«L’Algérie risque de regretter Saâdane»
«Même s’il écarte tous les joueurs, Benchikha est le premier responsable, il faut respecter ses choix»
Aimé Jacquet s’est adressé, encore une fois, aux lecteurs du Buteur. L’ancien sélectionneur français champion du monde 98 nous a accordé son cinquième entretien en un an. Toujours disponible, il a aimablement répondu à nos questions dimanche dernier. Dans cet entretien, il a tenu à défendre l’ex-coach Saâdane ainsi que son successeur, Benchikha. Appréciez !
Monsieur Jacquet, bonsoir, c’est Le Buteur, un journal sportif qui vous est devenu familier. Pourriez-vous nous accorder un entretien ?
Bonsoir ! C’est toujours avec grand plaisir que je m’adresse à vous. Toutefois, je serai à votre entière disposition dans une demi-heure.
OK, pas de problème…
30’ plus tard (ndlr, dimanche)
Monsieur Jacquet, après une participation en Coupe du monde, la sélection algérienne a connu le départ du sélectionneur Rabah Saâdane, conséquence de la défaite lors de la première journée des éliminatoires de la CAN…
Pour être sincère avec vous, je n’ai pas suivi le parcours de l’EN d’Algérie après la Coupe du monde. J’ai toujours pensé que M. Saâdane méritait d’être reconduit à la tête de la sélection, après son parcours en Coupe du monde. Maintenant, il est fort possible qu’il ait pris la décision de se retirer de son plein gré. Je ne connais pas les véritables raisons de son départ, donc je ne peux me prononcer sur la question.
Monsieur Jacquet, le parcours de l’Algérie n’a pas été fameux au Mondial. Deux défaites, un nul, zéro but marqué et, surtout, bon dernier du groupe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes…
(Il nous coupe), il avait un très bon projet sportif, c’est pour ça que je pense qu’il méritait de rester à la tête de la sélection. Il faut lui laisser le temps de bâtir une grande équipe. Ce n’est pas à cause d’un nul qu’on provoque le départ de l’entraîneur. A mon avis, c’est une erreur.
M. Saâdane a justifié son départ par la pression exercée sur lui, même si on laisse entendre qu’il a été poussé vers la porte de sortie…
Ecoutez, c’est simple. S’il a pris la décision de se retirer, cela veut dire qu’il aurait probablement senti qu’il ne pouvait plus travailler à l’aise. Maintenant, la décision lui revient, il a fait son choix et il sait très bien pourquoi il l’a fait.
Si vous aviez été à sa place, auriez-vous agi de la sorte ?
Probablement. Lorsque les conditions de travail ne sont pas réunies, il vaut mieux se retirer.
Lors de votre passage à la tête des Bleus, vous avez été très souvent critiqué…
Oui, c’est vrai. J’ai été critiqué, très souvent même, comme vous l’avez dit, mais c’était de la part de la presse. J’avais le soutien de mes responsables. Mes dirigeants me faisaient entièrement confiance. Cette confiance me stimulait à travailler davantage et faire de mon mieux pour réaliser quelque chose.
A votre avis, les dirigeants du football algérien avaient-ils bien fait de renouveler la confiance à M. Saâdane, après le Mondial ?
Tout à fait. La Coupe du monde a démontré que le football algérien pouvait rivaliser avec les meilleurs. Même si les résultats n’ont pas suivi, j’ai beaucoup apprécié le football pratiqué par les Algériens en Coupe du monde. Il manquait de l’expérience et des joueurs matures aussi. C’est pour cela que je pense qu’avec un peu de temps et sa philosophie de jeu, il pouvait faire quelque chose.
Après la Coupe du monde, M. Saâdane a enregistré un nul à domicile face à la Tanzanie en match officiel et une défaite face au Gabon, toujours à domicile…
Oui, mais ça peut arriver. Après une Coupe du monde, il est toujours très difficile de repartir. Mais je pense qu’avec sa philosophie de jeu, il a su instaurer une certaine discipline. Je ne sais pas si vous allez regretter M. Saâdane. L‘avenir nous le dira.
Après le match face à la Tanzanie, on sentait ce groupe à bout de souffle. A votre avis, quelle était la solution ?
