En se référant à la loi 06/01 sur la corruption, Chakib Khelil et consorts risquent gros dans l’affaire Sonatrach. Selon l’article 27 relatif aux marchés publics, il peut écoper d’une peine allant jusqu’à 20 ans de prison.
En touchant à la mamelle des Algériens, il a porté un très grave préjudice, qui est à la fois financier, éthique, moral et de souveraineté sans oublier qu’en favorisant des sociétés étrangères dans l’octroi de contrats à coups de pots-de-vin, il n’a pas veillé aux intérêts du pays, alors que son poste de responsabilité exige qu’il les protège.
Dans cette affaire, l’engagement de l’Etat, à sa tête le président Bouteflika en sa qualité de premier magistrat du pays, doit être prompt et tranchant pour permettre à la machine judiciaire de se mettre réellement en marche, loin des pressions et des injonctions. En l’absence d’informations sur l’enquête en Algérie qui a été ouverte suite aux révélations sur les pots-de-vin impliquant l’ancien ministre de l’Energie et le neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères par les Italiens et les Canadiens, dans le sillage d’un coup de balai dans la fourmilière auquel ils ont procédé au sein de leurs entreprises et les spéculations qui ont suivi, nous avons sollicité deux spécialistes en droit pour nous éclairer.
Le Dr Bousmaha Nacerddine est spécialiste en droit public et auteur d’une thèse de doctorat sur «les crimes des chefs d’Etat». Il nous dit que «la promulgation de la loi 06/01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption en 2006 n’est pas venue à l’initiative du gouvernement. Elle entre dans le cadre des obligations internationales». Il faut signaler que l’Algérie a ratifié en 2005 la convention des Nations-Unies de lutte contre la corruption. La loi algérienne, qui complète le code pénal, comprend deux volets : la corruption dans le secteur privé et la corruption dans secteur public. C’est ce dernier volet qui nous intéresse. Il comprend toutes les institutions, les administrations, les entreprises et les entreprises économiques. Nous distinguons au moins 12 infractions qui concernent la corruption. Nous citerons les pots-de-vin, les cadeaux et avantages, la dilapidation des deniers publics, les abattements de taxes et impôts illégaux sur la base de fausses déclarations, la nondéclaration du patrimoine. Mais à ce stade préliminaire de l’enquête, nous n’avons pas suffisamment d’informations, sauf ce qui est révélé par la presse. Selon les recoupements, dans l’affaire Sonatrach, il existe tout un réseau international spécialisé dans le blanchiment d’argent. Autant dire que c’est un nid de guêpes.
Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la loi est très stricte et si elle est appliquée, voire s’il y a une réelle volonté politique, il n’échappera pas facilement à une peine privative de liberté. Il devra par ailleurs restituer les biens mal acquis. Le ministre Khelil ne signe pas les contrats, c’est le P-dg de Sonatrach qui en a la charge mais cela ne l’absout pas. Dans son cas, la loi le définit comme un agent public et voilà ce que dit l’article 2 de la loi 01/06 : «Un agent public est toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire ou au niveau d’une assemblée populaire locale élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non ou quel que soit son niveau hiérarchique ou son ancienneté. Toute personne investie d’un mandat même temporaire rémunéré ou non et concourt à ce titre au service d’un organisme public ou d’une entreprise publique ou de toute autre entreprise dans laquelle l’Etat détient tout ou une partie de son capital ou toute autre entreprise qui assure un service public.» Quelle peine encourt, au regard de la loi, Chakib Khelil ? interrogeons-nous. «Selon la loi, souligne le Dr Bousmaha, il peut être poursuivi pour usurpation de fonction, trafic d’influence, pots-de-vin, réception de cadeaux et avantages, mauvaise gestion, non-déclaration de patrimoine et ainsi de suite, selon les conclusions de l’enquête. Il faut signaler que dans le droit, il y a quatre catégories, les contraventions avec une peine maximum de moins de deux mois, les délits avec des peines entre 2 mois et 5 ans plus des amendes parfois, la plus grave est le crime. Les peines concernant les crimes, selon leur gravité, peuvent aller de 5 à vingt ans d’emprisonnement, de la perpétuité ou la condamnation à mort». Dans la précédente loi, la corruption était considérée comme un crime mais l’actuelle la définit comme un délit car la procédure est plus rapide et l’accusé peut faire appel. Le délit peut aller jusqu’à 10 ans de prison en plus d’une amende entre 200 000 DA et 1 000 000 DA. Ce revirement est dû à la controverse engendrée par la campagne «mains blanches» du temps d’Ouyahia, qui a vu des cadres injustement incriminés pour mauvaise gestion. On a décidé de faire marche arrière mais la mauvaise gestion est punie par le code du commerce dans ses articles 800 jusqu’à 806, la loi 06/01, a suspendu ce délit.
