Une vue du tribunal d’Alger
Les plaidoiries seront bruyantes, tonnantes, assourdissantes au tribunal criminel d’Alger.
Avant de se rasseoir et laisser Dahbia Makhlouf, une deuxième «nounou» condamnée en 2004 pour la mort d’un nouveau-né remis par Hanouti at home, Loundja Hanouti qui recevait les filles-mères avant leur accouchement, avait nettement refusé de reconnaître qu’elle était au courant des opérations frauduleuses du docteur.
«Ce que je ne voulais pas pour ces pauvres filles, c’est le rejet par tout l’entourage qui ne pardonne pas ces écarts de bébés conçus dans le pêché», dit-elle, effarouchée surtout après que le juge lui ait reproché «d’avoir poignardé la société» et Dahbia s’est vu signifier le fait que le médecin accusé lui ait remis six bébés dans son chalet à Aïn Taya même.
On lui rappelle que les policiers, avaient trouvé le jour de leur intrusion, trois bébés. «Vous leur chantiez des berceuses?» ironise presque Belkharchi.
«Je gagne seulement ma vie. J’ai une famille nombreuse (dix personnes) et mon époux est au chômage. Et puis les enfants que je garde ont des parents», dit-elle, les yeux embués de désespoir et de peur bleue. Ce sera ensuite Hayet, la frangine de l’accusé principal de donner sa version des faits. «Je n’ai rien à me reprocher. Mon frère est médecin. Il fait du bon travail!» Abderahmane Ahmed, Saïd Walid répondent, le premier en qualité de témoin ayant signé la kafala et le second, l’enfant du notaire décédé en détention préventive; leurs réponses n’apporteront rien qui puisse amener de l’eau au moulin de Belkharchi décidé comme toujours à ne pas avoir la main légère ni encore moins heureuse pour les accusés – D’ailleurs, nous nous demandons encore une fois comment a-t-on pu enrôler trois dossiers en criminelle le même lundi!
Cela va droit au mur, car la fatigue aidant, aussi bien les magistrats que les avocats et accusés, trouvent dix secondes pour «bâiller aux corneilles» et en justice, on ne peut juger quelqu’un alors que la lassitude fait son beurre.
Le procès de Hanouti Khelifa a débuté à 10h30. Nacéra Hadj Ali, la solide greffière a lu, durant 90 minutes, le très long arrêt de renvoi, avant que le juge n’ordonne une pause de 90 mn et la reprise ne se fit qu’à 14h30! Et vers 17 heures, les plaidoiries allèrent vite. Auparavant, le procureur général s’était levé pour «asséner» des demandes très lourdes:
20 ans de réclusion criminelle contre Khelifa Hanouti, le médecin de Aïn Taya assortie d’une amende de 500 millions de centimes, et d’une privation d’exercice de la médecine d’une durée de dix ans.
Walid Saïd, le fils de feu le notaire a été surpris par la même peine avec 200 millions de centimes d’amende. 10 ans de réclusion criminelle et 100 millions de centimes d’amende ferme contre Amel Mouraoui, Loundja Hanafi, Dahbia Makhlouf et Hayet, la soeur de l’accusé principal ont pris acte avec douleur des 10 ans de réclusion criminelle et de l’amende de 100 millions de centimes.
Ceux en fuite ont été placés sur le même piédestal que les sus-nommés. Nous citons les Hadj Ali Aïcha, Boualem Ibari, Alfonso Daniel Mouza, Zahia Saïn, Hakim Derdiche et Omar Sayad, tous vivant en France. La peine sera prononcée à leur encontre par contumace.
Les plaidoiries seront bruyantes, tonnantes, assourdissantes. Chaque avocat était plus motivé que le procureur général, ce jeune dont l’avenir s’annonce rose devant lui. Maître Benouadah Lamouri, l’avocat de Hanouti Khelifa, le médecin, aura eu la part du lion surtout qu’il avait donné du fil à retordre à Belkarchi qui ne connaît que trop bien l’avocat de Dar El Beïda: «Monsieur le président, mesdames les assesseurs, messieurs les jurés, soyez d’accord avec moi que cette affaire n’en est pas une. Le dossier est vide. Et savez-vous pourquoi? Ce médecin faisait du bien, ses collaborateurs avec.Il a sauvé beaucoup de vies en maintenant la grossesse jusqu’à son terme.»
Maître Kamel Maâchou pour Saïdi Oualid, «les opérations de «kafala» ont toutes été réalisées légalement». Maître Omar Mezdour a parlé d’actes utiles, propres et humanitaires: «Ni plus ni moins».
Maître Oualid Laouar pour Loundja Hanouti, ce dossier comporte une pièce maîtresse qui est l’association de malfaiteurs. Il rappelle que sa cliente n’a recueilli que trois filles-mères et surtout qu’elle même avait connu la même terrifiante situation de mère «céliba-taire». «Tendez-lui la perche de larges circonstances atténuantes», clamera Maître Chérif Abouzakaria qui a tenté, durant le long interrogatoire, de dédramatiser l’affaire et de ne l’étudier que sous l’angle des résultats de l’enquête.
Maître Abdelhamid Touaïbi-Thaâlibi pour Khelifa Hanouti sera plus incisif que son jeune confrère Maître Lamouri. «Vous avez devant vous un immense médecin qui a sauvé des vies que leurs mères voulaient étouffer au stade de… foetus. Non, mon client ne mérite pas ce sort. Les circonstances ne sont pas réunies!» a-t-il dit.
En général, les avocats sans concertation aucune ont pratiquement tous plaidé l’innocence de leurs mandants qui n’ont rendu que des services.
«Oui, Monsieur le président, nous avons de nos jours des gens qui rendent service au nom d’Allah et Loundja n’a jamais encaissé le moindre dinar sale. Elle n’a jamais commercialisé quoi que ce soit. C’est malheureusement des cas sociaux que l’on ne peut comprendre à vue d’oeil. Il faut vivre avec ces gens pour en savoir un peu plus!».
A noter que l’expression: «Lioudj Illah» a beaucoup fait ricaner Amar Belkharchi, mais pas la seconde assesseur Saloua Makhloufi qui se morfondait au plus profond de ses tripes, elle qui sait ce que représente la maternité.
Après de longues délibérations (un peu plus d’une heure) vers les 19h40, dans une triste ambiance, Belkharchi revient, la mine défaite, pour annoncer le verdict que beaucoup regrettent surtout qu’en plein milieu des débats, une fille-mère s’était présentée à la barre pour remercier la femme qui l’a hébergée, le médecin qui lui a facilité l’accouchement en balançant: «Grâce à ces gens, je me suis rangée. Je me suis mariée. J’ai une famille et personne ne m’a reniée.»