Agriculture et industrie à Bouira : un catalyseur multiforme

Agriculture et industrie à Bouira : un catalyseur multiforme

agriculture.jpgIl est de tradition de croire et d’affirmer que la vocation de la wilaya de Bouira est essentiellement et résolument agricole. Une telle croyance avait sa source dans les immenses terres fertiles qui s’étendent vers l’Ouest, les grandes plaines où poussent si bien la vigne et le blé.

Elles ont fini par constituer le grenier de la wilaya et peut-être du pays. On ne jure que par elles. Et l’Etat qui a compris quel parti il y avait à tirer de ces formidables ressources a mis les moyens pour leur valorisation. En quelques années, on a assisté à une mutation incroyable de ce secteur privilégié : des cultures céréalières, maraichères, arboricoles sont pratiquées à grande échelle. Des structures pour le stockage et la conservation ont vu le jour. Une véritable armée composée de plus de 13 000 agriculteurs, regroupés en associations ou indépendants est à pied d’œuvre pour honorer le contrat d’obligation de résultats, qui est un contrat de performance passé avec le ministère pour plus de productivité. Celui-ci a créé des dispositifs d’aide sous forme de fonds pour encourager la production et préserver les emplois créés. Bref, la wilaya se glorifie de sa vocation orientée vers la production agricole.

Et tout les walis qui se sont succédé à sa tête n’ont eu d’autres soucis majeurs que de veiller au bon fonctionnement de cet appareil économique. Même si quelques idées ont jailli ici ou là pour doter, à titre d’expérimentation, la wilaya d’un tissu industriel, ces idées ne perdaient jamais de vue le caractère agricole et son destin qui reste l’agriculture.

Jeter les bases d’une branche économique industrielle

A force d’en parler et d’en débattre, la nécessité de doter la wilaya d’une politique industrielle a fini par s’imposer. En quête d’autres moyens pour diversifier sa palette économique et réussir son décollage, celle-ci qui savait combien le secteur agricole dont elle dépendait essentiellement était dépend lui-même dépendant des aléas climatiques. Il fallait donc sortir de cette dépendance qui la liait étroitement à un seul secteur et accouplait à la politique agricole une politique industrielle, quitte à n’accorder qu’une importance relative à cette dernière.

En décembre 1994 s’amorcent timidement les lignes directrices de cette politique. Le Calpi, structure chargée de superviser l’investissement, est installé au niveau du siège de la wilaya et l’engouement qu’il a su déclencher s’est traduit, de 2010 à 2011, par le dépôt de 1507 projets.

L’idée de base était de créer un noyau industriel autour des activités développées dans le secteur agricole. Ainsi, parmi ces dossiers enregistrés 840 ont reçu le feu vert de cette commission, 522 annulés et 667 rejetés. Les 78 restants demeuraient en instance.-*/ Les dossiers annulés ne devaient pas avoir rempli les critères qui permettraient de juger du sérieux de l’investisseur et de son intention d’investir dans le secteur.

Ceux rejetés devaient l’avoir été pour des raisons de pièces manquantes. Bref, l’engouement a produit son effet et les premiers jalons d’une politique industrielle sont jetés.Entre le 28 février 2013 à ce jour, l’engouement créé parmi les investisseurs va se traduire par le dépôt de 202 dossiers. Sur les 122 étudiés, 70 ont été agrées, 24 rejetés et 17 ajournés.Avec la nouvelle impulsion des autorités qui comptent doter la wilaya d’un secteur industriel digne de ce nom, les choses semblent prendre une nouvelle tournure.

Une paralysie complète de l’appareil de production

On remarquera qu’entre 1994, où l’idée d’industrialiser la wilaya a commencé à faire son chemin dans l’esprit des responsables et 2010 où elle a pris forme sous la houlette du Calpi, une période de six à sept ans s’est écoulée. C’est le temps correspondant à la décennie noire où les violences atteignaient leur paroxysme. L’économie était l’objet de sabotages systématiques avec l’arrière-pensée de mettre le pays à genou.

