Le Croissant-Rouge algérien (CRA) mène une caravane d’aide humanitaire au nord du Mali depuis le début du mois courant. Le premier convoi de l’action humanitaire d’envergure, que le CRA compte poursuivre pendant longtemps dans les trois grandes régions du nord de ce pays, tombées sous le joug des groupes armés, a quitté Bamako dans la soirée du lundi 9 juillet, en direction de Gao. Le deuxième convoi s’est ébranlé ce week-end, cette fois-ci, à partir de la ville frontalière de Bordj-Badji-Mokhtar pour aller vers Kidal. Tombouctou sera la prochaine destination du CRA…
À Gao, ville contrôlée essentiellement par le groupe dit le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest, la présence d’étrangers est dérangeante. L’importance d’une “mission purement humanitaire” du Croissant-Rouge algérien est, du fait, que c’est la première opération d’envergure que mène l’Algérie en direction des populations nord-maliennes abandonnées à leur sort. Même si le sigle du Croissant-Rouge algérien indispose certaines factions, le CRA a investi le terrain occupé jusqu’alors par la Croix, symbole du christianisme, choisie par d’autres mouvements humanitaires tels que le CICR ou encore la Croix-Rouge malienne. Au-delà de toutes ces considérations, la population attend l’aide humanitaire comme une délivrance. Pour elle, seuls les deux grands camions du CRA, bourrés de vivres, dont une partie du don algérien de 3 600 tonnes de riz transporté par avion sur Bamako et un important lot de médicaments de première nécessité, importent.
Gao sous le joug du Mujao
“On a faim !” est le mot d’accueil lancé en chœur, en bambara, par les autochtones, au passage de la caravane du CRA. “Ça donne vraiment la chair de poule !” rétorque à chaque fois la sage-femme, membre de la mission du CRA. Le long et harassant périple, plus de 1 200 km (Bamako-Gao), effectué par la caravane du CRA, n’a pas manqué de livrer plusieurs scènes similaires. Du Sud au Nord, le même cri de détresse est traduit dans toutes les langues parlées au Mali (le peul, le bambara, le tamachaq ou la langue targuie, le français, l’arabe…). Le Nord reste toutefois la région la plus affectée par la crise. De Douentza, ville distante de près de 800 km de la capitale, jusqu’à la frontière nord du Mali, vaste espace désertique abritant les villes de Tombouctou, Gao et Kidal, aucune institution ne fonctionne depuis le putsch du 22 mars. Plongées dans l’incertitude, les populations y survivent au gré du diktat imposé par différents groupes terroristes. Les barrages de contrôle et de surveillance de l’armée et/ou de la gendarmerie maliennes s’arrêtent exactement à la limite de la localité de Kona, dans la région de Mopti.
Zone franche, zone d’ombre
De Kona à Douentza, 125 km, c’est le no man’s land ! Désormais, cet espace séparant le Nord du Sud du Mali est laissé comme zone franche qui n’a rien à envier à celles qui se définissent entre deux pays frontaliers souverains. Mais à la nuance que c’est aussi une zone d’ombre qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Les militaires, d’un côté, et encore moins les terroristes, de l’autre, ne veulent pas, semble-t-il, s’y aventurer pour éviter tout affrontement. Les groupes du Mujao et d’Aqmi, ou encore d’Ançar Eddine, ont déjà beaucoup à faire avec leur ennemi du Nord, le MNLA, qu’ils viennent de pourchasser de la ville de Gao. Tandis que l’armée malienne reste encore fragilisée par le coup d’État opéré par (son) capitaine Amadou Sanogo. Mais, en dépit de ce terrain miné, la caravane du CRA passe…
Et les vivres livrés à la population. Le dernier contrôle d’usage ayant eu lieu à Sevaré, faubourg est de la commune de Mopti, la caravane du CRA passe la nuit du mardi à mercredi à Douentza. Au cours du voyage, le convoi et ses occupants ne ratent jamais de marquer une halte dans les différents villages pour saluer les citoyens et recueillir leurs doléances. À l’arrivée, décision est prise de distribuer “équitablement” les dons du CRA pour les citoyens des deux villages de Gossi (165 km de Gao) et Doro (105 km de Gao). Ces deux villages ont bénéficié respectivement de 10 et 5 tonnes de riz (200 et 100 sacs de 50 kg). Les autres 25 tonnes de riz et les médicaments sont livrés à Gao. “Ne vous inquiétez pas, on vous ramènera progressivement tout ce qui vous manque, ce n’est qu’une affaire de temps”, tente de convaincre un interlocuteur malien dont on ignore l’appartenance.
Le djihad, le carburant et le… choléra !
Gao a d’autres soucis que l’approvisonnement alimentaire. Le carburant est quasi introuvable. Les différents groupes présents ne sont pas moins préoccupés que la population, voire un peu plus qu’elle, concernant la nécessité d’approvisionner les stations-service de la ville en carburant. Certains seraient même prêts à troquer les vivres contre du carburant ! “Aujourd’hui, la population réclame plus du carburant que des denrées alimentaires”, indique la population au chef de la mission du CRA. Le manque de carburant au nord du Mali a été, certes, relevé par différentes parties, mais pour les citoyens, la priorité doit être donnée d’abord et avant tout à la décontamination de l’eau potable, outre l’approvisionnement des structures hospitalières de la région en médicaments et autres équipements nécessaires. Pour ces mêmes citoyens qui “(ont) faim”, le carburant ne remplacerait en aucun cas les aliments… Encore faut-il rétablir la sécurité dans cette région pour voir enfin le carburant servir réellement la population. À tous ces problèmes, vient s’ajouter le choléra qui ravage la population de Gao. Selon les informations fournies par la direction de l’hôpital de la ville, au moins 50 cas (de choléra), depuis le 30 juin. Parmi ces cas, deux enfants, l’un âgé de 4 ans et l’autre de 14 ans, sont décédés, alors que trois autres décès ont été signalés mais pas confirmés. À l’instar des autres mouvements humanitaires, le CRA se déclare “très attentif” à toutes les doléances exprimées.
“Peu importe qui intervient, le plus important est ce qu’on donne”, souligne, pour sa part, le représentant du CICR à Gao, qui insiste sur la nécessité de la “coordination” entre toutes les parties intervenantes. Il met l’accent également sur l’importance du principe de “neutralité” des mouvements humanitaires. Les responsables du CRA, dont l’objectif premier est d’apporter l’aide aux populations, s’engagent naturellement à respecter les règles du jeu. Ils affirment que ce premier pas franchi dans le nord du Mali se veut comme une occasion de rencontrer les responsables de la société civile, recenser tous les problèmes et évaluer de près la situation non sans promettre de revenir…
F A