Agriculture / Fraisiculture : Traitement aux produits chimiques, un mal nécessaire ?

Agriculture / Fraisiculture : Traitement aux produits chimiques, un mal nécessaire ?
Doit-on s’inquiéter de la présence de  produits chimiques dans les fruits et légumes et, pour ce qui concerne notre sujet, dans les fraises ? Telle est la question que nous avons posée à de nombreuses personnes dont des fellahs, des transformateurs, des experts en agriculture et autres membres des chambres agricoles de Tipasa et d’Alger.
Notre question semblait incongrue, voire même saugrenue, pour de nombreuses personnes interrogées pour qui il est trop tôt de se poser ce genre de question car, pour le moment, notre pays est plus préoccupé par la problématique de la production. C’est-à-dire que le souci actuel est de veiller à avoir sur le marché la quantité nécessaire pour couvrir nos besoins et, pourquoi pas, assurer une autosuffisance alimentaire et plus tard… on verra pour la qualité.

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Couvrir d’abord les besoins du pays

Pour Saïm Saïd, directeur commercial d’une unité de transformation de fruits et légumes à Blida de la Société industrielle des conserves alimentaires de la Mitidja (Sicam), connue sous l’appellation de Saveurs de la Mitidja, le plus important aujourd’hui, c’est que la fraise soit présente sur les étals. Le surplus est transformé pour en faire des confitures, car il y a, à peine, six années, la société Sicam importait tous ses fruits, d’Egypte et d’Europe, entre autres. Il y a à peine dix ans, tiendra-t-il à rappeler, la production de fraises était embryonnaire et se concentrait dans une ou deux wilayas. Actuellement, la fraisiculture connaît un engouement important, à l’image de Tipasa, qui est devenue second producteur national, de Boumerdès, de Jijel et de Skikda qui arrivent même à faire des excédents qui font l’objet de transformation. Une situation très bien accueillie par les transformateurs qui ne sont plus obligés de faire le parcours du combattant pour importer les fruits et qui a, aussi, été bénéfique en matière de réduction des coûts. Le souci des responsables de la Sicam est de couvrir les besoins du pays en la matière avec une production de 5 à 6 millions de boîtes de conserves tous produits confondus par an (confitures de fraise, de figue, de poire, d’agrumes, et autres conserves de tomate, de harissa etc.). La Sicam, créée en 1971, est, selon le directeur commercial, leader national dans le secteur. Ses produits sont visibles grâce à sa disponibilité dans les supermarchés aussi bien à l’est, au centre qu’à l’ouest du pays. Pour lui, la question de qualité ne peut être, sérieusement, posée qu’une fois le problème de quantité réglé. Et de préciser que le rôle de la Sicam est de mettre sur le marché ses produits pour répondre à la demande du consommateur qui a beaucoup changé et s’est diversifié, ses dernières années, et non pas de chercher à savoir s’il y a produit chimique ni à signaler le problème de présence des produits chimiques dans les fruits et légumes à qui de droit. Ce n’est pas à nous de dire si le produit est propre ou non à la consommation, insistera-t-il. Selon notre interlocuteur, une fois la bataille de la production gagnée, les pouvoirs publics pourront, par la suite, travailler sur la traçabilité du produit en créant des structures chargées du contrôle sur tous les plans. « Nous n’en sommes, hélas, pas encore là », reconnaît notre interlocuteur qui a l’air de bien maîtriser le sujet ayant exercé, durant de longues années, en tant que spécialiste dans l’agro-alimentaire. Quant à la qualité du fruit proposé à la consommation ou à la transformation, notre interlocuteur nous défiera de donner un chiffre ou des données fiables concernant la présence ou pas de produits chimiques dans les fruits étant donné qu’il n’y aucune statistique en la matière et surtout pas d’organisme ni de laboratoire pour mesurer la présence de produits chimiques ou pesticides dans les produits offerts à la consommation des ménages. Beaucoup reste à faire, pour Saim Saïd, au niveau du contrôle car qui peut nous garantir, aujourd’hui, par exemple, que les semences importées ne contiennent pas d’OGM (organismes génétiquement modifiés) ? Quand on sait que la majorité de nos fellahs sont, hélas, analphabètes, ne maîtrisant pas les techniques d’utilisation des engrais et autres pesticides et, quelquefois, à la merci de revendeurs malintentionnés qui, pour se débarrasser de leurs stocks, leur expliquent que plus le dosage est fort et mieux c’est pour leur production sans parler des produits non homologués vendus sur le marché informel qui sont présents chez nous. Alors là, il faut, sérieusement, s’interroger pour ne pas dire s’inquiéter.

