évoluaient sur des terrains aussi naturels comme celui de la cité Gaillard, Halbedel, Mme Rauque, El Menchar, Khemisti, hippodrome. Tous ces terrains sans exception ont fourni la fine fleur de la discipline jusqu’à en conduire certains en sélection nationale (Hanchi, Fendi, Khaine, Krokro…)

Ces lieux de délivrance sont désormais investis par un jardin public aux portes toujours fermées (Cité Gaillard), l’université des sciences islamiques (Rauque), des immeubles et des chalets (El Menchar), un hôtel militaire et le Palais de la culture Malek-Haddad (Khemisti), une énorme cité-béton (hippodrome), ce qui n’empêche pas toutefois aujourd’hui les jeunes de donner libre cours à leur instinct sportif sauf qu’ils sont contraints d’évoluer dans des mouchoirs de poche et à patienter des heures pour pouvoir en hériter au cas où l’espace serait déjà occupé… et il l’est à tous les coups.

Comble du paradoxe, même les venelles de la vieille ville, habituels terreaux des petites pousses sportives sont squattés par les étals du commerce informel au moment où l’espace entre deux hideux immeubles n’est plus viable compte tenu de la présence phénoménale de véhicules en stationnement ou encore des amas d’immondices et, «cerise sur le gâteau», exposent ceux qui auraient des velléités d’usage, de ce qui se reste, aux vitupérations de l’irascible locataire du rez-de-chaussée.

Ce sont pourtant ces mêmes espaces épars à travers toute la wilaya qui ont permis à des prospecteurs de talents d’exploiter non pas les personnes, mais justement le talent de ces jeunes footballeurs, permis leur éclosion et surtout permis à la discipline de donner les meilleurs moments de liesse et de joie aux populations. D’où sont issus Bachi, Bousri, Gamouh, feu Fréha, Dali et Draoui, Belkedrouci, Mattem, Hadjou et plus récemment Madjer, Belloumi, Assad, Bensaoula, Merzekane.

Lesdits prospecteurs le faisaient pour l’amour de la discipline, ce qui n’est pas le cas des requins qui, signe des temps, s’improvisent ou s’autoproclament agents de joueurs. Feu Khabattou, Azzouz Barkat, Arribi et bien d’autres auront de leur vivant donné au pays le must des musts des footballeurs même s’ils restaient persuadés, à leur corps défendant, qu’ils existaient de fortes chances d’avoir laissé en rade encore ce qu’il y avait sans doute de meilleur. C’est dire le gisement qu’étaient les terrains vagues et autres espaces d’expression sportive.

Enfin l’Etat s’est souvenu sur le tard de ce glorieux passé et obligé les secteurs concernés à mettre en place un programme politique d’exploitation des espaces vacants dans les cités et les grands ensembles populaires et partant de cette action de donner aux jeunes les moyens d’occuper les plages de temps libre, mais aussi de les éloigner de manière très pédagogique de toute forme d’attraction négative à l’origine de fléaux sociaux à tête multiple.

Depuis trois ou quatre années, le secteur de la jeunesse et les sports s’est donc résolu à exploiter ces espaces, matérialisant son action par leur dotation d’équipements adaptés. Ce qui est louable sauf qu’il existe une sorte de discrimination en ce sens et la preuve peut en être apportée à hauteur de la wilaya de Constantine où selon que le lieu d’implantation abrite une population d’extraction aisée et quasi obligatoirement des équipements huppés, un aménagement durable et jusqu’au lieu d’implantation choisi de nature à bénéficier d’une protection permanente ou au contraire une autre ordinaire et donc scellé en plein milieu d’un terrain boueux en hiver, sec et accidentel en été. Ainsi en-est-il.

Dans l’impossibilité de prendre en charge l’entretien, les pouvoirs publics locaux désignent de fait des «volontaires» résidant à proximité de l’espace concerné, lesquels se font rétribuer ou se rétribuent sur les droits d’utilisation versés par les formations qui en recourent à l’usage tout en affectant une partie des recettes à la maintenance des lieux.

Ce qui, malheureusement, est loin d’être évident et il suffirait de faire une tournée aux alentours de ces aires de jeu pour réaliser que si les filets des buts ne sont pas disponibles, ceux qui le seraient sont en général rafistolés à partir de fil de pêche et sommairement cousus, le filet de protection inexistant, le grillage troué, le parterre revêtu d’un matériau spécial rarement propre et enfin divagation d’animaux (chiens, moutons et vaches), un éclairage défaillant et bien loin des projecteurs qui illuminent les terrains des cités opulentes.

Au Khroub, la municipalité qui n’arrête pas de faire depuis plus d’une année des déclarations mensongères aux jeunes des cités 1 000, 1 013, 1 039 logements, pour les mobiliser à l’occasion d’une activité politique qui valoriserait la majorité élue en place leur promet régulièrement de doter «le stade goudron» leur espace de prédilection d’une pelouse synthétique. Pis, à la fin de l’année écoulée, l’APC avait décidé d’autorité, donc sans consulter les habitants, d’installer une foire commerciale sur une durée de quinze jours.

La forte mobilisation des habitants, lesquels étaient prêts à en découdre avec les autorités concernées avait dissuadé celle-ci (APC) et lui a fait déplacer le projet vers un lieu plus approprié. En fait, les jeunes et leurs familles reprochaient au Pr. Aberkane et son équipe de ne pas arrêter de faire des promesses sans les faire suivre d’effet.

D’ailleurs, les précédentes foires commerciales avaient été implantées sur le même terrain à la faveur de cette promesse, les jeunes ne demandant qu’à avoir l’usage d’un terrain qui contribuerait à préserver leur intérêt physique et non pas un espace hideux où seule l’aire de jeu en béton est encore viable compte tenu du fait que tout ce qui l’entoure n’est constitué que d’immondices, d’objets hétéroclites et autres matériaux dangereux.

Il est aisé de comprendre qu’avec ce tour d’horizon, les terrains vagues ne constituent plus ce réservoir intarissable qui faisait les beaux jours des clubs algériens comme il est tout autant normal qu’un jeune aille s’enfumer dans un café, ronger sa rancœur à l’endroit de tout ce qui représente l’ordre.

A. L.