Affaire de l’enlèvement d’un nouveau-né au CHU de Constantine: Perpétuité pour les accusés

Affaire de l’enlèvement d’un nouveau-né au CHU de Constantine: Perpétuité pour les accusés

Le tribunal criminel de la cour de Constantine a rendu, tard dans la soirée de jeudi, son verdict dans l’affaire de l’enlèvement, en mai 2014, du bébé Leith Kaoua de la maternité du CHU Ibn-Badis.

Trois peines d’emprisonnement à perpétuité ont été prononcées à l’encontre des principaux accusés du rapt du nourrisson alors que les deux sages-femmes concernées par le chef d’inculpation de faux et usage de faux et de participation dans l’enlèvement d’un mineur dans le cadre de cette même affaire ont bénéficié de la relaxe. Un procès marathon qui a duré près de 14 heures, marqué par les auditions de près de 130 témoins cités dans le dossier volumineux qui retrace les péripéties ignominieuses de cette affaire qui aura dévoilé, au-delà des détails précis sur l’entreprise criminelle mise en place par les principaux accusés, les graves défaillances de gestion, notamment en termes de sécurité et de bien-être des patients qui prévalaient au moment des faits dans un établissement hospitalier de l’envergure du CHU de Constantine.

Premier “couac” du procès : l’accusé principal, S. Saïd dit l’émigré, dont les aveux à différentes étapes de l’instruction et en audience allaient élucider toute l’affaire, n’a constitué aucun avocat pour sa défense et pis encore, arguera de sa non-maîtrise de la langue arabe. Une manœuvre enrayée aussitôt par le président d’audience qui fera appel à un interprète agréé par la cour, présent dans la salle et désignera un avocat d’office pour assister le prévenu. Une suspension de l’audience pour quelques minutes est accordée à l’avocat désigné qui a émis des réserves en rapport avec son ignorance de l’affaire, très lourde à ses yeux, pour lui permettre de prendre connaissance du dossier et de s’entretenir avec l’accusé.

De retour, l’avocat persiste en demandant le report du procès avant de se retirer devant le refus du renvoi signifié par le président d’audience qui s’appuiera surtout sur les moyens mobilisés par le tribunal pour la tenue de ce procès dont la convocation de plus de 130 témoins y compris ceux résidant dans d’autres wilayas. Un deuxième avocat qui ne manifestera aucune opposition pour assumer son rôle, est commis, séance tenante, par le juge. Le procès devait dès lors aborder le vif du sujet par l’audition des cinq accusés.

S. Saïd qui est appelé à la barre en premier pour donner sa version des faits n’est presque plus interrompu dans sa dissertation, reconnaissant son implication au premier degré dans l’enlèvement du petit Leith de la nurserie du CHU de Constantine tôt, dans la matinée du 27 mai 2014. Ictérique, Leith qui n’avait à cette date que 9 jours, avait été admis la veille pour subir des séances de photothérapie. L’émigré racontera sa rencontre funeste avec G. Mohamed dit Aziz, un planton du service de maternité du CHU qui s’avéra être le véritable “cerveau” de toute l’intrigue. S. Saïd, dont l’épouse B. Zina, également accusée au premier chef dans cette affaire et décédée au début de l’année dernière après dégradation de son état de santé durant son incarcération, a reconnu avoir sollicité G. Mohamed dans un premier temps pour lui procurer un certificat d’arrêt de travail du service de maternité pour son épouse, une femme condamnée pourtant à la stérilité à vie.

Un fait qui prouve que la cabale était déjà en marche puisque l’offre d’Aziz à l’émigré qui était à la recherche d’un enfant pour adoption, s’avéra plus alléchante. Moyennant la somme de 150 millions de centimes, Aziz promet à son acolyte de lui procurer un bébé illégitime d’une étudiante qui s’apprêtait à accoucher. L’un des PV de l’instruction mentionne qu’Aziz, selon les confessions de l’émigré, aurait avoué à ce dernier qu’il lui est arrivé d’échanger, dans cette même maternité, un bébé vivant par le corps sans vie d’un nouveau-né abandonné à la morgue du même CHU. Le montant de la transaction est revu à la baisse par les deux complices qui se sont entendus sur la somme de 90 millions de centimes dont une partie, 60 millions de centimes, aurait été réellement versée à G. Mohamed.

Le reste du montant devait être réglé après la remise des papiers du nouveau-né, au nom de la fausse mère. Ensemble, ils passèrent à l’acte le 27 mai 2014 en s’emparant du premier bébé parmi les huit qui se trouvaient ce jour-là, à la nurserie, plongeant le CHU et le Tout-Constantine dans un état d’alerte générale et de choc collectif. Arrogant, G. Mohamed qui est un repris de justice multirécidiviste au

profil psychologique des plus sombres tel que mentionné sur son casier judiciaire, niera tous les faits lors de son audition et ne manquera pas à chaque fois d’interrompre le déroulement du procès.

Le président d’audience finira d’ailleurs par l’expulser de la salle après plusieurs rappels à l’ordre. B. Mounir dit Toumi, qui a joué le rôle d’intermédiaire entre l’émigré et Aziz niera à son tour les fait qui lui sont reprochés mais il est trahi par le message qu’il a envoyé de son téléphone portable à S. Saïd, la veille du kidnapping, lui demandant la somme d’argent impayée. Voisins à la cité Sakiet-Sidi Youcef, Toumi et l’émigré qui se connaissent depuis 1994, ont même échangé des appels téléphoniques, quelques minutes seulement avant le forfait. Les deux sages-femmes, S. N. et L. A., poursuivies pour faux et usage de faux et participation dans l’enlèvement d’un mineur, ont également nié toute relation avec cette affaire. Rocambolesque, leur accusation s’est fondée sur la copie d’une attestation d’accouchement portant la griffe de L. A. et retrouvée chez le principal inculpé.

Cette dernière a passé neuf mois en détention avant sa mise en liberté provisoire et après que les soupçons qui pesaient sur elle ont changé d’orientation pour concerner sa collègue S. N. conformément à des témoignages recueillis par le juge d’instruction qui était en charge du dossier et une enquête menée par le syndicat des sages-femmes. La ressemblance des écritures des deux femmes et l’absence d’une expertise fiable, s’agissant d’un document photocopié, n’ont pas permis de cerner avec exactitude les responsabilités de l’une ou l’autre des deux accusées.

Les témoins apporteront, en définitif, diverses versions sur la déliquescence qui prévalait à l’époque au service de maternité du CHU de Constantine et mettront l’accent sur un détail d’une extrême importance, à savoir l’impossibilité pour une personne étrangère au service de s’y introduire et d’en sortir avec un bébé entre les bras sans une complicité de l’intérieur. Pour Aziz, la messe était dite. Partie civile, les parents de Leith Kaoua feront à leur tour, les larmes aux yeux, un témoignage poignant sur les séquelles indélébiles des épreuves qu’ils ont endurées, plongeant la salle dans un silence de cathédrale.

Le réquisitoire du ministère public qui s’est attelé à mettre en évidence le contraste qu’il y a dans cette affaire, s’agissant des liens et des sentiments parentaux entre victimes et bourreaux, ne s’attardera pas sur les aspects judiciaires techniques pour requérir 20 années de réclusion criminelle à l’encontre de S. Saïd, G. Mohamed et B. Mounir, 15 ans d’emprisonnement pour S. N. et trois ans pour L. A. Le verdict tombé vers 23 heures n’en sera pas moins étonnant !

Kamel Ghimouze