Le conflit inter-ethnique à Bordj Badji Mokhtar, bien qu’il fait suite à un vol dans un magasin, est un prolongement de celui, toujours prégnant, qui oppose nos voisins maliens.
Les affrontements entre les « communautés » targuie et arabe, dans la wilaya d’Adrar, sont, en effet, une conséquence de la guerre au Mali. Si l’on ne prenait garde, cette situation qui risque de s’amplifier peut entraîner la déstabilisation des confins sahariens algériens proches de la frontière malienne.
Depuis que la guerre au Mali a éclaté, impliquant toutes les composantes ethniques de ce pays, il était devenu probable que les tensions et les rivalités ancestrales, entre notamment les « communautés » targuie et arabe, allaient ressurgir du côté de la frontière algérienne. Moins exacerbés que dans le pays voisins ou ailleurs en Afrique, qui a vécu des conflits tribaux épouvantables et continue d’en souffrir, au Congo, en 1960, avec l’affaire du Katanga, au Nigéria, en 1967, avec celle du Biafra, au Rwanda, en 1994, en Côte d’Ivoire, en 2002, les affrontements ethniques en Algérie prennent une ampleur inquiétante pour la stabilité des régions sahariennes.
Du fait d’un découpage au sabre des frontières par les anciennes puissances coloniales, l’Afrique est livrée au poison de l’ethnicité dont le contre-poison, à travers la formation à marche forcée par la dictature qui s’instaure de l’Etat national, n’a pas produit ses effets. Partout en Afrique, au nord comme au sud, le stato nationalisme est mis en échec, plus de cinquante ans après les indépendances, par des revendications ethno-identitaires, souvent violentes. L’Etat providence en tant qu’agent de la solidarité et de la cohésion s’est désagrégé et la faillite du développement économique, qui devait assurer le bien être à tous, a distendu les liens sociaux entre les populations retranchées derrière leurs particularismes.
Ce sont fondamentalement les mêmes causes qui agitent les antagonismes, dans la plupart des pays de cette Afrique qui est, selon le mot de René Dumont, mal partie. La difficile cohabitation « ethnique » et « religieuse» est susceptible, si une solution pérenne n’était pas trouvée dans les plus brefs délais, de mettre le feu aux poudres dans les confins sahariens algériens, d’autant que des apprentis sorciers jouent aux pyromanes.
Les affrontements qui ont eu lieu mardi dernier à la frontière algéro-malienne, à Bordj Badji Mokhtar, dans la wilaya d’Adrar, à 2200 km d’Alger, en dépit des prétextes utilisés – le vol d’un magasin par un membre de l’une des deux « communautés » en conflit – révèlent la profondeur de la fragmentation des liens sociaux et politiques que la guerre au nord du Mali a encore amplifiée.
La répression et les poursuites judiciaires, bien que jugées nécessaires par la population locale – laquelle a condamné les heurts – pour ramener le calme, ne sont pas une réponse adéquate à la situation qui pourrait connaître des événements bien plus graves dans les jours, semaines ou mois à venir.
Ces affrontements, qui ont fait des morts et des blessés graves, créent un précédent dangereux dans les tentatives sournoises de partitionner les régions sahariennes. Des forces impliquées dans la guerre au Mali, dont le Nord recèle des richesses insoupçonnées jusque-là, travaillent à donner aux Touareg l’Etat ou l’autonomie sur des territoires désertiques qu’ils revendiquent.
Brahim Younessi