29542719 648124402246219 118368881349073987 nAgriculture bio ? Plutôt semi-biologique…

La question relative à la présence excessive de produits chimiques dans les fruits et légumes semblait, a priori, saugrenue et pas du tout d’actualité. Ils sont unanimes à dire qu’il faut satisfaire le marché, pour le reste on verra après… Alors nous nous hasardons à poser le problème autrement, c’est-à-dire de savoir si on peut parler d’agriculture bio en Algérie comme on l’a entendu çà et là et comme cela est souvent répété par de nombreux responsables. La réponse est assez explicite et plus nuancée puisqu’on nous répond qu’on devrait plutôt parler d’agriculture semi-biologique, puisque chez nous, expliqueront nos interlocuteurs, on utilise les produits chimiques 3 fois par an alors qu’ailleurs on le fait 20 fois par an. C’est du moins le point de vue de responsables de la Chambre d’Alger rencontrés à la 9e édition de la fête des fraises de Tipasa. Selon le président de la Chambre de l’agriculture de la wilaya d’Alger, Djeribia Brahim, les produits chimiques sont nécessaires ne serait-ce que pour lutter contre certaines maladies. La tavelure n’est pas la moindre puisqu’elle touche le poirier, le néflier et se développe en période d’humidité comme cela est le cas maintenant. L’utilisation de fongicides est indispensable car la tavelure est une des principales affections qui touche certains arbres fruitiers. Elle est causée par un champignon nommé venturia inaequalis (dont il existe plusieurs milliers de souches) à l’origine de lésions noires ou brunes à la surface des feuilles, des bourgeons ou des fruits et parfois, même, sur le bois. La maladie étant favorisée par un climat humide qui encourage la diffusion des germes nocifs il faut, forcément, les traiter. La période critique dure 8 à 10 semaines avec un pic au moment de la chute des pétales des fleurs qui forment des points d’entrée pour le champignon d’où l’utilité du traitement selon notre interlocuteur. La maladie ne tue pas l’arbre mais peut réduire, significativement (jusqu’à 100 %), la qualité et la production des fruits en l’absence de traitement par fongicide. Ceci pour dire et arriver à la conclusion pour le président de la Chambre d’Alger, que les produits chimiques et autres pesticides utilisés dans les champs sont un mal nécessaire pour gagner la bataille de la production, voire même de l’autosuffisance dans certaines spéculations. On nous parlera, aussi, de la pomme de terre qui est produite en grande quantité aujourd’hui, chez nous, grâce aux nouvelles techniques qui ont donné des résultats probants. L’exemple de la vigne est, également, l’autre fruit cité et qui illustre bien la situation pour dire que, dans certains pays, le traitement chimique est utilisé 50 fois par an alors qu’en Algérie on passe 10 fois, voire même jusqu’à 18 fois par an pour un traitement préventif et curatif ce qui permet d’avoir de très bons rendements auxquels il faut ajouter, bien sûr, d’autres techniques culturales telles que le désherbage, la taille. Ce qui inquiète, par contre, ajoutera Djeribia Brahim, un agriculteur spécialisé en arboriculture fruitière et le froid et membre de la Chambre d’Alger, qui dit que lui-même utilise volontiers les produits chimiques et nous montrera une photo prise la veille. Pour protéger ses vergers, ce sont les commerçants qui achètent sur pied les récoltes qui n’hésitent pas à les arroser de produits phytosanitaires. Pour lui, ce problème mérite, vraiment, d’être relevé et d’attirer l’attention des pouvoirs publics. L’autre point important, expliqueront à Reporters nos interlocuteurs, est de respecter le DAR (délai  avant récolte), c’est-à-dire 15 jours avant la récolte du fruit et du légume, il ne faut pas utiliser de produits chimiques quelle que soit la raison.

FETE DE LA FRAISE MARS 2018 014

Les produits chimiques pas si nocifs, mais à faible dose

Pour Hamid Bernaoui, secrétaire général de la Chambre d’Agriculture de Tipasa, l’utilisation des produits phytosanitaires, en plus d’être une opération indispensable et d’une grande utilité à l’agriculture, n’est pas nocive contrairement à ce qu’on entend ici et là. Ces derniers, selon Hamid Bernaoui, ont un effet bénéfique sur la plante durant 3 à 4 heures puis son métabolisme élimine le produit sans compter que ces produits sont solubles au bout de 72 heures. Il insiste, toutefois, sur l’utilisation raisonnée de ces produits tout en respectant les protocoles comme cela est expliqué, très souvent, lors des journées de vulgarisation agricole organisées par la Chambre de Tipasa qui, pendant la dernière décennie, avait mis le paquet sur le sujet. Elles  ont été très utiles pour attirer l’attention sur les dangers d’une utilisation excessive des produits chimiques, aussi bien, pour le consommateur que pour le fellah, lui-même, qui risque gros avec le développement de plusieurs maladies dont le cancer. La solution, pour tous nos interlocuteurs, est de faire de la lutte intégrée un réflexe, mais qui peut le garantir ?
Écrit par Seddiki Djamila