Affrontements, saccage de magasins et risques de dérapage, Ghardaïa, une ville sous haute tension

Affrontements, saccage de magasins et risques de dérapage, Ghardaïa, une ville sous haute tension

Vingt-deux policiers blessés, 8 arrestations et des magasins incendiés. Tel est le bilan provisoire des affrontements et des saccages à Ghardaïa où la violence est encore montée d’un cran depuis la nuit de mardi à mercredi.

La situation sécuritaire à Ghardaïa, malgré tous les moyens humains et matériels déployés par les services de police, s’est encore aggravée dans la nuit de mardi à mercredi. Plusieurs quartiers se sont joints aux affrontements entre les jeunes des deux communautés, les Mozabites et les arabophones. Mais c’est surtout la vieille ville, à la limite des deux quartiers de Haï El-Moudjahidine (ex-Zgag Lihoud) et la vieille médina, du côté de l’antique mosquée Ibadite qui domine superbement le vieux marché, que les violences ont été les plus intenses. Mais c’est l’inextricable quartier populaire de Hadj Messaoud qui a donné le plus de fil à retordre aux éléments des forces antiémeutes qui s’employaient, à coups de balles en caoutchouc et de grenades lacrymogènes, à contenir les assauts des jeunes qui avaient l’avantage de la connaissance du terrain.

Beaucoup de blessés ont été enregistrés des deux côtés, dont quelques-uns gravement touchés, tel celui dont l’œil droit a été atteint par un projectile et qui a été transféré en urgence vers le service de chirurgie ophtalmologique de l’hôpital de Beni Messous, à Alger. Dans les rangs des forces de l’ordre, on comptait hier pas moins de 22 policiers blessés, alors que 8 arrestations ont été opérées.

Pour ce qui est du bilan des blessés parmi les émeutiers, il n’est pas possible d’avoir un chiffre précis, et ce, pour la simple raison qu’aucune communauté n’a évacué ses blessés vers les structures sanitaires, appréhendant leur probable arrestation. C’est la violence qui s’est déplacée vers d’autres quartiers qui a compliqué la tâche des forces de l’ordre qui ne savaient plus où donner de la tête tant les foyers de tension se multipliaient dans différents quartiers aux quatre coins de la ville, tels Bab El-Hadda, Soug Lahtab, Aïn Lebeau, Ben Smara, et surtout les violents affrontements qui se sont déroulés dans le plus grand quartier populaire de Ghardaïa, à savoir Theniet El-Makhzen où pas moins de cinq magasins commerciaux appartenant tous à des Mozabites ont été complètement pillés, saccagés et incendiés. Il ne restait, à notre passage sur les lieux, que des amas de cendres qui continuaient à se consumer lentement.

Des magasins incendiés et aucune  arrestation

Ce qui a mis en émoi la communauté mozabite qui se voit, encore une fois, touchée dans sa sécurité et ses biens. Ce qui irrite les Mozabites, c’est que malgré la violence des affrontements et tous les dégâts occasionnés, il n’y a eu aucune arrestation sur les lieux des incendies de magasins. Mais, nous dit-on du côté des services de sécurité : “Ça va venir, et tous ceux qui ont participé aux pillages et aux incendies seront arrêtés et traduits devant la justice.” C’est justement ce que demande et exige avec force la communauté ibadite qui a payé le prix fort en termes de perte de propriétés commerciales.

En effet, tous les magasins qui ont été pillés et incendiés appartiennent à cette communauté et se situent tous dans des quartiers malékites. Pour dénoncer ces pillages et ces actes de vandalisme que l’on croyait à jamais bannis des mémoires locales depuis les tristes événements de Berriane en 2008/2009, des appels émanant principalement de l’Union générale des commerçants et artisans Algériens (UGCAA), section de Ghardaïa, et de la Fédération locale du Front des forces socialistes (FFS) ont appelé les commerçants à baisser rideau et rester fermés, et donc à observer une grève générale ouverte, et ce, tant que les pouvoirs publics ne répondent pas concrètement à leurs appels à la protection des biens de cette communauté et à l’identification, à l’arrestation et à la présentation devant la justice des auteurs des actes de violence, de vol et d’incendie.

