Où était alors la justice suisse lors du génocide de Diar Yacine et de celui de Sabra et Chatila?
L’impartialité est le fondement même de tout jugement des actes d’autrui.
Il existe des évidences sur lesquelles on peut s’appuyer pour entamer une discussion quelconque avec n’importe qui et de n’importe où qu’il vienne. Du moins c’est ce que nous avons cru comprendre de ce que nous avons appris une vie durant.
La première de ces évidences est que les hommes sont égaux. Non pas que nous ayons tous les mêmes mérites, que nous devrions toucher le même salaire ou que le cordonnier puisse faire le travail du médecin, mais plutôt dans le sens que nous méritons d’être respectés de la même manière, c’est-à-dire avec l’égard dû à l’être humain car, au fond, c’est ce que nous sommes tous. Des humains.
La deuxième évidence, et elle découle de la précédente, la vie d’un humain vaut bien la vie d’un autre humain. Qu’il s’agisse de femmes, d’hommes, d’enfants ou de vieillards, une vie est une vie et elle est, jusqu’à preuve du contraire, sacrée indépendamment du lieu et du moment. La troisième évidence est que la justice, pour être justice, se doit d’être applicable à tous les humains… et de la même manière. L’impartialité est le fondement même de tout jugement des actes d’autrui sans quoi, entre la justice et le mépris, il n’y aurait qu’un pas que tout un chacun pourrait franchir à sa guise.
Ces précisions faites, il est aisé d’émettre quelques hypothèses. La première est que la vie d’un Algérien n’est ni plus ni moins sacrée que celle d’un Palestinien, d’un Irakien, d’un Afghan, d’un Syrien, d’un Libyen, d’un Libanais ou d’un Rwandais.
La seconde est que le massacre d’Algériens n’est ni plus ni moins horrible que celui des autres populations. La troisième est que les âmes sensibles réagiraient, de la même manière, avec le même dégout devant l’assassinat des uns ou des autres et que les justiciers (trop souvent masqués!) des temps modernes auraient la même fermeté vis-à-vis de tous les meurtriers et exigeraient à ce qu’ils soient poursuivis et punis où qu’ils se trouvent et qui qu’ils soient. Malheureusement, dans notre monde tordu, il semble que certains esprits souffrent de myopie si profonde que, à chaque fois qu’ils font quelque chose, ils tapent toujours non seulement à côté, mais exactement là où il ne faut pas. La justice suisse vient de nous fournir la preuve, encore une fois.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de défendre le général à la retraite Nezzar. Ni de lui reprocher des crimes ou de l’en absoudre. Personnellement, je ne le connais ni de près ni de loin. Il s’agit plutôt de défendre quelques principes que certains s’évertuent à piétiner à longueur d’années au nom d’une pompeuse défense des droits de l’homme qui n’en est pas une et qui ne risque en tout cas pas de l’être.
Bien avant que des massacres eurent lieu en Algérie, durant la terrible période des années quatre-vingt-dix, beaucoup de Palestiniens furent assassinés, à plusieurs reprises et particulièrement lors du sanglant génocide de Diar Yacine et, celui plus récent, de Sabra et Chatila. Où était alors la justice suisse? Pourquoi avait-elle oublié de se manifester comme elle le fait actuellement? Aveuglement volontaire ou lâche silence sentant les égouts de la complicité sans nom? Ou bien est-ce parce que les Suisses ne peuvent pas poursuivre Ariel Sharon et Moshé Dayan alors qu’un général algérien est plus facile à traquer?
Que s’est-il passé en Irak? Le sang des victimes n’a pas encore séché et les plaies sont encore ouvertes… les bombes américaines, qui n’avaient ni excuses ni justifications, ne cessaient de tomber sur des milliers d’innocents qui n’avaient rien à avoir avec une guerre imposée pour le seul besoin d’accaparer le pétrole irakien.
Où était cette sensibilité de l’âme dont veut se prévaloir la justice suisse soudainement? Est-ce parce qu’il est plus commode de poursuivre un Nezzar d’Algérie qu’un Powel des USA? Ou bien est-ce parce que la justice suisse peut fondre, tel un chocolat, lorsqu’il est question des Américains?
Qu’est-il arrivé au Rwanda? Qui a eu le temps et le courage de compter les innombrables cadavres qui jonchaient le sol, putréfiés, mutilés et méconnaissables? Où était la justice suisse alors? Est-ce difficile d’accuser des Européens? Est-il plus aisé de le faire lorsqu’il s’agit d’Algériens? Nous pourrions continuer, tellement la liste est longue.
Les hommes se valent dans leur vie et il n’y a aucune raison pour que certains assassinats fassent bouger le monde alors que d’autres, peut-être plus odieux car mêlés de colonialisme, sont passés sous silence. Et puis, pour les besoins de l’histoire, où était la justice suisse lorsque les villes algériennes étaient fermées à seize heures l’après-midi de peur?
Où était cette justice lorsque nous étions seuls face à notre folie? En train de recevoir, sur le bord du lac Léman, les bourreaux des Palestiniens, des Irakiens… et, bien sûr, des Algériens. Que Nezzar soit accusé ou pas, cela devra se passer ici, en Algérie, car il n’y a aucune raison que les Suisses s’occupent de ce qui ne les concerne ni de près ni de loin. Que les Suisses continuent à faire ce qu’ils faisaient si bien, le chocolat, et qu’ils nous laissent nous occuper de nos plaies seuls… car si maintenant n’importe qui se mettait dans la tête de faire justice partout dans le monde, nul ne sait vers quoi nous allons.
