Dans tous les pays du monde, c’est au sein des partis politiques que se prépare la relève des nations
Les grands partis politiques chez nous sont bien connus pour dévorer ceux de leurs militants qui se mettent à aspirer s’élever d’un cran.
Contrairement à Belkhadem qui continue à lutter depuis plus d’une année pour garder son poste au sein du FLN, Ouyahia a préféré remettre sa démission aux militants du RND. La démission de Ouyahia, ce jeudi, du secrétariat général du rassemblement national démocratique, juste quelques mois après son éviction du Premier ministère, est un acte qui vient rappeler que, encore aujourd’hui, dans l’Algérie de 2013, l’ambition politique est un délit qui peut coûter cher. Mais, en même temps, c’est un acte qui libère une infinité d’interrogations.
Lorsque l’ambition politique brûle ou la voie d’Icare
La première est celle relative à cette culture, propre à nos seuls partis, qui consiste à organiser des mouvements de redressement pour demander entre deux congrès, c’est-à-dire en dehors des structures légales des partis, le départ de leur premier responsable. Cette culture du redressement partisan qui a vu le jour en 1996 chez le FLN où il s’agissait à l’époque de destituer feu Abdelhamid Mehri fut reprise chez le même FLN en 2003 pour évincer alors un certain Ali Benflis avant d’être rapidement adoptée comme méthode de changement à l’approche de rendez-vous électoraux, aussi bien chez le FLN (où les amis d’hier de Belkhadem veulent le destituer avant 2014) que chez le RND où les protégés d’hier de Ouyahia ont tout fait pour précipiter son départ avant 2014.
Toutefois et si, sur fond d’une crise nationale très poussée, Ali Benflis a dû quitter le FLN pour aller faire campagne en tant que candidat indépendant, Belkhadem continue depuis plus d’une année à tenir face à ses opposants en hurlant, à qui veut l’entendre, qu’il n’a pas d’ambition présidentielle. Mais Ouyahia – qui n’a certes pas encore annoncé ses ambitions pour 2014, mais qui ne les a surtout pas publiquement infirmées – a dû subir une pression telle qu’il a fini par céder le poste de secrétaire général de son parti, le RND.
Dans l’histoire partisane moderne de l’Algérie, il existe d’autres cas comme, par exemple, celui de Djaballah qui a été évincé à deux reprises des partis qu’il a fondés, mais il convient de ne pas confondre les genres car les partis de Djaballah (Ennahda et El Islah) n’avaient ni le poids ni l’importance du FLN et du RND, les deux poids lourds de la scène politique nationale, et il était ainsi plus aisé pour ses opposants de s’en débarrasser.
A bien considérer les choses, il semblerait que, en Algérie de 2013, l’ambition politique au sein des partis tombe sous le coup d’une sévère interdiction et nourrir de telles ambitions constitue un délit pour lequel leurs secrétaires généraux sont jetés dehors avec pertes et fracas! cela rappelle, pour qui s’en souvient, cette page de la mythologie grecque où, voulant voler dans les airs, Icare s’est confectionné de grandes ailes qu’il a collées à son corps avec de la cire. Mais à force de s’élever dans les airs, il s’approchait tellement du soleil que la cire fondit et il tomba.
Pris de cet angle, l’acte de Ouyahia prend un certain sens. L’homme – qui en sait un bout – refuse d’aller plus loin dans une envolée qu’il sait ne pas finir à son avantage. Est-ce que cela signifie qu’il renonce à se présenter à la présidentielle de 2014? On reviendra plus loin sur cet aspect de la question.
Un militant, c’est quoi?
Les sciences politiques qui étudient, entre autres, le militantisme n’ont pas encore connaissance de ce comportement des militants qui interdisent à leur propre parti de nourrir des ambitions politiques. N’étant ni une organisation philanthropique ni une association caritative, un parti politique se doit d’avoir des visées politiques et, à la connaissance de tout un chacun, chaque parti doit chercher par tous les moyens que lui confère la démocratie à accéder au pouvoir pour apporter son projet, sa contribution et sa manière de faire à la construction de la nation à laquelle il appartient. Sinon à quoi sert un parti politique?
Dans tous les pays du monde, c’est au sein des partis politiques que se prépare la relève des nations et plus les ambitions au sein d’un parti sont grandes, plus ses chances d’accéder au pouvoir sont élevées. Ce n’est pas en effectuant la danse des affamés autour de totems ou en parsemant les boulevards de la République de tabous incompris que l’on peut un jour aider le pays. Malheureusement, nos partis à nous qui ne s’exercent qu’au discours rébarbatif et à l’applaudissement injustifié tout au long de leur existence ne peuvent être d’aucun secours au pays. L’aube de la démocratie chez nous ne pourra pointer qu’à partir du moment où les partis politiques cessent d’être ce qu’ils sont et deviennent des partis politiques réels. Mais, pour cela, il faudrait que les militants agissent et parlent au nom et pour le bien de leur parti.
