Tout se passe comme si la situation était “normale”, au sens algérien du terme, une singulière signification qui allie à la fois un caractère ubuesque et spécifique.
L’événement en soi est révélateur sans doute de l’état de paralysie politique qui frappe la plus haute institution du pays : contrairement aux usages établis, c’est le chef de la diplomatie, Ramtane Lamamra, qui a reçu hier Mme Joan A. Polaschik, qui lui a remis les copies figurées des lettres de créances l’accréditant en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’État plurinational des États-Unis d’Amérique auprès de la République algérienne démocratique et populaire.
Lundi dernier, c’est l’ambassadeur de France en Algérie qui a quitté son poste sans être reçu par le Président, comme le veut l’usage, du moins depuis l’avènement du règne de Bouteflika en 1999. André Parant, dont le pays est pourtant un partenaire-clé de l’Algérie, s’est contenté d’une rencontre avec Abdelmalek Sellal, le président du Sénat et le président de l’APN.
Même si la Constitution, dans son article 78, stipule clairement que le président de la République “reçoit les lettres de créance et de rappel des représentants diplomatiques étrangers”, cette disposition n’est pas respectée depuis quelques années. Aussi l’article 87 stipule qu’il ne peut déléguer ce pouvoir à d’autres sphères décisionnelles. C’est dire l’entorse à une disposition institutionnelle, même si, de l’avis de certains juristes, il n’est écrit nulle part que le Président est tenu d’être présent physiquement lors de la réception des lettres de créance.
Cependant, cette activité qui meublait le JT de “l’Unique”, montrant un défilé d’ambassadeurs à la présidence de la République, a disparu depuis quelques années. Mis à part quelques rares apparitions, comme celle récente avec le responsable d’Ennahda tunisien, ou encore lors du dernier Conseil des ministres, les activités du Président sont réduites à la portion congrue. Pour les activités à l’étranger, il se fait représenter souvent par Abdelmalek Sellal ou par le président du Sénat, Abdelkader Bensalah.
À l’intérieur, lors de certaines cérémonies, ses discours sont lus par un de ses conseillers ou par des ministres. Et c’est l’agence officielle qui se charge de répercuter les “activités” du Président, mais sans que les Algériens, pour lesquels la cause semble déjà entendue, le voient, ni l’entendent. Cette quasi-vacance du pouvoir au sommet de l’État, qui n’est pas sans lien avec l’état de santé du Président, un sujet devenu tabou, et qui prête le flanc aux spéculations sur les vrais décideurs, ne semble pas incommoder outre mesure, du moins en apparence, les autres sphères décisionnelles, comme l’Exécutif ou encore le Parlement. Tout se passe comme si la situation était “normale”, au sens algérien du terme, une singulière signification qui allie à la fois un caractère ubuesque et spécifique.
Pourtant l’opposition algérienne, pour une fois réunie dans ses diverses tendances et unanime sur le diagnostic de la crise et sur la nécessite urgente d’aller à une transition, ne cesse de mettre en garde contre les risques que charrie ce statu quo et les dangers dont les signes sont nombreux qui guettent désormais le pays, dans un contexte régional explosif. Des mises en garde restées, pour l’heure, sans écho.
“L’option d’une période de transition brandie par ceux ayant préféré boycotter ces consultations se veut l’une des plus dangereuses formes d’opposition à l’appel de la présidence de la République à la participation au dialogue sur la révision constitutionnelle”, décrétait en juin dernier Ahmed Ouyahia. Mais jusqu’où ira ce dialogue de sourds ? Jusqu’à quand l’Algérie continuera-t-elle à fonctionner sans des institutions opérationnelles ?
Au regard des défis qui attendent le pays, ses engagements, la mise sous le boisseau du projet de révision constitutionnelle sur lequel les autorités ont cessé de communiquer, et l’agenda politique et économique des prochains mois, on est tenté de croire que des scénarios sont à prévoir, mais dont on ne peut saisir, pour l’heure, les contours. Et c’est ce qui pourrait expliquer, en grande partie, cette subite agitation qui a gagné toute l’opposition. Si les fleurs bougent, c’est qu’il y a du vent, disent les Chinois.
K K