Krim Belkacem
«Oui, je souhaite l’abrogation de cette instruction relative au soutien aux films historiques. Je m’oppose à toute censure de contenu.»
«Ça coince car le gouvernement a autre chose à faire vraisemblablement. Il a d´autres préoccupations, je suppose. Le cinéma, la culture et l´audiovisuel ne sont pas sa priorité.
Cela n´a jamais été sa priorité. Aujourd´hui, quand on évoque un personnage historique, on reçoit des menaces de mort», nous confiait en juin 2011, le réalisateur Ahmed Rachedi dont le projet de réalisation de long métrage sur la figure emblématique de la révolution de Krim Belkacem a été rejeté. Nous avons eu la confirmation mardi par le consultant auprès du ministère de la Culture Ahmed Bejaoui lui-même, lors d’une rencontre avec la presse. «Le film sur Krim Belkacem a obtenu l’aval du ministère de la Culture, mais il été refusé par celui des Moudjahidine tandis que celui de Ben M’hidi dont le feu vert a également été donné par le ministère de la Culture, attend toujours la réponse de celui des Moudjahidine.» Un refus par-ci et de l ‘ignorance ou mépris par-là, quelle mouche a piqué ce «sacro-saint» ministère pour qu’il s’érige le droit de se mettre en travers des cinéastes et le 7e Art en général? Cela nous rappelle étrangement, tout d’un coup, l’affaire de l’acteur égyptien Adel Imam, condamné le 2 février dernier à trois mois de prison par un tribunal du Caire pour «diffamation envers l’islam». Une liberté d’expression ici et là-bas qui se trouve mise à mal par des censeurs d’un autre âge. Rappelons que c’est le ministère des Moudjahidine qui est seul habilité à valider ou rejeter les scenari de films traitant de la guerre de Libération. Les premières recommandations transmises à Ahmed Rachedi, à l’époque, portaient l’une sur le changement du titre du film, «Darguez», («C’est un homme», en tamazight) et la seconde concernait l’espace, jugé «trop important», donné dans le scénario à Abane Ramdane, autre figure marquante de la guerre de Libération et concepteur du Congrès de la Soummam. «Il n’y a rien dans le contenu du film qui puisse conduire à son rejet», s’est défendu Ahmed Rachedi qui avait déjà exprimé son refus d’introduire les changements exigés, s’attachant à l’intégrité du scénario initial.
150 films pour célébrer notre cinquantenaire
Si la ministre de la Culture a constitué une commission ad hoc pour s’occuper principalement des films réalisés dans le cadre de la célébration du cinquantième anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie, et ce, par souci d’indépendance, vis-à-vis des autres films, cela ne suffit pas. Ahmed Bejaoui, qui recensera approbativement 150 projets déposés dans ce sens dont 60 courts métrages, émettra en outre le souhait d’abroger cette instruction relative au soutien aux films historiques dont l’autorisation émanerait donc du ministère des Moudjahidine. «Oui, je le souhaiterais, car c’est la qualité qui prime.
De toute façon, il y a des historiens dans la commission de lecture. Je m’oppose à toute censure de contenu. Le cinéma est un art qui véhicule une vision du monde contrairement à la télé qui ne s’éloigne pas de la pensée unique. Il y a différents publics au cinéma. Je ne pense pas qu’un cinéaste puisse déstabiliser un pays par son film. Allouache par exemple, a le droit de s’exprimer et donner sa vision du monde.» Evoquant le fameux projet du président de la République de réaliser un film historique sur l’emblématique figure de l’Emir Abdelkader, M.Bejaoui a rappelé qu’un tel film nécessite de gros moyens et trouver un réalisateur américain pour le faire est pour le moins compliqué, car il n y a pas d’assurance que ce dernier soit respectueux de la vision algérienne et trouver une société de production algérienne forte pour le faire s’avère ardue. Il rappellera qu’il existe depuis septembre 2010 le Centre national du développement cinématographique qui devrait s’occuper justement des films historiques, et de la question des salles notamment, mais à ce jour personne n’a été nommé à sa tête. Avec ses étudiants en magister de cinéma, le président du Fdatic a confié avoir lui-même déposé un projet dans le cadre de la commémoration du cinquantième anniversaire de l’Algérie qui se traduira par cinq films portant notamment sur le regard des jeunes sur la Révolution, en relation avec la mémoire et la communication. Déplorant la «médiocrité et la faiblesse» des scenarii qui lui proviennent en l’absence de politique cinématographique claire, Ahmed Bejaoui estimera le fait que le cinéma soit entre les mains du seul ministère de la Culture n’est pas une bonne chose tout en relativisant son propos: «J’ai toujours dit que tant qu’il n’y a pas de salles on ne peut rien faire. Il y a même des projets de multiplexes qui sont bloqués. Je suis le premier étonné.