Les économistes connaissent bien le problème étouffant des économies qui, incapables de produire, reposent sur l’importation. Il en est de même en politique où l’incapacité à produire soi-même oblige à l’importation, mais il y a lieu de souligner que ceci demeurera valable tant qu’on continue à croire que l’importation est la seule façon de faire. Quiconque retrousse les manches et se met à l’oeuvre sait que la plus grande des satisfactions est celle de pouvoir produire pour son pays. Produire une marchandise, produire une route, développer un projet de société, déclencher une conscience de la nécessité d’aller de l’avant, produire des ambitions de dessein national, et quelle est grande la satisfaction pour un parti, dans ce sens, que de donner au pays des cadres conscients, des hommes intègres, des citoyens capables et compétents, des présidents à la hauteur, des ministres valables, des députés célèbres, des sénateurs exemplaires… Un parti politique doit savoir que son existence réelle est tributaire, non pas de sa capacité à coller aux puissants du moment ou du nombre et de l’intensité de ses applaudissements, mais de sa capacité à s’imposer et à s’envoler de ses propres ailes. Et dans tout cela, dans le militantisme politique, la semence, la graine, le point de départ, c’est l’ambition politique. En l’absence d’ambition politique, on ne peut parler ni de militants ni, encore moins, de partis. Ce qui est, malheureusement, le cas, sidérant, mais somme toute explicable, de nos partis politiques à nous où l’on assassine les ambitions et ceux qui les portent, dans l’Algérie du troisième millénaire. Les grands partis politiques chez nous sont bien connus pour dévorer ceux de leurs militants qui se mettent à aspirer s’élever d’un cran.
Première victime d’une lutte de clans?
Après 50 ans d’Indépendance, on aurait pu quand même être arrivé à reconnaître à tout citoyen algérien la légitimité à nourrir des ambitions. Or, il semble qu’il s’agit là de quelque chose qui ne nous concerne pas ou, du moins, qui nous dépasse.
Un peuple dont les personnalités politiques n’ont pas – ou n’ont pas le droit d’avoir – des ambitions de dimension nationale est indéniablement condamné à puiser dans les légendes et les mythologies et à chercher dans les cimetières ce qui pourrait leur servir de guide ou de leader. Mais le cycle de vie étant ce qu’il est, nul ne revient du passé et même l’âge, lorsqu’il est trop avancé, trahit. Cela fait deux fois, tout de même, que l’Algérie a dû longtemps fouiller dans son passé pour en ressortir un Président. Il y eut Boudiaf en 1992 puis Bouteflika en 1999. Il ne reste plus personne de ce côté-ci du temps, à cause de l’âge et de la mort. Si l’on n’a plus d’où ramener des présidents et que, en plus, on s’applique à éliminer tous ceux qui peuvent ressembler à de possibles présidentiables, alors on est bien partis pour une galère de quelques générations.
S’il était nécessaire de faire partir Ouyahia, c’est parce qu’il gêne quelque part. Et si l’on met de côté la rumeur bien que persistante d’un quatrième mandat de Bouteflika parce qu’il a lui-même reconnu lors de son discours à Sétif que sa génération est fatiguée et qu’elle doit partir, ce qui n’est pas faux, alors on est en droit de se demander qui Ouyahia peut-il déranger en présentant sa candidature? Certainement pas ceux dont ni l’âge ni l’expérience politique ne désignent comme possibles candidats du parti RND. D’ailleurs, le RND, sans Ouyahia, aura-t-il son propre candidat pour 2014? Le doute est très grand là-dessus car façonné dès le départ de manière à ne jamais avoir d’ambition de ce côté-là, le RND qui n’a jamais proposé de candidat n’est pas près de changer pour le prochain rendez-vous national de 2014. Et il est utile de souligner que, du côté du FLN aussi, les rangs des redresseurs ne comptent aucun candidat probable au rendez-vous de 2014.
Difficile de dire dès maintenant, mais il serait tout de même intéressant de remarquer que le départ d’Ouyahia du RND pourrait être un premier dommage collatéral d’une lutte de clans pour le balisage dès à présent de la prochaine présidentielle. Si tel est le cas, il faut s’attendre, dans un très proche avenir, à d’autres événements éclats du même genre car les délais étant ce qu’ils sont, chaque côté essaie d’amputer l’autre de ses éléments importants.
2014: les hostilités ont commencé
Une fois parti du poste de SG du RND, Ouyahia peut, soit se retirer définitivement de la vie politique, soit continuer en tant que candidat indépendant. Autrement dit, «fin de partie» comme aurait dit Beckett ou prélude à un nouveau départ? Il est difficile de croire à la première possibilité tellement l’homme est habitué aux allers-retours sur une scène qu’il connaît parfaitement pour avoir contribué à son façonnement et, surtout, parce qu’il attend depuis si longtemps l’occasion pour tenter la présidentielle. Ce n’est pas maintenant, alors qu’il semble si proche et qu’il peut être le candidat le mieux placé pour succéder à Bouteflika, qu’il pourrait abandonner ses projets. Tout laisse donc croire que, comme Benflis, il y a dix ans, Ouyahia pourrait se présenter en tant que candidat indépendant. Certes, il aurait été pour lui plus utile d’avoir son parti derrière lui pour une entreprise aussi grande, mais à ce niveau des choses, il n’y a pas que le parti qui peut être décisif. Cela suppose qu’il doit bénéficier de soutiens aussi bien à l’intérieur du RND qu’en dehors des structures de son parti. Si les soutiens externes sont ceux-là mêmes de la partie prenante à laquelle il appartient naturellement, pour ce qui est du soutien des militants du RND, Ouyahia, de par sa démission, a voulu donner aux militants l’image d’un homme qui refuse la déchirure de son parti pour un poste et qui préfère sortir par la grande porte, comparativement à un FLN qui est secoué depuis plusieurs mois pour les mêmes raisons et où le SG refuse de partir. Cette décision pourrait lui être utile s’il se présentait à la présidentielle de 2014. Une question demeure toutefois: aura-t-il la possibilité de déposer sa candidature? Tout demeure aléatoire dans un contexte où les hostilités pour 2014 ne font que commencer et où tout demeure possible. Attendons la suite pour voir.