Humiliant ! Dix jours après leur exclusion du détachement où ils occupaient des appartements, les familles des deux gardes communaux, Lamraoui Belaid et Rhamnia Mohamed, passent toujours la nuit dans la rue au niveau de la place Kourifa-Rachid d’El Harrach.
Livrées à elles-mêmes, celles-ci ne savent plus à quel saint se vouer pour crier leur détresse. Aucun responsable n’a jugé utile de se déplacer sur les lieux ne serait-ce que pour s’enquérir de la situation des enfants, onze au total et tous en bas âge, qui souffrent le martyre au quotidien depuis qu’ils ont été « jetés» dans la rue.
«Où est la justice ? Où sont les droits de l’enfant ? Où sont les droits de l’Homme ?», s’indigne Lamraoui Belaid, que nous avons rencontré hier au niveau de son nouveau «domicile».
Très outré par l’attitude et le sort que le ministère de l’Intérieur a réservé à sa famille ainsi que celle de son «frère» dans le combat, Rhamnia Mohamed, après tant d’années de lutte implacable contre le terrorisme intégriste, notre interlocuteur a fait savoir que Chouaib Hakim et Alliouat Lahlou, respectivement, coordinateur et porte-parole des agents de la garde communale se sont déplacés, dans la soirée d’avant-hier, en compagnie de délégués de plusieurs wilayas, chez eux. « Il y avait, entre autres, les délégués des wilayas de Tipaza,Tébessa, Chlef et Ghardaïa », a-til indiqué.
Une action de solidarité, a-t-il dit, a été observée avec nous par ces derniers et un appel a été, encore une fois, lancé aux responsables concernés.
«Nos compatriotes ont donné un ultimatum de 48 heures pour intervenir, et s’il n’y aura pas d’action concrète d’ici-là, nos anciens collègues vont se déplacer ici (El-Harrach, ndlr) et vont observer un sitin avec nous jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée», a-t-il fait savoir. Lamraoui Belaid a par ailleurs laissé entendre que «nous ne cherchons pas forcément un logement ».
«S’il n’y a pas de logements actuellement, on demande qu’on soit recasés, pour en bénéficier une fois que de nouvelles unités seront distribuées. Mais, maintenant les autorités peuvent se contenter de nous ériger une tente pour qu’on soit à l’abri des dangers.
Nous ne demandons pas la lune !», at- il encore martelé. Pour notre interlocuteur, il n’y a pas une humiliation pire que celle que le département de Daho Ould Kablia leur a fait subir. «C’est une chose que vous ne pouvez pas faire même à vos pires ennemis!», a-t-il grommelé.
«MAZAL WAKFINE ! »
Tout comme les autres gardes communaux, Lamraoui Belaid et Rhamnia Mohamed, affirment qu’ils ne sont pas du genre qui baisse les bras devant la première contrainte.
« Mazalna wakfine !» (Nous sommes et nous resterons debout ! Ndlr), a lâché Lamraoui Belaid qui rappelle que ce n’est pas une telle situation qui va le pousser à désespérer et à se taire surtout lorsqu’il s’agit, a-t-il dit, «de notre droit». Nous avons fait face à des situations plus pires que celle-ci durant la décennie noire. Et ce n’est pas maintenant que nous allons renier nos principes», a-til encore ajouté.
Pour lui, le mépris affiché par la tutelle à leur encontre, lui et son «camarade», ne pourra en aucun cas les dissuader à continuer leur «combat » pour avoir un logement décent. De son côté, Rhamnia Mohamed s’est dit très déçu de l’attitude du département de Daho Ould Kablia. «En Algérie, nos responsables remercie les enfants qui ont servi leur patrie en les humiliant !», a-t-il regretté.
L’ancien garde communal rappelle, avec tristesse, qu’il était, en compagnie de son frère dans le combat, derrière la création de plusieurs détachements à El-Harrach. «Loin d’être orgueilleux, je vous signale que je suis l’un des membres grâce auxquels ce corps a été fondé. Et j’en suis fier».
«HONTE À VOUS ! VOUS LOGEZ LES SYRIENS AU LIEU DE LOGER VOS ENFANTS»
Irrité lui aussi, Mohamed Rhamnia lâche un commentaire qui ne laisse pas de marbre tous ceux qui aiment leur Patrie. «Honte à vous, Messieurs les responsables! Vous logez les syriens au lieu de loger vos enfants». Notre interlocuteur parle ici des réfugiés ayant fui la guerre en Syrie et qui ont été rapidement pris en charge, il y a de cela quelques mois, par les autorités algériennes qui leur ont aménagé un centre au niveau de Sidi-Fredj.