Les établissements, les usines et les moyens de transport étatiques partaient en fumée. L’appareil de production tout entier était paralysé. Comment dans des conditions aussi dégradées, aurait-on pensé à relancer le projet d’industrie dans une région à feu et à sang ? Les agriculteurs eux-mêmes avaient reçu des groupes terroristes un avertissement : s’ils cultivaient leurs champs, ils les verraient au moment de la récolte réduits en cendre. C’était l’époque aussi où les autorités ne pouvaient effectuer des sorties que très rarement et seulement fortement escortées.

Un des walis n’a-t-il pas échappé de justesse à une embuscade tendue par un important groupe terroriste à l’est de la wilaya ? Le président de la République l’avait déclaré dans un meeting en 2000, à la salle Errich : « Les caisses de l’Etat sont vides. » Avec quoi aurait-il entrepris de relever l’économie à l’agonie ? Sa priorité, il l’avait déclarée ce jour là, c’était la paix. Grâce à elle tout devenait possible. A Bouira, la seule chose qui tournait encore au ralenti, c’était le tourisme. Un acte de sabotage lui a été asséné en mettant le feu au site et aux structures d’acceuil de Tikdjda. C’était en 1999. Le bruit avait courru qu’un groupe d’hommes d’affaires étrangers allait installer une fabrique de yaourt.

Le coin le plus paradisiaque, classé au patrimoine mondial pour la richesse de sa biosphère a été détruit en grande partie. On a pu parler à l’époque de centaines d’hectares incendiés. Des cédraies entières avaient disparu sous les flammes. Un désastre écologique dont les séquelles sont encore visibles aujourd’hui. Au niveau des zones d’activité industrielle, dont les plus importantes étaient celles de Bouira, Aïn Bessem, Sour El Ghozlane et Lakhdaria, le marasme qui régnait dispensait sans doute les groupes terroristes de les cibler. Elles étaient mortes. Quant à la zone industrielle de Sidi Khaled que l’armée gardait jour et nuit, les seules activités qui marchaient encore étaient le centre d’enfutage du gaz et une mégisserie tenue par un privé.

Voilà où en était la situation au moment où le CALPI s’est remis au travail.

Etendre et assainir le portefeuille foncier industriel

Le portefeuille foncier industriel est substantiel pour une wilaya qui cherche à s’industrialiser sans renoncer, cependant, à ce qui constitue sa force et sa vocation : l’agriculture. C’est ainsi que se crée, dès le début de ce programme, une zone industrielle d’une superficie estimée à 225 ha à Sidi Khaled et de 12 zones d’activité de même nature, un peu partout dans la wilaya. La superficie totale de ces zones d’activité est de 94 ha.

Ces zones sont susceptibles d’extension grâce au décret du 19 avril 2011 et aux poches foncières situées dans le voisinage immédiat de ces surfaces ainsi qu’aux actifs des entreprises dissoutes.

Pour la zone industrielle De Sidi Khaled, dans la commune de Oued El Bardi, au sud de la wilaya, le projet d’extension porte sur 193 ha. Le conseil de wilaya, présidé par le tout nouveau wali, en l’occurrence Nacer Maaskri, s’est réuni la semaine dernière pour examiner en détail le dossier en question et les moyens y afférents pour le relancer dans les brefs délais. Un exposé succinct de la situation régnant dans ce secteur a permis d’avoir une idée générale de ce patrimoine foncier. Le directeur de la PME qui tenait la place du SG du Calpi a parlé d’une seconde zone, à Aomar, entre Bouira et Lakhdaria, sans qu’on sache à combien se chiffre la superficie de cette zone. En revanche, nous connaissons l’implantation précise de chacune des 12 zones d’activité réparties dans la wilaya entre Bouira, dont la superficie est de 125 ha répartie en 46 lots, dont 20 attribués déjà.

Ce qui, avec les deux zones industrielles, porte le nombre total des lots à 589 lots. D’autres lots viennent s’ajouter à ceux-là, comme ces 46 lots octroyés à 34 investisseurs avant l’ordonnance du 19 avril 2011, 16 autres à 13 investisseurs, et les 5 lots appartenant à l’URBAB et sur le point d’être récupérés injectés dans le patrimoine foncier de la wilaya. Les activités développées ou à développer concernent naturellement l’agroalimentaire et l’industrie proprement dite.