Dans une sélection, ce n’est pas comme dans un club. Lorsqu’il y a un mauvais résultat, soit on fait confiance au sélectionneur, et on le laisse travailler pour une longue durée, soit on change de sélectionneur. En tout cas, si on change de sélectionneur après chaque revers, cela veut dire que la sélection ne va pas progresser. Il faut faire confiance au sélectionneur pour qu’il puisse mettre sa stratégie en place.
Etant donné qu’on lui a refait confiance après le Mondial, je ne vois pas comment on peut la lui retirer par la suite. Je pense que cela est complètement aberrant et sans signification. Soit il fallait chercher un autre sélectionneur après la Coupe du monde, soit le laisser travailler pour une longue durée. C’est simple.
La Fédération Algérienne de Football a suivi le modèle français en désignant Benchikha à la tête de l’équipe A, après avoir fait un passage chez l’équipe réserve, tout comme Domenech…
C’est une bonne décision de faire confiance à un entraîneur qui était en équipe réserve. Cela va lui permettre d’injecter de jeunes joueurs, puisqu’il a suivi leur évolution. Je suis persuadé que cette stratégie va porter ses fruits. Domenech a passé un bon moment en équipe de France olympique, il a donné un plus lors de sa venue.
Que pourrait-il apporter ?
Il va apporter son dynamisme, il va apporter un plus en injectant de jeunes joueurs. Il y aura ainsi un amalgame entre anciens et nouveaux joueurs. Ce sera une bonne chose pour la sélection.
M. Benchikha a commencé sa mission par une défaite à Bangui face à la RCA, une sélection qui n’a pas le niveau de l’Algérie…
Bon, pour être sincère avec vous, je n’ai pas suivi les dernières évolutions. Comme vous le savez, je ne suis plus le football comme auparavant, mais je peux donner mon avis sur la philosophie de jeu. Une défaite face au RCA n’est pas la fin du monde. Une sélection peut perdre face à une équipe de niveau inférieur. Il faut faire confiance au nouveau sélectionneur. Il faut le laisser travailler. On ne peut pas juger un sélectionneur sur un seul match. On pourra le juger après au moins une saison.
M. Benchikha a agi comme Laurent Blanc en écartant des éléments clés qui ont participé à la Coupe du monde ; serait-ce le meilleur choix ?
Je ne suis pas en mesure de vous répondre, car je ne connais les joueurs. En tout cas, il faut le laisser travailler, le laisser faire ses choix. Il a pris des décisions, maintenant il faudra les respecter, c’est déjà pas mal quand même.
Que voulez-vous dire par «pas mal» ?
Il est clair qu’il a apporté sa touche. Cela veut dire que si on le laisse travailler, il bâtira une équipe avec ses propres idées. Certes, vous allez me dire qu’il faudra des résultats. Oui, je suis entièrement d’accord avec vous. Un sélectionneur doit gagner. S‘il gagne, cela veut dire qu’il a réussi. S‘il perd, cela veut dire qu’il a échoué.
En écartant tous les joueurs qui ont participé à la Coupe du monde, pensez-vous que Laurent Blanc a fait le bon choix ?
Je ne réponds pas. Laurent Blanc a fait son choix et on le respecte. En France, tout le monde respecte ses choix et il va travailler tranquillement, au moins pendant deux ans. Je dis aux Algériens qu’il faut laisser M. Benchikha travailler. Je le répète encore une fois, il faut respecter les choix du sélectionneur, même s’il écarte tout le groupe, c’est lui le responsable. Sauf qu’il devra assumer ses responsabilités.
Laurent Blanc a déclaré dernièrement que le modèle de formation français, dont vous êtes un des défenseurs, est démodé. Il estime qu’il faudra suivre le modèle espagnol qui se base beaucoup plus sur la technique…
Je n’ai aucun commentaire à faire là-dessus.
En Algérie, on attend toujours la venue de Feghouli, Tafer et Brahimi…
La décision leur revient. C’est à eux de choisir. Soit ils optent pour leur pays d’adoption, soit pour le pays de leurs racines. Il faut qu’ils choisissent la sélection où se sentiront le plus utiles. Je ne peux m’étaler davantage, car je ne les connais pas bien.
On vous laisse le soin de conclure…
J’espère que votre nouveau sélectionneur aura le temps de travailler. Laissez-le et vous verrez qu’il réalisera quelque chose, j’en suis convaincu. Il faut aussi respecter ses choix.