Celui qui annonce la découverte de cet instrument (qui permettait de connaître la latitude, la date, l’heure ainsi que l’azimut, d’où son importance pour les cinq prières) n’est autre que Ahmed Djebbar, l’ex-ministre de l’Éducation nationale (entre juillet 1992 et avril 1994) et également ex-conseiller du défunt président Mohamed Boudiaf.
Son « cri d’alarme » a été lancé la première fois vendredi dernier. C’était à l’occasion d’une conférence sur le thème « Les sciences arabes : des héritages anciens à la réception européenne » que le professeur Djebbar a animée à la salle El-Mouggar et organisée par l’Association des anciens medersiens, dont le conférencier est membre.
Au cours de sa conférence, après avoir abordé plusieurs « angles » sur l’histoire et l’impact des sciences arabes sur l’histoire de l’humanité, il s’arrêta longuement sur ce qu’il désigna comme « petit ordinateur de l’époque ».
Il a commencé par projeter des photos (que nous avons pu « récupérer ») sur écran montrant un astrolabe « signé et daté ». D’emblée, il précisa devant une assistance toute ouïe. « elles sont vraiment inédites.
Je les ai scannées hier soir, et je vous les montre évidement après avoir eu l’autorisation de son propriétaire », affirma-t-il avec enthousiasme à une assistance très intéressée.
Le professeur émérite d’histoire des mathématiques à l’université des sciences et des technologies de Lille raconta l’ »histoire » de l’instrument : « il a été réalisé au début du XVIIIe siècle et a 20 centimètres de diamètre.
Mais ce type d’astrolabe a été conçu dès le IXe siècle, à partir d’un concept grec. Puis l’instrument a été grandement amélioré au cours du temps et des besoins, en particulier des astronomes et de ceux qui étaient chargés de déterminer le temps ».
Sur le « réalisateur » de l’astrolabe, qui a appartenu à la Grande-Mosquée d’Alger, et qu’il appellera « petit ordinateur de l’époque », il dira qu’il s’agit d’ »un grand spécialiste originaire du Maghreb extrême ».
À la fin de son intervention, il dira que le propriétaire est un particulier « qui veut vendre l’astrolabe de gré à gré, et c’est très cher.
Seulement un état peut se permettre cet achat », en ajoutant qu’il allait prendre lui-même attache avec le ministère de la culture « pour qu’il négocie et fasse son possible pour récupérer ce patrimoine ».
« C’est une famille française qui en a hérité »
Se montrant disponible lors de nos nombreuses sollicitations au cours de son bref séjour algérois (il a quitté Alger le 30 juin), l’ex-ministre nous a éclairé un peu plus sur l’astrolabe de la grande-Mosquée.
À notre question de savoir si la date de la « disparition » de l’astrolabe était connue, il nous répondra : « non, mais cela s’est passé vraisemblablement au début de la colonisation, juste après 1830.
Parce que avant 1830, c’était la législation musulmane turque qui gérait les biens de main-morte qui veut dire habous ou encore waqf. Or, un bien habous est inaliénable aux yeux de n’importe quel musulman.
Donc, cela ne peut être que pendant la colonisation française, et il fallait transgresser la protection du système habous qui interdit la vente ou l’achat d’un objet déposé selon ce statut.
Surtout que l’instrument était déposé dans une mosquée et même la plus importante d’Algérie. » Sur le nombre d’exemplaires existants, il affirma que « c’est apparemment un exemplaire unique parce qu’il est signé, daté et qui semble être une commande ».
Concernant le nom du propriétaire, il dira : « c’est une famille française qui en a hérité dans le cadre d’un héritage familial. »
Les antécédents canadien et chinois
L’importance historique et « patrimoniale » d’un astrolabe ne sera pas une exclusivité algérienne puisqu’il y a au moins un précédent. C’est que l’astrolabe est loin d’être un simple instrument de mesure.
Son côté historique a déjà été « senti » du côté du Canada. Le ministère des communications de ce pays est intervenu en 1989, auprès des autorités américaines, pour récupérer le très connu astrolabe de Champlain datant du XVIIe siècle, et qui se trouvait aux États-Unis, à New York Historical Society, des dizaines d’années avant.