L’appel à la grève est pour l’instant suivi à près de 100% en ville et dans les vieux quartiers, à tel point que dans certains endroits de la ville, il est pratiquement impossible aux ménagères de dénicher le moindre quignon de pain, ni un sachet de lait et encore moins quelques fruits ou légumes. Par ailleurs, dans le même communiqué de l’UGCAA, il est demandé aux pouvoirs publics de procéder au dédommagement des propriétaires des magasins pillés et incendiés, alors que le FFS impute “la totalité de la responsabilité de ces actes au pouvoir qui, d’une part, fait la sourde oreille aux revendications légitimes de cette communauté qui demande depuis des lustres sa protection et, d’autre part, à l’incapacité des forces de sécurité à maintenir l’ordre public, notamment en intervenant très tardivement sur les lieux de friction, laissant ainsi le champ libre aux agresseurs de tout détruire avant d’intervenir”. Pour sa part,  Hammou  Mesbah, le responsable fédéral du FFS de Ghardaïa, “exige que les pouvoirs publics envoient des gendarmes beaucoup plus  capables  de ramener l’ordre et de poursuivre  les instigateurs de ces violences”. Et d’ajouter : “Nous n’avons plus confiance dans la police qui prend partie dans ces événements et qui laisse pourrir la situation pour des raisons que nous ignorons.”

“Des personnes connues sont en train  d’allumer le brasier”

Pour son adjoint au FFS et membre de l’UGCCA, Khoudir Bbabaz, “il n’est plus question de croire aux promesses des autorités locales qui ne les tiennent plus. Nous exigeons, par ailleurs, une véritable commission d’enquête qui va au fond du problème et qui écoute ceux qui en souffrent. Nous refusons ces commissions qui viennent manger des méchouis et repartent sans aucun règlement du problème”. Et d’ajouter : “J’insiste sur le fait qu’il n’y a aucun problème entre Malékites et Ibadites, nous avons bien vécu en bonne cohabitation pendant des siècles, c’est des gens connus de certains milieux qui sont en train de tout faire pour allumer le brasier et cacher leurs activités criminelles. Ils sont connus des services, à eux de faire leur travail.” Rappelons que ces incidents ont éclaté après le vol et le saccage d’un magasin en pleine ville et suite aux rumeurs donnant pour mort un jeune touché par un projectile à la tête, ce qui a induit des accusations en cascade d’un quartier contre un autre. “Les événements de lundi et mardi ne sont pas fortuits”, déclare un notable mozabite. Mais au-delà des faits, tout le monde à Ghardaïa, que ce soit du côté des Arabes ou des Mozabites, s’accorde à dire que les derniers événements ne sont que la conséquence logique d’un cumul de ressentiments et d’animosités. Les Mozabites se montrent placides face à ce qu’ils qualifient d’“attaques infondées”. “Il est primordial de respecter les différences des uns et des autres et de les accepter. Nous sommes une communauté qui a sa culture, son mode de vie, sa langue, qui tient toujours à son ancienne forme organisationnelle et perpétue sa civilisation”, ajoute un Mozabite, qui met en exergue la nature conservatrice de sa communauté : “Cela ne nous empêche pas d’être en contact avec d’autres communautés, d’établir de bons rapports avec elles dans le respect mutuel…” Les appréhensions de notre interlocuteur sont légitimes, surtout lorsque l’on sait que des apprentis sorciers jouent aux pyromanes en mettant le feu aux poudres. C’est pourquoi des gens de bonne volonté des deux communautés appellent à la sagesse et mettent toute leur énergie pour contenir la fougue guerrière des jeunes de leurs communautés respectives. Selon un sociologue bien connu sur la place de Ghardaïa, les derniers événements sont dûs à plusieurs facteurs, dont l’explosion démographique qu’a connue la ville au cours de ces trente dernières années.

L’absence de dialogue permanent aggrave la situation

Cette expansion démographique a provoqué, explique-t-il, des problèmes multiples : chômage, crise de logement… La ville a aussi connu une extension anarchique encourageant toutes sortes de frictions.

Les avis sont ainsi parfois contradictoires et les explications des uns et des autres se contredisent. Mais il est clair que les stigmates des événements qui se sont produits par le passé sont toujours là et continuent à réveiller les vieux démons.

À cela s’ajoute la différence sur les plans culturel, traditionnel et rituel qui attise les tensions entre les deux communautés. L’absence de dialogue permanent aggrave la situation.

Les renforts arrivés la veille de plusieurs villes du pays ont pris position dans les endroits stratégiques de la ville, se plaçant en tampon entre les quartiers belligérants, repoussant les jeunes dans leurs quartiers respectifs à coups de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc. “Mais jusqu’à quand et au prix de combien de victimes et de dégâts encore ?”, se demande Aâmi Belkacem.

L. K