Le personnel médical les plus éxposés aux agréssions
Les résultats de notre enquête sont pires que ce que l’on pouvait imaginer. Vous allez découvrir comment on peut se balader dans tous les coins d’un hôpital, les chambres et bureaux et accéder même aux registres d’admission, sans en être inquiété.
Vous allez aussi voir comment n’importe qui peut se faire passer pour un médecin ou autre praticien, sans que personne ne remarque «l’intrus» et cela grâce un petit costume blanc, la blouse.
«On y entre comme dans un moulin», dit l’expression populaire pour définir un endroit où l’on peut pénétrer à sa guise. En Algérie, cette expression devrait être changée en remplaçant les moulins par…les hôpitaux, tellement n’importe qui peut y entrer, avec n’importe quoi! En effet, dans les hôpitaux algériens ont fait montre d’une passivité déconcertante en matière de sécurité. N’importe qui peut y entrer sans avoir à se justifier. Ce laisser-aller fait que les médecins, particulièrement ceux des urgences, sont exposés quotidiennement aux agressions et autres insultes. Le passage à tabac, dont a fait l’objet, la semaine dernière, un jeune médecin résident de l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger, relance incontestablement le débat sur la sécurité dans les hôpitaux. Pour nous enquérir de la réalité, nous avons décidé de mener une enquête en immersion dans les hôpitaux de la capitale. Surprise: les résultats sont bien pires que ce que l’on pouvait imaginer. Vous allez découvrir comment on peut se balader dans tous les services d’un hôpital, ouvrir ses pièces et accéder même aux registres d’admissions sans en être inquiété. Vous allez aussi voir comment n’importe qui peut se faire passer pour un médecin ou autre praticien, sans que personne ne remarque «l’intrus» et cela grâce un petit tissu blanc, la blouse. Appréciez plutôt, car le meilleur reste à venir… La palme revient incontestablement et sans le moindre doute au CHU Salim-Zemirli (Trois Caves – El Harrach). On peut affirmer sans avoir peur du ridicule que cet hôpital fait office de «référence» en matière de laisser-aller! La sécurité y est inexistante! Cela même si des agents sont payés pour veiller à la quiétude et à la sécurité des lieux. En cette belle soirée ramadhanesque on part donc en direction de ce CHU de la banlieue Est de la capitale. Arrivés sur place, direction les «urgences». On prend place dans une salle d’attente, qui semble ne pas avoir été nettoyée depuis sa construction, afin de prendre la température.
L’hôpital Zemirli fait office de «référence»
Il est 21 h, on s’installe, observant les va-et-vient pendant presque une heure, sans que personne ne remarque notre présence. Après l’étape des observations, on décide de passer à l’action! À notre tour de déambuler dans le service des «urgences». On se promène dans les couloirs, on ouvre des portes censées être fermées et interdites au public. On accède même à une salle où les consommables tels que les compresses et l’alcool chirurgical sont stockés. On se permet même le luxe de consulter les registres dans des salles désertées par leurs occupants pour aller griller une cigarette, siroter un café ou tout simplement discuter! Mais le plus grave dans cette histoire est le fait que des ordonnances vierges sont laissées sans surveillance avec les éventuels dangers que cela peut entraîner si elles tombaient entre de mauvaises mains… Après notre paisible «promenade» on décide de se réinstaller dans la salle d’attente, car c’était l’heure du film… Ayant entendu des cris retentir de cette salle d’attente, nous accourons pour nous enquérir de la situation. «Comment ça y a pas de place!», peste violemment un jeune vêtu d’un maillot de l’USMH à la face d’un médecin qui tente de lui expliquer que son ami qui avait une crise d’appendicite devait aller voir dans un autre hôpital vu qu’à Zemirli c’était complet. Inquiet pour leur ami, ce jeune et sa bande n’arrivent pas à comprendre pourquoi on ne prend pas en charge un malade à l’hôpital. Ils déversent alors leur colère contre ce jeune médecin, en proférant des insultes. Mais ce jeune médecin garde son sang-froid et ne semblait pas ébranlé par les deux jeunes. Juste après cette brève altercation, un autre homme se met à crier et insulter. «Wine rahi hadh el deba, hmara» (où est cette animale, cette bourrique), s’écrie un homme, allongé sur un brancard, pour appeler son médecin qui était parti pour tenter de le faire admettre dans un autre service. «Rah antayahelha lahmara hadi (je vais l’insulter cette bourrique)», ajoute-t-il, avant qu’un autre médecin ne vienne tenter de le raisonner. Mais en vain. Dès que la jeune résidente revient dans la salle tout sourire d’avoir pu lui dénicher une place, il la remercie avec des énormités qui font très mal aux oreilles! Comme le premier médecin, la jeune fille garde son sang-froid se contentant de lui dire «Allah yahdik» (que Dieu te ramène à la raison).