Même s’il ne l’a pas dit directement, nous sentions bien dans les propos du passionné de l’histoire des sciences, qu’est le professeur Djebbar, qu’il refusait de « politiser » le sujet.
Sans aucun doute, il avait à l’esprit les péripéties de deux pièces d’art qui avaient défrayé la chronique ces derniers mois et qui avaient soulevé beaucoup de vagues en France et en Chine.
L’Empire du milieu avait tout fait pour annuler une vente aux enchères qui a eu lieu en février pour récupérer deux têtes d’animaux, pillées en 1860 lors de la mise à sac du palais d’été de Pékin par des troupes franco-britanniques.
Cette affaire à rebondissements a donné, le jour des enchères, l’achat des deux pièces par un… chinois qui, à la surprise générale, avait refusé de payer !
Des contentieux toujours d’actualité
Cette polémique en dit long sur l’importance que pourrait et doit avoir l’astrolabe de la grande-Mosquée d’Alger.
En attendant la réponse du ministère de la culture, rappelons qu’il y a déjà trois ans, le 13 mai 2006, Khalida Toumi évoquait l’existence d’un contentieux entre l’Algérie et la France sur la restitution de certaines pièces archéologiques et d’œuvres d’art.
Elle avait cité, entre autres, les têtes coupées de statues à Cherchell et les registres des musées nationaux pris par la France.
À propos des restitutions, il y a un peu plus d’une année et demie, l’Algérie avait obtenu la restitution par les États-Unis du buste en marbre de l’empereur romain Marc Aurèle, dérobé douze ans auparavant du musée de Skikda.
Concernant le pays d’ »accueil » de l’astrolabe, les exemples ne manquent pas à propos des restitutions d’objets appartenant à d’autres pays.
En plus de l’exemple chinois et des innombrables « litiges » avec l’Égypte autour de ce qu’avait ramené Napoléon Bonaparte lors de son expédition de 1798, il y a eu récemment une autre « histoire ».
Elle concerne une quarantaine de montres anciennes, estimées à près de dix millions de dollars, que la France vient de restituer, en mars dernier, à Israël.
Dérobées en mars 1983 du Musée d’art islamique de Jérusalem, elles avaient été retrouvées en Hexagone 25 ans après. Une affaire pleine de rebondissements et qui avait été « résolue » grâce à un organisme spécialisé dans ce genre de cas, l’office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC).
Question d’état
La restitution de l’astrolabe est évidement très importante pour le pays. Reste à savoir dans quelles conditions il a pu « quitter » la grande-Mosquée d’Alger et l’Algérie.
Dire qu’il a été volé serait aller vite en besogne. Même si ce n’est pas « diplomatique » de l’affirmer (les exemples pullulent à travers l’histoire, la nôtre et celle des autres, ancienne et contemporaine, et également de tous les pays colonisés), il y a aussi la possibilité qu’il ait été tout simplement vendu par un autochtone.
Ce sera sans aucun doute un des nombreux points sur lesquels devront être axées les probables négociations qui en découleront pour le retour de l’instrument au bercail.
Le cas de l’astrolabe est évidement loin d’être isolé. Au moment même où nous publions cet article, il est plus que probable que plusieurs pièces archéologiques et historiques du pays sont en train de passer frauduleusement nos frontières.
C’est toute une politique nationale de réappropriation qu’il faut établir. Pour cela, dépasser le stade des slogans et des cris d’indignation est plus que primordial.
Un astrolabe nous attend chez une famille française. Tant d’autres objets, connus et inconnus, doivent revenir en Algérie. Avis aux… concernés.
Qu’est-ce qu’un astrolabe ?
L’astrolabe est l’un des symboles de l’astronomie. Il est une représentation de l’univers, dans sa vision géocentrique, et permet de donner l’heure, de s’orienter, de calculer et de prévoir des phénomènes astronomiques.
Il est considéré comme l’instrument mathématique dont la longévité fut la plus grande, depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au début des temps modernes.
L’astrolabe nautique et l’astrolabe universel en dérivent sans détrôner les astrolabes classiques : ils trouvèrent diverses applications en navigation, jusqu’au XVIIIe siècle.