Aïn Defla, une wilaya agricole par excellence Cherche main-d’œuvre désespérément !

Aïn Defla, une wilaya agricole par excellence Cherche main-d’œuvre désespérément !
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Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en pleine crise, des secteurs entiers expriment des besoins criants en main-d’œuvre et se voient obligés d’aller la chercher dans le secteur informel, voire chez les immigrés clandestins. Que ce soit dans le BTPH ou l’agriculture, tous les opérateurs se plaignent du manque, sinon de l’absence de main-d’œuvre. Pour illustrer cette situation, nous nous sommes rendus à Aïn-Defla, wilaya agricole par excellence, afin d’essayer de comprendre les raisons d’une telle pénurie.

Avec ses 235.000 ha de surface agricole exploitée, la wilaya d’Aïn Defla se hisse parmi les pôles de développement par excellence de l’agriculture et tout ce qui gravite autour. Selon les données fournies par la Direction des services agricoles (DSA), la wilaya d’Aïn Defla compte quelque 245.000 exploitations agricoles employant quelque 88.000 personnes, dont les exploitants et les travailleurs saisonniers.

Les raisons d’une désaffection

Même constat fait par Amar Saâdi, responsable à la DSA. « Le machinisme est une arme à double tranchant. Il est bénéfique lorsqu’il s’agit de grandes récoltes, de conditionnement ou de présence d’une industrie agro-alimentaire. Dans une wilaya où la culture maraîchère est dominante, la récolte de la pomme de terre, principal produit de la région, se fait manuellement. Même s’ils disposaient de machines, les fellahs ne peuvent pas le faire en hiver, en raison de la boue. D’ailleurs, certains le font en partie avec les tracteurs. » Il existe des machines planteuses et arracheuses pour la pomme de terre, mais elles coûtent cher et ne sont pas forcément adaptées à tous les terrains, surtout ceux accidentés. Mais ce n’est pas la seule raison de la désaffection des jeunes. Il y a surtout les conditions de travail pénibles et aléatoires qui font fuir bon nombre d’entre eux. « Le fellah n’a pas les moyens d’assurer ses employés ou de les faire travailler à plein temps », reconnaît Amar Saâdi, tout en faisant remarquer que le secteur manque cruellement d’emplois qualifiés (greffage, taille, réglage des machines, traitement phytosanitaire…). De son côté, Hadj Djaâlali fera remarquer que la majorité des fellahs louent les terres à prix fort (on parle de 70 millions de centimes l’hectare). « D’ailleurs, beaucoup de fellahs de la région ont dû partir ailleurs, notamment à El Oued, où le loyer est moins élevé », dira-t-il. C’est pourquoi, estime-t-il, que la région accuse un manque en termes de main-d’œuvre qualifiée « On ne devient pas chauffeur de tracteur juste par ce qu’on dispose d’un permis de conduire. Des jeunes qui travaillaient comme chauffeurs dans les champs ont déposé des dossiers au niveau de l’Ansej et disposent de leurs camions. Ils engrangent de grosses marges bénéficiaires en assurant le transport entre les champs et les marchés de gros. » Souvent, pour le cas de l’arboriculture, par exemple, on fait appel à des jeunes de la Mitidja, faute de main-d’œuvre qualifiée au niveau local. Chez les jeunes, c’est un autre son de cloche. « Le fellah est pressé de lancer sa campagne de semences ou d’arrachage. Cela dépend des conditions climatiques. Des fois, il n’a que quelques jours pour le faire, alors, il veut de la main-d’œuvre bon marché, tout de suite et qui travaillera d’arrache-pied avant le retour des pluies. C’est fatigant, parfois, cela demande des efforts surhumains », note Rachid, un étudiant qui se faisait de l’argent de poche grâce au travail dans les champs. « C’est vrai que cela rapporte », reconnaît-il (70.000 dinars par hectare), mais « parfois, on nous demande de travailler la nuit, à l’aube et parfois même durant le ramadan. Avec la chaleur de la région, c’est vraiment insupportable. »