Certaines voix appellent à le réintégrer parce qu’elles pensent que si on ne peut pas épingler les hauts responsables pour corruption, on peut les condamner pour mauvaise gestion. Dans l’affaire de Sonatrach, Chakib Khelil est concerné par l’article 27 relatif aux marchés publics qui stipule que «est puni d’un emprisonnement de 10 ans à 20 ans et d’une amende de 1 million à 2 millions de dinars, tout agent public qui a, à l’occasion de la préparation, de la négociation, de la conclusion ou de l’exécution d’un marché, d’un contrat ou avenant, conclu au nom de l’Etat ou des collectivités locales ou des établissements publics à caractère administratif, ou des établissements publics à caractère industriel ou commercial ou des entreprises publiques économiques, perçoit ou tente de percevoir directement ou indirectement à son profit ou au profit d’un tiers une rémunération ou un avantage quelle que soit la nature». Cet article est très clair : les avantages peuvent être des cadeaux, des voyages, des biens, etc.
Chakib Khelil à la barre, est-ce possible ?
Interrogé sur l’affaire Sonatrach et les appels visant son internationalisation, le Dr Mohamed Bousoltane, expert en droit international, nous donne son appréciation de la situation. Il y a deux aspects dans l’affaire Sonatrach : l’un est politique et déontologique et l’autre est financier.
C’est un haut responsable représentant de l’Etat mais qui s’est servi dans le Trésor public en portant préjudice aux intérêts du pays. Le perdant dans ce dossier est l’Algérie et non l’Italie ou le Canada. Ces deux pays ne vont pas défendre les intérêts des Algériens, c’est aux Algériens eux-mêmes de le faire. Il peut y avoir une coopération et un échange de renseignements mais l’affaire Sonatrach relève de la justice algérienne et non des instances internationales. Il faut que les choses soient claires. Récemment, Chakib Khelil a été aperçu à Oran. Il a donc pu entrer et sortir du pays sans difficulté. La question que tout le monde se pose, après toutes ces révélation, est celle de savoir pourquoi il n’a pas été appréhendé. Ce fait nous laisse perplexes. Il ne semble pas être inquiété.
Ce retard dans la prise en charge de cette grave affaire donne une longueur d’avance à l’ancien ministre indélicat afin de trouver des échappatoires. Il a aussi tout le temps nécessaire pour prendre ses dispositions et dissimuler les biens et l’argent qu’il a pris.» A la question de savoir si Chakib Khelil pourrait se prévaloir de sa nationalité américaine, notre interlocuteur nous répond par la positive : «Il pourra toujours se réfugier aux Etats-Unis et en tant que citoyen américain, ces derniers pourront toujours refuser de l’extrader.» Et de rappeler que «dans l’affaire Khalifa, les Britanniques ont refusé de l’extrader». Et de poursuivre : «Il faut savoir qu’il y a des conventions de partenariat sur les plans judiciaire et économique ratifiées entre les pays mais si le concerné se trouve dans un pays où ce genre de convention n’existe pas, il s’en tire à bon compte. Le droit international ne s’est pas bien développé dans ce domaine.
Il y a une dizaine d’années, la corruption était perçue comme une opération de facilitation, les Italiens ont gagné des marchés en milliards mais c’est l’Algérie le grand perdant car c’est son économie qui en souffre. En Arabie saoudite, par exemple, le bakchich est toléré, il serait considéré comme une commission de courtier. Nous avons chez nous des textes très rigoureux que ce soit sur les plans pénal, commercial ou autre mais dans la réalité, on n’a jamais jugé quelqu’un qui soit si proche du pouvoir. Chakib Khelil peut toujours dire qu’il a commis quelques infractions dans l’intérêt du pays.» Notre interlocuteur continue son analyse : «Il y a aussi Farid Bedjaoui qui a joué un rôle d’intermédiaire. C’est un élément- clé dans toute cette affaire. En outre, les signataires des contrats sont les P-dg de Sonatrach, ils apparaîtront également dans l’image.» On a donc laissé filer Chakib Khelil ?, demandons-nous «Effectivement !» répond notre expert qui conclut que «dans cette affaire, le droit international ne peut pas opérer. Cela reste interne au pays. C’est une question de souveraineté et d’Etat de droit». L’affaire de Sonatrach est plus qu’un délit de corruption, c’est un crime perpétré contre le pays, le peuple, son Histoire, ses martyrs qui ont donné leur sang, leur vie pour que l’Algérie recouvre sa dignité mais pas pour qu’une bande de prédateurs dilapident ses richesses et la mettent à genoux. C’est aussi un crime contre les générations futures qui devront souffrir des séquelles des politiques énergétiques successives qui n’auront pas su préserver leurs moyens de subsistance en hypothéquant leur avenir. On parle déjà d’assèchement des puits de pétrole.
Fatma Haouari