L’affaire de la pêche du thon rouge n’a pas encore révélé tous ses secrets. C’est aujourd’hui que le tribunal de Annaba rendra son verdict dans une affaire où les seules victimes sont les armateurs pêcheurs.
Une histoire fignolée par le secrétaire général du ministère de la pêche et des ressources halieutiques, Fatah Boudamous, et son directeur central chargé de la pêche, Kamel Allam, qui ont tenté d’impliquer des pêcheurs qui voulaient redonner vie à un secteur délaissé.
L’Algérie, à l’instar de tous les autres pays du monde, dispose de son quota annuel de ce poisson qui vaut son pesant d’or sur le marché mondial. L’espèce est en effet prisée pour sa chair et son goût. Les quotas de pêche du thon rouge sont décidés par un organisme international, l’ICAAT, seul habilité pour ce genre d’opération.
Cet organisme impose aussi, aux pays que le thon rouge visite pour sa migration, d’incorporer d’autres entreprises de pays étrangers pour sa capture. Selon des documents parvenus à notre rédaction, la campagne de pêche du thon rouge est légale.
Ces pièces proviennent du ministère de la pêche et sont dûment signées par le directeur central de la pêche, Kamel Allam en l’occurrence.
Pour rappel, les deux campagnes de pêche ayant eu lieu en 2007 et 2008 se sont passées sans le moindre problème, bien que les algériens n’aient pas vu de thon rouge dans leur assiette, encore moins l’argent de cette marchandise vendue à des pays étrangers en euros.
Le début de cette affaire, qui a pris l’allure d’un vrai scandale, remonte au mois de février 2009 quand les pêcheurs ont été conviés par le secrétaire général du ministère de la pêche pour établir un plan d’action en vue du lancement de la campagne de pêche du thon rouge et son transfert dans des cages (genre de bassin où le thon est gardé en mer).
Aucun pêcheur algérien ne dispose de ces cages. Du coup, il fallait, en plus des thoniers, faire appel aux pêcheurs étrangers. Et c’est à partir de là que des patrons d’entreprises turques, accompagnés de leur ambassadeur, se sont déplacés au bureau du secrétaire général du ministère, Fatah Boudamous.
Le 12 mai 2009, Sadoune Mamar, seul armateur algérien propriétaire d’un thonier que le trésor public a financé à hauteur de 60%, a reçu une convocation du ministère de la pêche pour la constitution du dossier de participation à la campagne de pêche au thon rouge.
«Le ministère nous a demandé de nous munir d’une autorisation de pêche délivrée par la direction de wilaya de la pêche, un certificat d’algérianisation du navire, le rôle de l’équipage, la liste du personnel navigant (algérien et étranger) devant participer à la campagne de pêche,
un procès-verbal de visite de sécurité établi par un inspecteur du ministère et un document décrivant les caractéristiques techniques de l’engin de pêche à utiliser.
Ledit courrier est signé par Kamel Allam, directeur de la pêche au ministère. Pièces que Sadoune Mamar a déposées au niveau de l’institution.
Après cette opération, le ministère de la pêche a délivré une attestation d’engagement de M. Sadoune à cette campagne, document enregistré sous le numéro 374/04/2009 dont notre journal détient une copie.
Le 21 mai 2009, le ministère envoie une autre correspondance à M. Sadoune lui signifiant l’obligation de transférer son bateau dénommé «El Djazair 879» au port d’El Djamila,
ex-la Madrague, à Alger, pour placer par un inspecteur du ministère un VMS (outils de transmission et de positionnement en mer). Juste après l’inspecteur, une commission de validation est passée à bord d’ «El Djazair» afin de le valider, et c’est chose faite.
L’opération s’est déroulée dans de bonnes conditions
Après avoir obtenu le quitus des autorités compétentes, Sadoune et son équipage ont regagné le port d’Annaba pour commencer la pêche.
Le ministère a même désigné un contrôleur qui accompagne le bateau «El Djazair» dans cette mission et transmettre en détail le déroulement de l’opération. Entretemps, les turcs ont signé un contrat de partenariat avec le ministère de la pêche pour la campagne de 2009.
