Si la tension du logement a baissé d’un cran dans les wilayas qui ont connu, ces derniers jours, des turbulences et des émeutes, c’est parce qu’Alger a enjoint aux walis d’impliquer, plus directement, les citoyens que les APC. Selon un élu de l’APW de Laghouat, Alger a exigé du wali contesté, Youcef Chorfa, de vite faire participer les sages de la ville, les représentants des contestataires et les comités représentatifs de la société civile».
Les membres de la délégation dépêchée d’Alger sont arrivés à Laghouat avec la ferme intention d’écouter les propositions des représentants des émeutiers, et ils les ont reçus et entendus, vendredi dernier, après la prière hebdomadaire.
Ce furent surtout des imams qui se sont impliqués à Laghouat, et grâce au charisme de certains d’entre eux, ou à cause de leur âge et de leur position, ils ont pu apaiser les tensions de quelques crans, sans, toutefois, arriver à les circonscrire totalement, car dès le lendemain, samedi, les jeunes Laghouatis étaient entassés dans leur «Place de la Résistance», improvisée comme une forteresse à leurs revendications après que la vingtaine de véhicules de policiers eurent obstrué le grand boulevard du Dr Saâdane, principale artère débouchant directement sur le siège de la wilaya, objet de toutes les convoitises.
Pour le ministère de l’Intérieur, outre qu’il s’agit d’une gestion dans l’urgence, en pleine période hivernale et préélectorale, c’est aussi un défi qu’il faut relever pour faire pièce aux rumeurs qui circulent et qui prédisent des turbulences globales qui pourraient déboucher sur une grave sédition, de l’ordre qu’on a vu chez nos voisins. Des signaux négatifs font craindre le pire.
Des heurts ont opposé des vendeurs informels et des demandeurs de logements aux agents des forces de l’ordre, à Douéra, dimanche dernier. Réagissant face à l’interdiction qui leur a été signifiée de quitter les espaces publics qu’ils squattaient à proximité des stations de bus, les vendeurs occasionnels ont pu faire rallier à leur cause les demandeurs de logement insatisfaits. Les demandeurs de logements les ont rejoints par la suite.
Le même scénario est reconduit par une curieuse logique qui semble faire consensus. Les manifestants ont fermé tous les accès menant à Douéra et bloqué la route reliant leur commune à Khraïssia et à Blida. Pour parer à cette situation, la Gendarmerie a fermé la RN 36, reliant Aïn Benian à Boufarik, pour gagner d’autres voies de communication. Dans le brouhaha général, trois véhicules ont été incendiés par les manifestants et d’importants renforts de forces antiémeute ont été dépêchés.
EFFET CONTAGION
Les mêmes scénarios se reconduisent encore çà et là, et prédisent d’une turbulence qui veut se généraliser. À Haïzer, dans la wilaya de Bouira, la contestation sociale a fait grogner des centaines de citoyens mécontents de leurs conditions sociales.
Chômage, exclusion et précarité sont dénoncés, et les manifestants ont procédé à la fermeture, à l’aide de troncs d’arbres et de pneus brûlés, de la RN 33, reliant Bouira à Tizi Ouzou. Les autorités locales sont évidemment pointées du doigt face à leur situation sociale et leur niveau de vie. On s’en souvient, il y a deux années, le recasement des habitants des bidonvilles de Diar Echams a tourné à la guérilla urbaine, avec affrontements, gaz lacrymogènes, arrestations et convois de renforts policiers.
Mais, le problème, aujourd’hui, c’est que tous ceux qui attendent d’être recasés disent la même chose : «On a commencé par reloger les habitants de tel quartier, parce que les habitants de ce quartier ont fait des émeutes, barré la route et brûlé des pneus».
Et on est parti pour un effet contagion à grande échelle. Ailleurs, dans la wilaya d’Oran, la force publique a été réquisitionnée pour démolir un bidonville, provoquant une émeute des occupants et rappelant de vieux souvenirs du quartier des Planteurs avec son lot d’émeutes qui ont fini par un relogement des habitants.
Fautil user systématiquement de l’émeute pour postuler à un logement social ? La question ne se pose même pas chez les habitants des bidonvilles, les chalets et les vieilles bâtisses. Interface incontournables entre les autorités et les citoyens, les élus locaux ont abondonné leurs rôles de premiers gestionnaires de la cité. Les APC ne délivrent, certes, plus de logements.
Mais ce sont elles qui se chargent de l’établissement des listes de bénéficiaires, avec tous les avantages et les trafics que cela implique. Si pour parer à toutes ces turbulences, et de ce fait, désamorcer la sédition qui couve, le ministère de l’Intérieur a choisi le moyen de dépêcher, à chaque fois, une commission d’enquête sur les lieux de la contestation, c’est justement pour résoudre les problèmes à la source. Sauf qu’on ne peut recourir à ce procédé indéfiniment, car il est coûteux, lent et aléatoire, aussi.
Des villes et communes comme Réghaïa, Hamiz, Boumerdès, Béjaïa, Djelfa, Blida et ailleurs, la contagion est rapide et l’effet boule de neige est perceptible. Les citoyens mécontents, les contestataires et autres laissés-pour-compte savent exactement à quel moment bouger, comme ils savent, aussi, avec la régularité d’un métronome, quelles sont les périodes de fragilité de l’État pour demander et exiger leurs droits au logement et au travail. Pour le moment, les citoyens donnent l’impression de savoir qu’ils agissent en «période favorable»…
Fayçal Oukaci