Les femmes se mettent de la partie
Il n’y a pas que les hommes qui agressent les médecins et le personnel médical. Même la gent féminine se met de la partie. Venu avec sa mère qui s’était foulée la cheville, une jeune fille impatiente, frappe violemment à la porte de la salle de soins. Lui ouvrant la porte pour lui dire de patienter, car il y avait un patient dans la salle, un infirmier se fait insulter par la jeune fille qui tente d’entrer de force. Il lui claque alors la porte au visage et referme la porte à double tour. Il est 23 heures, après des allers et venues incessants de la Protection civile qui évacue des malades vers ces urgences, une Tooyta Hillux arrive en trombe. Une dizaine de jeunes ont ramené un de leurs copains qui venait d’être blessé au couteau après une violente bagarre. Gisant dans une mare de sang, ce jeune est de suite pris en charge par les médecins. Le temps de garer son véhicule, le conducteur de la voiture fait irruption dans la salle d’attente. Soucieux du sort de son ami, il demande à le voir. Les infirmiers lui répondent que c’est impossible. «Personne n’entre dans la salle tant que l’état de votre ami ne s’est pas stabilisé», lui expliquent-ils. Ne voulant rien savoir, il commence à proférer des insultes, déverse sa colère contre le personnel médical et enlève son pull pour essayer de les impressionner. Il fait ensuite une tentative d’intrusion que les médecins et aides-soignants repoussent. Alors, il les bouscule violemment. Face à ce comportement, ils lui font du chantage. «On ne soigne pas dans ces conditions votre ami», lui lancent les médecins. Une phrase qui le calme de suite! Il s’en va donc laissant les médecins tenter de sauver son copain. Les altercations et les insultes sont monnaie courante dans cet établissement hospitalier. La réaction des médecins ne fait que le prouver! D’ailleurs, un des médecins que nous sollicitons à sa pause cigarette, nous le confirme. «À Zemirli, les insultes et les agressions sont quotidiennes», assure-t-il. «Ils viennent en bande, nous bousculent, nous insultent. Ils nous menacent et certains lèvent même la main sur nous», déplore-t-il. «Il n’y a même pas de cela une heure, un jeune m’a menacé de m’attendre à la sortie de l’hôpital pour me régler mon compte», raconte-t-il. «On a donc l’habitude, on ne leur répond pas, car ils viennent en meute qui ne cherchent qu’à en découdre», se désole-t-il. Et les agents de sécurité dans tout ça? «Vous les avez vu intervenir tout à l’heure?», nous interroge-t-il en guise de réponse. «La plupart sont des jeunes de leur quartier, ils ont peur donc des représailles», atteste-t-il. «Il n’y a aucune sécurité, ces agents sont juste bons à discuter dehors et boire leur café. Regardez-les! En plus, ils viennent nous harceler pour pistonner leurs copains ou des membres de leur famille», dénonce-t-il. «Ce n’est pas mieux du côté de la police…», s’indigne-t-il. Il est 1h du matin, nous quittons les urgences de l’hôpital Zemirli, laissant derrière nous un personnel médical qui lutte…pour sa propre survie.
Le lendemain de notre virée à l’hôpital Zemirli, on décide de faire le tour des autres hôpitaux. Cependant, cette fois-ci nous tentons de nous faire passer pour des membres du personnel médical. Notre tenue de «camouflage» était des plus simples: une blouse blanche. Avec cet accessoire magique et en prime des lunettes de vue pour faire «intello», toutes les portes nous ont été ouvertes, que ce soit à Mustapha, Nafissa-Hamoud (Parnet) ou encore l’hôpital Maillot de Bab El-Oued
Blouse blanche, passe-partout!
On entre où l’on veut sans que personne ne nous demande où on va ou qui on est. On accède aux salles de soins, bref on est comme de vrais médecins. On se fait même interpeller par des patients qui nous demandent de les prendre en charge. Et on aurait même pu le faire sans que personne ne remarque notre présence. Les agents de sécurité nous saluent même et nous souhaitent bonne journée. Les urgences sont les plus faciles d’accès. On y entre véritablement comme dans un moulin: «Il y a plein d’accès où tout le monde peut rentrer n’importe comment. Et quand il y a trop de patients par rapport aux capacités d’accueil, ça crée de la tension», souligne un médecin du CHU Mustapha-Pacha à qui nous avons raconté notre intrusion. «Ça ne m’étonne pas que vous ayez réussi à vous balader aussi facilement dans nos établissements sanitaires qui sont devenus aussi faciles d’accès que les marchés», témoigne-t-il. «Des personnes étrangères y font irruption, tous les jours, dans les services, et agressent, que ce soit physiquement ou verbalement, le personnel médical sans être inquiétées», réplique-t-il. «En plus des urgences, les services de gynécologie sont, d’après mon expérience, les plus touchés par ces pressions», rapporte-t-il. «En gynécologie les maris sont très agressifs. Certains parce qu’on ne trouve pas de place à leur conjointe ou autres, tout simplement à cause du fait que le médecin qui va prendre en charge sa femme est un homme», relate-t-il en indiquant que le respect qu’avaient les gens envers les médecins a disparu. «Avant, les gens tremblaient devant un médecin tellement, c’était un modèle que tout le monde voulait suivre», raconte-t-il. «Maintenant, des jeunes ne nous appellent même plus docteur. Certains se permettant de nous dire sadiki ou chriki», s’insurge ce médecin qui dit avoir déjà subi des agressions. «Mais ce sont les jeunes médecins qui sont les plus exposés», conclut-il. En somme, notre virée dans les hôpitaux de la capitale, nous a permis de démontrer que les CHU algériens sont aux prises avec de graves problèmes liés à la sécurité. Sécurité dites-vous?
Après être devenus des mouroirs pour les patients, ils le sont pour les médecins…