«C’est bien d’être humain et de donner une bonne image à la communauté internationale. Mais, la priorité doit être donnée aux enfants du pays», a enchaîné l’ancien garde communal, dont le regard laissait entrevoir une grande déception mêlée d’une grande colère. Et d’ironiser : «Nous qui avons tout sacrifié durant la décennie noire, y compris nos vies, nous nous trouvons sans toit. Elle est belle l’Algérie de 2013!».
Lamraoui Belaid ne s’est pas empêché d’intervenir, une autre fois, pour dire que «nous appartenons à des familles révolutionnaires». «Le père de ma femme était un ex-condamné à mort à El-Harrach et le grand père de Mohamed était un Moudjahid, un vrai !».
«S.O.S, NOS ENFANTS SONT MALADES !»
Il faut dire, en fait, que la situation des deux familles est dramatique. Les deux « soldats » ont érigé de petites baraques de fortune pour se mettre à l’abri de tout danger mais cela, se lamentent nos interlocuteurs, n’a pas suffi pour protéger nos familles.
En plus clair, Lamraoui Belaid a fait savoir que ses enfants sont tombés malades à cause de l’absence des moindres conditions d’hygiène.«C’est inadmissible et scandaleux ! Le premier magistrat de la commune d’El-Harrach n’a pas daigné envoyer, au moins, un émissaire pour s’enquérir de notre situation qui se dégrade de plus en plus», a-t-il déploré.
Pis encore, le même orateur a ajouté que l’un de ses enfants souffre d’une épilepsie généralisée et il est, à en croire ses dires, toujours sous traitement. «Si vous ne voulez pas nous entendre, faites au moins quelque chose pour nos enfants !», a encore dit Lamraoui à l’adresse des responsables compétents.
«OÙ EST LE MINISTÈRE DE LA SOLIDARITÉ ?»
L’ancien garde communal à la retraite, Mohamed Rhamnia, s’interroge par ailleurs sur le rôle du ministère de la Solidarité qu’il qualifie de «fantôme». «Il est où ce ministère de la Solidarité dont dispose notre pays et où des sommes faramineuses sont débloquées périodiquement?», s’est-il demandé.
Continuant sur la même lancée, notre interlocuteur a précisé qu’ils n’ont reçu aucune aide de la part de ce département. «Le Ramadhan débutera dans quelques jours.
Le ministère en question parle de plusieurs actions au profit des démunis. Mais, nous n’avons rien bénéficié de rien pour le moment, à moins que nous ne sommes pas considérés comme étant des algériens», déplore-t-il. Et d’enchaîner : «Nous n’allons pas passer, quand-même, ce mois sacré dans la rue !».
«LE MINISTÈRE DE TUTELLE NOUS A TRAHIS»
D’autre part, l’ancien garde communal à la retraite n’a pas omis de déplorer, une fois de plus, l’attitude méprisante du département de l’Intérieur et des Collectivités locales.
«Celui-ci nous a trahis et n’a pas tenu les engagements qu’il nous a faits», a-t-il rappelé. Si le détachement où nous occupions des appartements est désormais placé sous la tutelle du MDN (ministère de la Défense nationale, ndlr), a-t-il poursuivi, le ministère de l’Intérieur ne doit pas nous lâcher de cette manière sans pour autant penser à nos enfants qui ont été déjà traumatisés le jour où on nous a jetés dans la rue.
Toutefois, le même orateur se dit conforté par le soutien de ses anciens collègues qui lui ont promis, a-t-il relevé, de le soutenir, tout comme son « frère » dans le combat, Lamraoui Belaid, jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause.
L’ «ARBITRAGE» DE SELLAL SOLLICITÉ
Tout en affirmant qu’ils ont frappé en vain à toutes les portes pour demander une prise en charge de leurs cas, les deux gardes communaux estiment que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, est le seul qui pourrait leur accorder une «oreille attentive». «Nous demandons l’arbitrage du Premier ministre qui, nous en sommes sûrs, ne va ménager aucun effort pour trouver une solution à notre problème», disent-ils.
«ALGÉRIE DE DIGNITÉ ET DE FIERTÉ, DITES-VOUS ?»
Les deux gardes communaux qui, après plus de 15 ans de combat, se voient humiliés dans un pays où deux «fameux» mots du slogan de son Président, à savoir dignité et fierté, ne trouvent pas leur «interprétation » sur le terrain. «Elle est où cette dignité et fierté ? Dignité et fierté en jetant ses enfants dans la rue ?», se demandent-ils.
Et de poursuivre sur un ton ironique: «Si c’est ce qu’on veut dire par ce slogan, les responsables concernés ont bien fait leur travail dans ce cas là!». Dans tous les cas de figure, il faut dire que les gardes communaux en général et Lamraoui Belaid et Rhamnia Mohamed en particulier, sont déterminés à aller jusqu’au bout pour arracher leurs droits qui sont, soutiennent-ils, plus que légitimes.
Soufiane Dadi