Les lycéens forment le gros contingent des travailleurs saisonniers. Mais ils sont devant un dilemme permanent : faut-il se contenter de travailler pendant les périodes de vacances scolaires ou « griller » quelques cours pour répondre à la demande urgente des fellahs ? Imad passe son bac cette année et avoue hésiter entre aller travailler encore quelques jours dans les champs et se consacrer aux études « Qui n’a pas besoin d’argent ? », interroge-t-il, avant de lancer : « Je sais que c’est un travail temporaire, mais j’ai besoin de cet argent pour m’acheter des vêtements et aider ma famille. » Mais Imad, comme Rachid, pointent du doigt les conditions de travail difficiles. « Ni assurances, ni repos, ni aucun droit. Si l’on se blesse, tant pis pour nous. Le plus grave, c’est quand il s’agit de traitement phytosanitaire. Tout le monde sait que c’est cancérigène, mais les travailleurs ne sont pas protégés. Il n’y ni gants, ni masques, ni aucune mise en garde. On essaye de se protéger comme on peut, de se renseigner là où on peut, mais on sait qu’on est exposé au danger. Heureusement qu’on ne se fait pas d’illusions. On sait que ce travail n’est que temporaire et qu’on ne passera pas notre vie à le faire », conclut Rachid qui aspire devenir cadre dans l’administration.

Et la solution ?
Dans un secteur souvent régi par les conditions atmosphériques et où les coûts de production et les marges bénéficiaires jouent au yoyo, les agriculteurs ont du mal à trouver leurs comptes. A présent que la pomme de terre est abondante, les fellahs sont obligés de la céder à 10 DA, voire 8 DA le kilogramme. Même si l’Etat a mis en place un dispositif pour fixer un prix de référence de ce tubercule, il n’en demeure pas moins que les fellahs ne trouvent pas leurs comptes dans pareille situation.
N’empêche, le manque de main-d’œuvre devrait coûte que coûte être pallié et, présentement, la tendance est d’aller la chercher dans les zones rurales auprès de la gent féminine. En effet, plusieurs fellahs estiment que c’est la voie la mieux indiquée.
C’est ce que avons constaté dans les deux plus grandes pépinières maraîchères, notamment celle d’El Attaf où plus de 700 femmes y travaillent. « C’est un travail qui nécessite de la patience et de la précision », note un responsable de la pépinière.
D’autres fellahs ont dû se résoudre à faire appel à leurs connaissances pour ramener de la main- d’œuvre saisonnière là où elle se trouve, pourvu qu’ils sauvent leurs récoltes. Mais à moyen et long termes, les responsables de la wilaya ont tracé un programme ambitieux en vue de limiter ce déficit. En effet, la Chambre d’agriculture de la wilaya a signé une convention avec la Direction de la formation professionnelle en vue d’assurer des formations spécialisées aux jeunes ruraux dans diverses spécialités (pomme de terre, miel, élevage en tous genres, machinistes, conducteurs d’engins agricoles,…). Ces formations devraient permettre de fixer les populations rurales et leur offrir des emplois stables et bien rémunérés. La spécialisation est donc le maître-mot dans la stratégie des responsables locaux, en vue de donner à l’agriculture un cachet stable et durable. D’ailleurs, même au niveau de l’Ansej et de la Cnac, on exige aux jeunes désirant acquérir du matériel agricole une formation spécialisée. L’exemple le plus édifiant concerne l’irrigation des champs réservés à la culture du melon et de la pastèque. Par le passé, on faisait appel à des jeunes qui trainaient, sur des kilomètres, de longs et lourds tuyaux pour arroser les champs. Avec l’introduction du système d’irrigation goutte-à-goutte, plus besoin de ces jeunes et plus besoin de gaspiller de l’eau.
D’ailleurs, 10.000 ha de foncier viennent d’être dégagés pour l’investissement dans l’industrie agroalimentaire. La wilaya est beaucoup plus connue pour sa production de pomme de terre (40% de la production nationale). Outre la future zone industrielle de Tiberkanine qui sera entièrement dédiée aux investissements agroalimentaires, ce sont 10.000 ha de foncier industriel récupérés des anciens périmètres qui étaient gérés par la Générale des concessions agricoles qui seront exclusivement destinés à l’implantation de grands complexes agricoles. Cette annonce est de nature à soulager autant les producteurs agricoles locaux que les investisseurs en puissance. Aïn Defla, dans cette optique, ce n’est pas uniquement la pomme de terre, mais d’autres produits maraîchers et une production arboricole fruitière des plus appréciables.