Ces zones d’activité sont implantées à Bouira, Sour El Ghozlane, Dirah, AÏn Bessem, Lakhdaria, Aomar, Taghzout, El Esnam, Bechloul et M’chedellah. Mais il existe des activités agrées hors de ces zones au nombre de 21 : 7 à Bouira, dont 2 en cours, et 5 non encore lancées ; 3 à Kadiria, en activité ; et un projet pour chacune des autres localités où existent ces zones. Concernant les projets nouvellement lancés dans le cadre de la nouvelle politique industrielle, le nombre total est de 76, selon le même responsable assurant l’intérim du SG du Calpi, tous agréés, dont 52 non encore lancés, 10 à l’arrêt et 3 en cours de réalisation. Pour sa part, la zone industrielle a bénéficié de ce nombre global de l’injection de 31 projets, dont 28 réservés aux matériaux industriels, 11 à l’agroalimentaire et 6 au service public. En ce qui concerne les décisions d’attribution des lots non utilisés, l’intervenant a souligné sa détermination à procéder à leur annulation et à leur réaffectation à d’éventuels investisseurs.

Ce sujet a été longuement débat lors d’une session de l’APW. Certains hommes ambitieux s’étant fait passer pour des investisseurs ont bénéficié, dans ce cadre, de terrains dont ils ne savent plus quoi faire, attendant une meilleure opportunité pour les revendre. En réplique, le wali a souligné la nécessité de superviser le projet d’investissement jusqu’à sa phase de concrétisation pour éviter le détournement des terrains à d’autres fins que celle pour laquelle ils ont été accordés. Dans la foulée, considérant que l’investissement est l’un des facteurs les plus importants et les plus concluants du développement, il invitera les principaux acteurs (PME, DUC, DSA…), à travailler en tandem et à effectuer de fréquents déplacements sur les sites afin de pouvoir solutionner les problèmes qui pourraient surgir avant ou pendant le lancement des projets.

La pierre d’achoppement

Il y a toujours des freins aux bonnes volontés. Et les projets d’investissement butent à Bouira sur pas mal d’autres, après ceux dressés sur la voie du développement économique par le terrorisme et la mauvaise foi des faux hommes d’affaires. Ainsi, l’idée de vouloir, à tort, conjuguer la vocation de la wilaya avec les projets industriels s’ajoute celle d’une partie du site détenue par l’URBAB et composé de 5 lots, comme on l’ a noté plus haut.

Or, cette union d’architectes est farouchement opposée à toute cession ou concession en faveur s’une tierce personne, celle-ci porterait-elle le plus faramineux des projets d’investissement de la wilaya. Cette position inflexible aurait déjà fait fuir un grand concessionnaire d’automobiles qui souhaitait s’installer dans la zone industrielle sur ce terrain précisément. La même source ajoute que le représentant de Coca Cola a été confronté à la même intransigeance de la part des propriétaires de terrain. Ce représentant, selon cette source, offrait de créer 3 000 postes d’emploi, si on le laissait s’installer à cet endroit qui avait l’avantage d’être situé près de la rivière.

La fabrique de boissons avait évalué ses besoins en eau à 1 000 litres d’eau par jour. Le potentiel hydrique sur le site serait de l’ordre d’un million de m3, selon la même source. Le nouveau wali, lors d’une rencontre avec la presse, alors qu’il venait à peine d’être installé, a déclaré qu’il n’avantagerait aucun secteur sur un autre. A ses dires, ils sont tous vitaux pour le développement de la wikaya, où il reconnait que si de grands efforts ont été consenti dans ce domaine, il reste quand même beaucoup à faire. Et, à titre illustratif, il a évoqué son passage en 1983 dans la wilaya où le chef-lieu ne lui avait pas paru plus grand qu’une bourgade.

Pourtant, cet après midi même, il provoquait la réunion du conseil de wilaya pour débattre du problème lié au foncier industriel et demandait au responsable du Calpi par intérim d’assainir ce dossier. Une heure après, il se rendait sur le site industriel de Sidi Khaled pour une constatation de visu.

