Annuellement, des milliers de peaux de mouton sont perdues irrémédiablement. Depuis quelques années déjà, la collecte de ces peaux durant la fête de l’Aïd El-Kébir ne se fait plus. Même les ménages préfèrent les jeter.
Meriem Ouyahia – Alger (Le Soir) – «C’est une richesse perdue. Des peaux qui partent en fumée ! Et avec, tout un patrimoine !» C’est en ces termes qu’un ancien tanneur a qualifié de spectacle désolant des peaux de moutons jetées dans de grands sachets noirs, le jour de l’Aïd El- Kébir. Après le rituel du sacrifice, ils sont de plus en plus rares les foyers qui conservent la peau de mouton ou sa laine.
Pas de collecte de peaux de mouton
«Il y a quelques années encore, nous faisions le tour des abattoirs pour collecter les peaux de mouton, le jour de l’Aïd. Ceci comme une première étape de récupération. Et puis, en deuxième étape, nous avions des brigades mobiles qui faisaient le tour des cités pour acheter les peaux de mouton auprès des foyers», explique Mohamed, ancien tanneur qui a cumulé des années d’expérience avant de prendre une retraite anticipée. Et d’ajouter : «La peau ne devait souffrir d’aucune égratignure.»
Ainsi, pour que les foyers puissent écouler leur peau, elle devait être nickel. Aucun trou ne devait être fait. Et pour cela, une opération délicate, qui consiste à décoller la peau, est exécutée. Il s’agit d’effectuer une incision à la base des pattes, y souffler un peu, y introduire de l’air et la peau du mouton se décolle comme par enchantement.
Le mouton est tout gonflé au bout d’un moment, comme un gros ballon. A ce moment-là, il faut couper la peau à partir du centre du ventre et l’enlever délicatement étape par étape, avec le poing au départ et grâce à un couteau par la suite. «C’est un travail de grande finesse que nous prenions le temps de faire. Aujourd’hui, la jeune génération veut manger de la viande sans s’occuper du reste», regrette Mouloud, un sexagénaire. La situation est telle que les friands de viande préfèrent se gaver de côtelettes que de s’occuper de la peau du mouton qu’ils offrent au premier demandeur ou alors la jettent tout bonnement dans la poubelle.
«Nous sommes loin de la Tunisie ou surtout du Maroc qui ont su préserver le métier de tanneur. Durant cette fête, chacun ressent le gâchis de la perte de ce noble métier», relève encore Mohamed. Pour lui, cette perte sèche renseigne sur le degré de la crise qui sévit dans le secteur du cuir. «Et dire que la peau de mouton algérien est des plus recherchée», regrette- t-il encore. Ce noble matériau était notamment utilisé pour la confection de gants, de jupes, de chemises et de ceintures.
Au sein des foyers, une technique ancestrale facile pour la conservation de la peau est transmise de génération en génération. Il s’agit tout simplement de la saler et de l’exposer au soleil. Par la suite, et après son séchage, la laine est nettoyée et lissée en quelque sorte avec un peigne. La peau de mouton servira de tapis (littéralement la hidoura). Les professionnels ont une autre méthode. En plus du sel, ils utilisent un produit barbiturique pour les entretenir.
Grâce à cette technique, les peaux restent intactes. Elles restent moelleuses et donnent l’impression d’être neuves. Mieux, aucune odeur nauséabonde ne s’en dégage. Récupération de la laine : La laine est l’autre produit noble qu’on peut récupérer.
Pour cela, Ghania a une méthode très simple : «Dès que je termine avec les abats et avec tout ce qu’il y a à cuire, je nettoie la peau et je l’essore. Puis, je la mets dans un sachet. Par la suite, je prendrai le temps de récupérer toute la laine». Même son de cloche pour Fatiha, retraitée et deux fois grand-mère : «L’année dernière, je dois bien l’avouer, j’ai tout jeté. Je ne voulais rien garder.
J’étais trop fatiguée. Mais, j’ai conscience que c’est dommage de tout jeter de cette façon. Cette année, je la conserve pour récupérer la laine.» Cette laine servira pour la confection d’un oreiller ou bien encore lorsque la quantité le permet pour la fabrication d’un petit tapis.
Crise dans le secteur du cuir
Actuellement, le secteur du cuir algérien est en pleine crise. Selon Bencherchira Mohamed, un ex-trésorier de l’Association des tanneurs et mégissiers d’Algérie (ATEMA), association dissoute, il n’existe que quelques unités de transformation en semi-fini de cuir. Alors qu’on comptabilisait près de 60 unités sur le territoire national, dans les années 1990, il n’en reste actuellement que près de 11.
Ces unités sont réparties comme suit : cinq à Alger, trois à Oran, deux à Constantine et une à Jijel. Selon la Fédération nationale des textiles, sur les 200 000 postes d’emploi existants, dans la moitié des années 1990, seuls 44 000 ont pu être sauvegardés, dont 26 000 relèvent du secteur public. C’est le résultat de la fermeture d’une vingtaine d’entreprises activant dans le domaine du cuir et du textile.
M. O.