Le contrôleur dépêché par le ministère était muni d’un ordre de mission, de documents de déclaration de transfert du poisson vers les cages turques et du certificat ICCAT (l’ICCAT est l’organisme international qui définit le quota de chaque pays en matière de pêche au thon).
Le bateau «El Djazair» de Sadoune Mamar est d’ailleurs enregistré sous le numéro AT000Alg00013. Un registre lui est délivré comportant toutes les informations nécessaires.
Il s’agit du nom du bateau El Djazair, l’estimation du volume de thon rouge devant être transféré qui est de 60 tonnes, le nom du remorqueur étranger qui est ABDI BABA 03, le nombre de cages qui est d’une seule, l’heure de transfert qui est prévue à 14h15 min, la position où le transfert aura lieu :
longitude 37°06 latitude 07°55. mais aussi le numéro du registre ICCAT du remorqueur étranger qui est le AT000TUR00531.
Ce document est délivré le 16 juin 2009, ce qui démontre une fois de plus que la pêche du thon rouge par l’Algérien Sadoune Mamar et le transfert du quota de 60 tonnes aux Turcs étaient légaux.
Les gardes-côtes et les irrégularités simulées
Cinq jours ont suffi à l’armateur algérien pour faire une bonne pêche en présence toujours du contrôleur du ministère.
Ce dernier a d’ailleurs transmis les différentes étapes de l’opération à sa hiérarchie via le VMS du bateau El Djazair, le thon est mis dans des cages au large des côtes territoriales algériennes, à 21 000 miles, en attendant le fameux sésame qui est le BCD (un visa émanant du ministère de la pêche pour permettre le transfert du poisson en Turquie). Document sans lequel aucun transfert ne se fait et qui oblige le bateau turc à rester dans les eaux algériennes.
Le contrôleur du ministère a ensuite envoyé cinq fax au ministère contenant le compte-rendu de l’opération et il a même demandé l’octroi du BCD.
Entretemps, l’équipage de Sadoune a regagné le port d’Annaba, puisque son quota est atteint. Mais après deux jours passé en mer, les gardes-côtes arrivent, scellent les filets des turcs en laissant les cages accessibles.
Fait d’ailleurs jugé anormal par le juge d’instruction. Les turcs ont présenté les documents délivrés par le ministère. En vain. M. Sadoune est appelé par les gardes-côtes qui l’ont accusé de pêche illicite et de contrebande alors que toutes les pièces justificatives délivrées par les autorités compétentes sont légales.
Allam et Boudamous : une guerre des clans
Devant le juge d’instruction d’Annaba, et d’après les procès-verbaux des mis en cause, une seule conclusion est apparue : «Vous êtes victimes d’une lutte entre Kamel Allam et Fatah Boudamous, eux se jettent des pierres et ces dernières retombent sur vous, voilà ce que le juge d’instruction m’a confié», nous a déclaré M. Sadoune. Selon le procès-verbal, Kamel Allam aurait loué des bateaux en leasing pour participer à cette campagne à son profit. Chose qui est strictement interdite par la loi.
Et c’est de là que le ministère de la pêche a déposé une plainte contre lui. Fatah Boudamous, secrétaire général du ministère de la pêche, a lui aussi participé à cette campagne en imposant aux pêcheurs de transférer le thon rouge péché au port d’Alger. «On ne sait pour quelle raison», a encore déclaré Sadoune.
Lors de son audition, Boudamous a révélé au juge que «Kamel Allam aurait menacé de ruiner le personnel du ministère si ce dernier ne retire pas la plainte déposée contre lui».
(documents à l’appui). Et Boudamous avait imposé à Sadoune de partager les rentes avec Hosni Hachemi qui est un homme de main de ce dernier. Sans cela, Sadoune n’aurait pas été incorporé parmi les participants à la campagne de pêche.
En conclusion, c’est Boudamous qui a empêché Allam de participer à la pêche avec ses bateaux loués en leasing, et Allam a monté tout un dossier contre son secrétaire général pour l’empêcher de tirer profit avec les turcs.
En tout état de cause, et en finalité, le seul perdant reste le trésor public qui a investi des sommes faramineuses pour l’équipement de nos pêcheurs. Des millions d’euros partis en fumée et des tonnes de thon rouge relâchées, sans que l’algérien ne goûte à la chair de ce poisson très prisé.
E. M.