Des événements surdimensionnés
Il ne peut donc être présenté uniquement et essentiellement comme une rivalité qui opposerait arabophones et berbérophones (Arabes et Targuis) sans prendre le risque de l’inscrire dans une dimension linguistique dont les effets collatéraux premiers battraient en brèche l’identité algérienne.
Les affrontements entre les populations de cette région présenté comme un conflit inter-ethnique donne une vision étriquée, voire réductrice d’une «affaire» qui mérite d’être scrutée par l’autre bout de la lorgnette étant donné la complexité de la composante sociale des populations qui ont peuplé cette partie du territoire national. Ce qui la rend d’autant plus sensible lorsqu’elle est livrée à des lectures propices à la manipulation politique dont les desseins inavouables tendraient à la fracture de l’identité nationale.
Les représentants des deux parties en conflit qui ont appelé l’Etat à travers un communiqué commun à «punir sévèrement les auteurs des troubles et tous ceux qui menaceraient l’entente entre les deux communautés» tout en dénonçant les médias qui ont eu tendance à amplifier l’événement en se cristallisant sur son aspect tribal, montrent combien il était urgent de mettre des garde-fous à cette affaire. Certes l’instabilité du Mali voisin, notamment la sécession du Nord-Mali revendiquée par la rébellion touarègue puis la tentative de mainmise des groupes islamistes armés sur l’ensemble du territoire malien, a rendu beaucoup plus vulnérables les populations algériennes frontalières avec ce pays, mais de là à y voir une parenté avec ce qui s’est passé à Bordj Badji Mokhtar, il y a un pas qu’il serait imprudent de franchir. «Je préfère parler de «citoyens» et non pas de «communautés». «Ce sont des Algériens qui partagent les mêmes joies et les mêmes malheurs», a déclaré le wali d’Adrar au quotidien national El Watan qui a sans doute estimé que la ligne rouge a été franchie par une certaine presse ignorante des tenants et aboutissants de ce type d’événement.
Le conflit ne peut donc être présenté uniquement et essentiellement comme une rivalité qui opposerait arabophones et berbérophones (Arabes et Targuis) sans prendre le risque de l’inscrire dans une dimension linguistique dont les effets collatéraux premiers battraient en brèche une identité algérienne qui s’est forgée au fil des siècles au rythme des flux migratoires. Un melting-pot qui a fait de cette terre d’Algérie une terre d’accueil qui a ouvert les bras à tous les damnés de la terre et aux trois religions monothéistes qui ont harmonieusement cohabité pendant des siècles. Les populations du sud du pays en donnent le meilleur exemple. A l’instar de celle du Tassili des Ajjers (extrême-sud est du pays dans la wilaya d’Illizi) qui a brassé et regroupé autour d’une identité targuie des populations hétéroclites et qui à bien des égards, a en partage une forme d’organisation sociale (nomadisme ou semi-nomadisme) et un fonds linguistique commun avec celle de Bordj Badji Mokhtar. Une comparaison qui trouve tout son intérêt pour démontrer le caractère pacifique des tribus et des peuplades de ces régions. Des arguments suffisants pour battre en brèche la thèse officielle véhiculée et le mobile combien dramatique (meurtre d’un jeune Targui) mis en exergue pour mettre le feu aux poudres à une région qui vit sous la pression d’un conflit frontalier qui a menacé, jusque dans ses fondements, un Etat malien dont la population touarègue a été laissée-pour-compte. Une situation loin de prévaloir à l’intérieur de nos frontières. Il n’en demeure pas moins que les conditions socio-économiques précaires des populations de ces contrées qui donnent lieu à des revendications pacifiques tout à fait légitimes n’en constituent pas moins un terreau favorable à tout type de récupération…