Entretien réalisé par Tarek Hafid
Pour le professeur Ahmed Adimi, l’intervention militaire française au Mali est une des étapes d’un plan visant l’installation de forces étrangères dans la région du Sahel. Colonel à la retraite et enseignant en sciences politiques à l’Université Alger III, il estime que l’Algérie pourrait être la prochaine cible.
Le Soir d’Algérie : L’intervention de l’armée française au Mali est-elle conforme à la Résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU ?
Ahmed Adimi : La résolution 2085 ne pose pas réellement de problème. Les puissances occidentales ont l’habitude d’intervenir puis d’adopter des résolutions pour justifier leurs opérations militaires. Cela s’est déjà produit en Irak. En fait, l’opération française peut paraître légale car elle intervient à la demande du président malien par intérim. Toutefois, il est important de rappeler que l’actuel gouvernement est arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat. Pour ce qui est de l’intervention, elle était certes prévisible mais les Français ont précipité les choses. Tout est lié à la prise de la ville de Konna par les groupes terroristes. Cette localité marque la limite entre le nord et le sud du Mali. Ces groupes terroristes étant manipulés par certaines puissances étrangères, il semblerait que l’on ait facilité leur entrée à Konna. C’est cette avancée «préfabriquée» vers le sud qui a justifié l’intervention des forces françaises.
Le Mujao et Aqmi ont donc été encouragés à occuper Konna…
C’est quasiment certain. Ils ont été poussés à dépasser la ligne de démarcation entre le sud et le nord pour donner l’occasion à la France d’intervenir.
Les effectifs et les capacités réelles de ces groupes armés ne sont pas bien connus. N’y a-t-il pas une volonté de «gonfler» leur capacité de nuisance ?
Oui, sûrement. Cela entre aussi dans le cadre de cette stratégie visant à ouvrir la voie vers une intervention étrangère au Mali. En Algérie, cela fait plusieurs années que nous tirons la sonnette d’alarme au sujet de la situation du Sahel en général. Ahmed Barkouk et moimême avons organisé plusieurs séminaires sur ce sujet. Nous avions évoqué le rôle de la France et son engagement dans la région. C’est la France qui est derrière la création du mouvement Azawed, je parle bien sûr de l’organisation politique et non pas du peuple Azawed qui a des droits en tant que communauté. Les Français savaient que leur intervention en Libye provoquerait un retour des militaires touareg pro-Kadhafi vers le Mali. Ils avaient aussi prévu le déversement des stocks d’armements libyens dans l’ensemble de la bande du Sahel. Le projet de transformer la région en nouvel Afghanistan est le résultat d’une longue planification. Même les Américains, qui faisaient mine de ne pas cautionner une intervention militaire, soutiennent aujourd’hui l’initiative française. Il y a énormément de richesses dans cette région, il ne faut surtout pas l’oublier.
Est-ce que les Français ont les moyens de mener une guerre éclair au Mali ?
Non je ne pense pas. Cette guerre va sûrement durer très longtemps. Après l’appel lancé par le porte-parole d’Ansar Dine, il faut s’attendre à une ruée de tous les aventuriers du monde vers le Sahel. Tous les djihadistes du monde vont affluer pour participer à cette nouvelle croisade. Ne soyons pas naïfs, on ne combat pas le terrorisme en engageant des opérations militaires comme celle qui se déroule actuellement. On ne tue pas les mouches avec des canons.
Les Français risquent de se retrouver dans la même situation que les Américains en Somalie ?
C’est fort probable. Les Américains sont partis dans la précipitation et ont laissé la Somalie dans une situation catastrophique. D’ailleurs, il suffit de voir dans quel état se trouve aujourd’hui ce pays.
Si les troupes françaises parviennent à repousser les groupes terroristes, n’y a-t-il pas un risque de débordement vers les pays voisins du Mali ?
Les groupes terroristes n’ont aucun problème de circulation dans la large bande du Sahel. L’Algérie a pris ses dispositions pour sécuriser ses frontières avec le Mali. Mais ils peuvent aller en Mauritanie, au Niger et même au sud de la Libye. Ils ont aussi la possibilité de se rendre vers l’est de la bande du Sahel. Le Sahel est une région totalement vide et incontrôlable.
Quelle lecture faites-vous de la réaction de l’Algérie suite à l’intervention militaire de la France ?
L’Algérie se retrouve face à un véritable dilemme. D’un côté, elle prend acte du fait que c’est l’Etat malien qui a fait appel aux Français, donc ce n’est pas une occupation. Mais d’un autre côté, l’Algérie est réellement préoccupée par les événements qui se produisent au Mali. Un Etat fort et puissant ne devrait pas laisser une telle situation se produire à ses frontières. Mais nous devons reconnaître que c’est l’absence de la diplomatie algérienne en Afrique qui a permis cela. Nous avons totalement perdu l’influence que nous avions par le passé sur l’ensemble du continent africain. Nous payons le prix de notre absence. Et les conséquences risquent d’être difficiles à supporter. Sincèrement, je pense que la prochaine étape sera le partage du Sud algérien. L’intervention étrangère au Mali a pour objectif de fragiliser l’Etat algérien, c’est une réalité. J’ai tendance à voir le danger partout, mais le risque est réel.
Quelles seraient les mesures que le gouvernement algérien devrait prendre en urgence pour gérer cette situation ?
Renforcer sa présence en Afrique à travers sa diplomatie. Un diplomate est un guerrier qui défend les intérêts de son pays. Que faisaient nos diplomates au Mali ? Pas grand-chose, visiblement. Voyez ce que fait le Maroc, ce pays est présent partout en Afrique. L’autre mesure urgente consiste à développer le Sud algérien. Nous avons tendance à tout prendre de cette région sans rien lui donner. Tamanrasset aurait dû être la seconde capitale de l’Algérie, une ville moderne tournée vers l’Afrique. Mais nous n’avons rien fait.
En définitive, vous faites le constat de l’échec des dirigeants politiques…
Bien sûr, c’est avant tout la défaillance des politiques. Car avant de pouvoir faire face à ses adversaires, il faut pouvoir jouir d’une parfaite légitimité. Le front interne tire sa force de la légitimité des urnes, de la légitimité démocratique.
Aujourd’hui, l’armée algérienne est le seul rempart capable de faire face à ces «adversaires» ?
C’est le dernier rempart. Il faut reconnaître que l’Algérie a une armée moderne, disciplinée et bien équipée. Mais nous devons comprendre que la défense nationale n’est pas uniquement le devoir de l’armée, c’est avant tout la mission des politiques.
T. H.