Y a-t-il une volonté ou pas de développer le cinéma? Je ne sais pas…» Ahmed Bejaoui, qui rappellera ne pas être seul au sein de la commission de lecture pour la prise de décision, reconnaît qu’en dehors du ministère de la Culture on ne peut pas agir, mais «renoncer c’est pire que de ne rien faire», a-t-il estimé. «Il y a souvent des batailles et je suis mis en minorité» dira-t-il…
Où sont les salles?
Brossant un tableau assez mitigé de la situation du 7e art en Algérie marqué surtout par la rareté des films et le manque des salles, Ahmed Bejaoui fera remarquer que «le cinéma est amputé aujourd’hui d’une partie importante de son anatomie, à savoir le public».
Et de renchérir: «Je ne suis pas nostalgique. Il y a de vrais talents de créativité chez la nouvelle génération de cinéastes, y compris féminine qu’il faut encourager à continuer. Il y a des financements, de l’attention portée sur le cinéma, mais cela ne suffit pas», argue-t-il. «Avant, les salles généraient des recettes qui contribuaient au financement des films.
Les recettes des salles de cinéma permettaient de financer 80% des productions cinématographiques, à titre d’exemple l’Opium et le bâton avait enregistré plus de deux millions d’entrées.
Dire que c’est l’Etat qui payait dans les années 1980 pour la réalisation des films est une totale ineptie. Nous avons donné jadis les salles aux communes, car les salles étaient considérées comme de vraies poules aux oeufs d’or et cela aidait les communes.
Le cinéma est aujourd’hui financé par l’Etat, car il y a eu effondrement de l’ancien système qui consistait à prélever 7% des tickets en faveur du fonds d’aide. La ministre de la Culture essaie de récupérer les salles mais il y a opposition. Le cadastre est du côté des collectivités locales».
Evoquant le projet d’un festival du film maghrébin qui devrait se tenir dans les mois à venir, Ahmed Bejaoui saluera l’initiative qui se veut intéressante, car le cinéma, estimera-t-il, est «un bon moyen de rapprochement des peuples au-delà des convergences et il y en a entre les pays du Maghreb. C’est une excellente idée pour faire le point et trouver des solutions pour permettre une meilleure diffusion et circulation de nos films au Maghreb et assurer une coopération Sud/Sud.»
Impossible de lâcher le cinéma
L’invité de l’ONCI souhaite aussi que le projet de film sur les derniers jours de Karl Marx voie le jour en Algérie, lequel devrait être réalisé par l’auteur de La fin de la pauvreté, Philippe Diaz.
Ahmed Bejaoui, qui tiendra à signaler que c’est avant tout en tant que cinéphile averti qu’il se présente à nous, s’est étalé en préambule sur ses études en littérature anglaise qui lui donneront plus tard la passion et lui permettront de mieux décoder et décortiquer le cinéma américain. Il est revenu donc à la source de ce qu’il est aujourd’hui, soit cet homme que tout le monde surnomme «M.Cinéma» en raison de sa fameuse émission phare qui passait à la télévision algérienne dans les années 1980.
Mais aussi à cause du ciné-club qu’il tiendra au niveau de la Cinémathèque algérienne et bien avant au lycée et ses multiples écrits qu’il générait sur le 7eme art, que ce soit à El Moudjahid ou Alger républicain à l’époque. Mais en fin pédagogue, avouera-t-il et nonobstant les milliers de téléspectateurs qu’il réussissait à attirer et fidéliser, Ahmed Bejaoui sentira la nécessité et le besoin de transmettre son savoir aux étudiants en enseignant le cinéma à l’université.
«Quand un film passait à l’époque 15 fois à la cinémathèque et bien j’allais le voir 15 fois aussi et je me préparais à aller affronter le public, je me blindais comme ça. C’est grâce à l’accumulation, que je suis arrivé à la télé, laquelle, à l’époque était plus ouverte et tolérante qu’aujourd’hui. J’avais déjà 15 ans d’expérience derrière moi, et ce désir de partager avec les gens l’émotion du cinéma. J’ai tenu aussi à me confronter au réel, j’ai fait du montage, réalisé des documentaires et puis j’ai choisi d’être producteur. J’avais trouvé ma vocation.» Et de citer les noms de Meddour, Beloufa, Assia Djebar, Beljadj, Hadjadj, Moussa Haddad, Hadj Harim et bien d’autres qu’il a produits en étant toujours au plus près de leurs attentes, préoccupation et écoute. «C’est comme cela que je me suis fabriqué, et pu acquérir cette liberté si chère aujourd’hui.»
C’est ainsi qu’il deviendra aujourd’hui consultant au ministère de la Culture et «non pas fonctionnaire» comme il le dit, tout en étant depuis trois ans à la tête du Fdatic (Fonds d’aide au cinéma). «Je ne peux pas lâcher le cinéma car il m’a donné beaucoup». El Harik de Mustapha Badie d’après la trilogie de Mohamed Dib reste enfin pour lui la meilleure adaptation à l’écran d’une oeuvre littéraire algérienne.