La situation devient banale et le disque est presque rayé à force d’entendre répéter depuis des années la même antienne durant le Ramadhan: les prix flambent et l’Etat se résigne devant le «lobby» des spéculateurs qui dérégulent à leur guise le marché.
Mais pourquoi l’Etat ne peut pas réguler le marché ? Comment sommes-nous arrivés à cette situation ? La flambée des prix est-elle une fatalité durant le Ramadhan ou bien y a-t-il un moyen d’en finir définitivement ?
A défaut d’arbre, plantons d’abord le décor: la production agricole étant saisonnière et sujette aux aléas climatiques, l’homme a compris depuis l’aube des temps historiques qu’il fallait stocker le grain et sécher des légumes pour se nourrir de manière pérenne.
Ces méthodes de conservation ont été ensuite développées par l’homme moderne pour donner lieu à une haute technicité dans le stockage et les chaînes de froid, si bien que dans les pays développés, l’intérêt porté au stockage intervient juste après celui accordé à l’armement et aux affaires militaires.
C’est dire à quel point la question est hautement stratégique. Où en est-on en l’Algérie ? La réponse est que notre pays n’est qu’à ces premiers balbutiements dans ce domaine.
Par on se sait quel coup de génie, ceux qui présidaient aux destinées du pays durant la fin des années 80 se sont engagés dans une logique économique selon laquelle il fallait privatiser tous les métiers de stockage et c’est ainsi que l’Etat s’est désengagé de cette mission stratégique.
L’Etat se fait hara-kiri
Toute la logistique du stockage et de la conservation a été bradée. Les Enafla, les Enafroid et les Onapsa ont été cédés aux privés et de ce fait, l’Etat a scié la branche sur laquelle il était assis.
Et peut-on se rater quand le coup vient de sa propre main? Absolument pas, puisqu’on est arrivé à des situations impossibles: le pays était livré pieds et poings liés à la merci des spéculateurs et des étrangers.
Jusqu’à il y a une année, l’Algérie n’avait plus aucun moyen de stockage à même d’influer sur le marché et surtout assurer la sécurité alimentaire aux citoyens.
On nous gargarisait avec les réserves de change capables de nous assurer deux années d’importation alors qu’on a connu des situations où nos fournisseurs refusaient carrément de nous vendre leurs produits.
Cela pour expliquer que la régulation n’est pas uniquement une question de loi ou de quelques agents de répression des fraudes, mais d’outils d’intervention qui peuvent influer sur le marché.
Un travail colossal a été fait depuis une année pour porter les capacités nationales de stockage à 2,2 millions m3. Un vaste programme de réhabilitation est entamé actuellement et qui permettra de rajouter 600.000 m3 pour arriver à une norme admise de sécurité à même de peser sur le marché.
Le lobby des spéculateurs s’agite
A titre d’exemple, le ministère de l’Agriculture a commencé, il y a une année, le stockage de la pomme de terre. L’expérience n’est pas une réussite à 100%, mais il faut dire que la filière a été stabilisée, et les prix n’ont pas flambé comme d’habitude ni chuté au point que les agriculteurs abandonnent la production.
L’expérience est donc à parfaire. Le problème ardu des responsables du monde agricole actuellement, est qu’ils font face à des situations conjoncturelles (prix des fruits et légumes) alors qu’en même temps, ils doivent travailler sur le long terme, le structurel. C’est une situation complexe.
Comment faire face à cette problématique, on ne peut plus délicate. Il y a un travail immense qui a été fait et qui commence à donner ses fruits. Certes, il y a une convergence de facteurs positifs cette année comme le climat, une excellente récolte, mais ce n’est pas la première fois que l’Algérie a eu une bonne pluviométrie, en revanche, c’est la première fois qu’on a atteint une récolte estimée à près de 60 millions de quintaux de céréales.
Un milliard de dollars sera économisé par le pays cette année dans l’importation des céréales et du lait. C’est autant d’argent soustrait aux spéculateurs et autres milieux mafieux déjà suffisamment malmenés par les dernières décisions contenues dans la loi de finances complémentaire 2009.
«Nous savons que ces milieux ne peuvent rester insensibles lorsqu’on verse du vitriol sur une plaie ouverte», confie un expert en agriculture, ajoutant que la réaction de ces milieux risque alors d’être foudroyante.
Car tant que la démarche dans le secteur de l’agriculture reste du domaine du théorique, elle ne gêne personne, mais maintenant qu’elle commence à donner des fruits sur le terrain, la situation se corse.
Du côté du ministère de l’Agriculture, c’est le silence radio en dépit de cette lourde menace qui pèse sur eux. En revanche, un appel a été lancé aux investisseurs, aux spécialistes et aux professionnels pour qu’ils s’expriment maintenant que les conditions et les outils d’un travail sérieux sont réunis.
Brahim TAKHEROUBT