La stabilité nationale était en danger lors des émeutes qui ont éclaté en janvier 2011 à la suite du renchérissement de certains produits de première nécessité, a indiqué lundi dernier Ahmed Ouyahia lors du grand oral organisé par le FCE à l’hôtel Aurassi : «Nous avons fait une retraite sur le chèque et la facture parce que la stabilité du pays était en danger. L’informel est la plus grande menace qui guette le pays. A cette allure, vous disparaîtrez tous !. L’informel ça se combat. Il faut un front national pour l’éliminer», a-t-il dit à l’endroit des chefs d’entreprise.
L’Etat est-il si impuissant face à ces lobbys maffieux qui gangrènent doucement mais sûrement l’économie nationale ? Selon Ouyahia, l’Etat ne peut à lui seul «contenir ce phénomène».
En mettant sur le même pied d’égalité le secteur privé et celui public, Ouyahia a peut-être raté son opération de charme en essuyant une critique assez acerbe de la part du patron de Cevital, Issad Rebrab, qui lui a rappelé le débat aussitôt engagé, ses contradictions, lui remettant en mémoire, notamment, que son groupe a été lésé au profit des étrangers en matière de privatisation et d’investissements privés : «Pourquoi les autorités ne veulent-elles pas libérer l’entreprise algérienne ?» mettant en exergue le deux grands projets industriels que son groupe a lancés depuis cinq ans pour le complexe sidérurgique de Bellara (Jijel) et finalement confié à une entreprise étrangère et le port en eaux profondes de Cap Djinet d’un montant de 20 milliards de dollars financé sur fonds propres avec la contribution de la Banque mondiale, datant de trois années.
A L’ADRESSE DE REBRAB : «VOUS ÊTES LA FIERTÉ DE VOTRE PAYS»
En réponse, Ouyahia a simplement préféré battre en retraite: «Vous êtes un grand capitaine d’industrie. Vous êtes la fierté de votre pays. Vous avez rencontré deux problèmes. Le port et la sidérurgie, a-t-il précisé, rappelant que l’investissement dans les ports «n’était pas encore ouvert au privé». Pour la sidérurgie, il n’y aucun veto», a-t-il assuré. Pour preuve, Ouyahia dira que l’Algérie accuse un déficit de 16 millions de tonnes. Il dira aussi qu’il a été surpris de lire (pas le journal a-t-il tenu à préciser) que le prix de l’acier a grimpé.
Il a ensuite recommandé au PDG de Cevital d’être «patient, courageux et de savoir naviguer comme un grand capitaine d’industrie pour éviter les obstacles». Analyse de Rebrab à la fin de la réunion : «J’ai compris son message. Le blocage ne se situe pas à son niveau», a-t-il dit avant de préciser que ce projet (port) une fois réalisé sera la propriété de l’Etat algérien : «Nous voulons juste profiter des plates-formes logistiques».
Ahmed Ouyahia a, dans le même temps, reconnu un glissement sur l’application de la règle 49/51 relative à l’investissement étranger au privé national : «Ce glissement a duré une année et quelques mois avant de s’arrêter», a-t-il assuré. Ahmed Ouyahia qui, tantôt met sa casquette de Premier ministre et tantôt celle de SG du RND, s’est prononcé contre l’instauration dans l’immédiat du week-end universel comme réclamé par un intervenant. Il a demandé aux patrons de balayer devant leur porte avant de «critiquer le gouvernement sur ses lacunes».
ON A IMPORTÉ DES MARQUES DE VOITURES LES PLUS BIZARRES
Il a mis en relief les faiblesses du patronat algérien, plus porté sur l’importation que sur la production: «Dans le médicament, il y a 200 distributeurs et moins de 10 fabricants. Dans le secteur de l’automobile, on a importé les marques de voitures les plus bizarres au monde», a-t-il affirmé.
Il a demandé aux patrons de dénoncer dans la presse les comportements bureaucratiques de l’administration : «Quand l’administration vous ferme la porte, utilisez la presse», a conseillé Ouyahia qui a lancé un appel aux opérateurs privés intéressés par la création d’une entreprise de fret maritime et aérien : «Notre flotte a coulé. Nous sommes toujours en train de bricoler pour acheter des bateaux.
Je lance un appel s’il y a une disponibilité pour le capital privé à monter une entreprise de fret aérien et maritime» a-t-il affirmé. Selon Ouyahia, la part du marché du pavillon national dans le transport des marchandises est situé entre 8 et 10 %, ce qui met l’Algérie sous la pression des armateurs étrangers, dira-t-il. Autre sujet évoqué par les patrons : la trop grande dépendance aux hydrocarbures.
Ouyahia partage l’avis des experts et du FCE sur la nécessité de construire une économie moins dépendante des hydrocarbures : «On approche d’un moment où la rupture sera brutale», a averti Ouyahia, qui a rappelé la période difficile du milieu des années 1990, où le prix de la baguette de pain était passé de 1 DA à 7,5 DA: «Je me demande parfois si cela s’est produit sur une autre planète.
Ce que je vais dire peut paraître cruel : Si on n’avait pas vécu le terrorisme, que se serait-il passé ?» s’est-il interrogé. Selon Ouyahia le gouvernement est bien conscient de la menace qui pèse sur l’Algérie du fait de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures.
LA MENACE D’UNE FAILLITE DU PAYS N’EST PAS LOINTAINE
Si on ne fait pas de découvertes d’hydrocarbures importantes, on sera importateur sans ressources pour importer dans 15 ans», a-t-il affirmé. Apellé par le modérateur à s’exprimer sur le Credoc (crédit documentaire), mesure imposée par le gouvernement il y a trois ans pour le paiement des importations, Ouyahia, s’est limité à assurer que ce mode de paiement n’a pas échoué : «Ce n’est pas le Crédoc qui a échoué.
C’est un mode de paiement universel. Je m’inscris en faux contre ceux qui disent qu’il y a eu une explosion des importations. Nous avons importé des quantités considérables de blé et de lait pour en nourrir trois peuples : le nôtre, celui de la Libye et de la Tunisie, et c’est à travers ce mode que nous avons réglé ces importations, a-t-il fait observer avant d’ajouter que «rien n’empêche de faire une évaluation de cette mesure».
Le retour de l’Algérie au week-end universel (samedi-dimanche) risque de créer un «choc sociétal», a affirmé Ahmed Ouyahia, tout en relevant que le changement pour revenir au week-end (vendredi-samedi), «il y a trois ans, était une montagne» dit-il.
Mahmoud Tadjer