Selon notre source, le wali avait deux objectifs pour relancer le dossier du foncier industriel : lever toutes les contraintes physiques qui l’entravent et élargir le champ d’investissement en accueillant tous les projets, même ceux qui ne s’inscrivent pas dans le contexte agricole construit un peu arbitrairement par les anciens décideurs. C’est pourquoi, il est un point sur lequel il s’est attardé lors du conseil de wilaya, le souci d’harmoniser les activités de manière à les avoir sur le site en fonction des liens qu’elles ont entre elles. Quand aux terrains en possession de l’URBAB qui était non un catalyseur dans le développement, mais comme un frein, il faut s’attendre à une expropriation pour cause d’utilité publique. Ceux des journalistes qui s’attendaient à ne voir le nouveau wali jouer qu’un rôle minime, eu égard aux dépenses folles d’énergie faite par son prédécesseur, ont eu ce jour-là un aperçu de la nouvelle politique axée résolument vers la création d’un noyau industriel et le développement des filières y afférentes.

En vérité, chaque wali avait des programmes et des projets qu’il mûrit en fonction des capacités potentielles de la wilaya. Le nouveau chef de l’exécutif a tout de suite saisi l’importance des opportunités qui s’offraient à lui et a misé dessus. Dans deux ou trois ans, nous verrons s’il a eu raison de commencer par là.

Un embryon d’industrie : l’hôtellerie

Si on inclut dans le secteur industriel les hôtels privés ou appartenant à l’Etat, on se rend compte que ces établissements publics sont une source de richesse et de rentrée de devises, mais également un moyen de faire connaitre notre gastronomie et une manière de nouer avec la tradition et la culture de la région. En d’autres termes, tout en faisant valoir les produits du terroir par le truchement de l’art culinaire, les hôtels demeurent un moyen d’exporter une image touristique et conviviale d’un pays traditionnellement hospitalier et souriant.

Il est difficile d’évaluer de façon précise ce patrimoine plus culturel qu’industriel, ni de donner un chiffre quelconque concernant les richesses générées. Encore moins sur les emplois créés. Notre propos étant de souligner l’implication du domaine hôtelier dans la politique actuelle et les objectifs de développement d’un tissu industriel s’inscrivant lui-même dans un cadre global : le développement économique et durable de la wilaya. Il y a juste lieu de faire remarquer qu’avec l’autoroute qui la traverse sur 101 km du nord au sud-est, et du fait des grands projets structurants où s’emploient à leur réalisation une main d’œuvre étrangère quafiée (barrages, tronçons autoroutiers, tunnels, ouvrages d’arts, stations d’épuration, pose de pipeslines etc..), la wilaya est confronté à une forte affluence d’étrangers sur son sol.

Celle-ci, en constante augmentation depuis que la situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée, constitue une source de richesse pour la wilaya. Pour la capter, cette dernière ne cesse d’investir dans des projets d’hôtellerie, dans l’artisanat et le tourisme. C’est ainsi que sont nés une quinzaine d’hôtels ou d’auberges, dont les plus importants sont l’hôtel Sofy, l’hôtel Royal, l’hôtel Nassim, celui de Tikdjda, de Hamam Ksenna ou d’El Asnam. Jugées insuffisantes au regard de la forte clientèle tant locale qu’étrangère, les autorités ont décidé de construire deux autres hôtels en sus de ceux déjà fonctionnels.

Diversifier la palette économique

C’est ce souci de diversification de la palette économique pour réussir le décollage économique que le nouveau wali a voulu d’entrée de jeu porter à bras le corps un secteur en état de sommeil, pour ne pas dire inexistant. Considérant d’une part, les potentialités existantes, comme le portefeuille foncier dont dispose la wilaya, les ressources hydriques et minières (carrières d’agrégats et pétrole), tenant compte de la situation géographique de la wilaya qui en fait un carrefour d’échanges entre les quatre coins du pays, grâce à ses infrastructures qui tout en accélérant sa mutation font d’elle une banlieue d’Alger, le wali semble avoir appréhendé dans un éclair le devenir de la wilaya dont la prospérité repose autant sur sa vocation agricole que sur un programme hardi autour de son industrialisation.

C’est ainsi, en tout cas, que devrait être compris son message délivré la semaine dernière lors de sa rencontre avec la presse locale. Ce n’est pas les bonnes idées qui manquent à la wilaya qui, hier encore, était considérée comme l’une des plus pauvres, en raison de ses potentialités et où le taux de chômage avoisinait et même dépassait les 12%, selon les chiffres officiels. C’est un déficit de volonté et de passage à l’acte.

Ali D.