Affaire de l’autoroute est-ouest, Ce que révèle la chambre d’accusation

Affaire de l’autoroute est-ouest, Ce que révèle la chambre d’accusation

Le scandale de l’autoroute Est-Ouest a éclaté au grand jour à la fin de l’année 2009. La première procédure judiciaire entamée à cet effet, remonte au 6 octobre de la même année.

C’était, lorsque les enquêteurs de la police judiciaire du DRS ont fait état dans un procès-verbal sur la base d’informations «de l’existence d’une relation douteuse entre le nommé Chani Medjdoub et le groupe chinois CITIC-CRCC».

L’énigme reste entière au sujet de ce que les observateurs qualifient de «plus grand scandale de corruption en Algérie». Une affaire qui se distingue du fait qu’elle concerne le chantier le plus cher du continent africain. Il s’agit de la réalisation de 927 km de l’autoroute Est-Ouest en 40 mois pour un coût de 11,4 milliards de dollars.

Selon plusieurs sources judiciaires, dont l’ordonnance de renvoi de la chambre d’accusation de la cour d’Alger, qui fait d’ailleurs l’objet de pourvoi en cassation devant la Cour suprême et dont le verdict est attendu pour le 19 décembre prochain, le nommé Chani Medjdoub est le personnage le plus cité lors des différentes étapes de l’instruction.

Né en 1952 à Aïn Sefra, une localité située au sud-ouest du pays, Chani Medjdoub est une personnalité très introduite dans le monde des affaires. Cependant, ses déboires avec la justice ne se limitent pas à la seule affaire de l’autoroute Est- Ouest.

Actuellement en prison, il a été condamné en 2012 à quinze années de prison ferme dans une autre affaire où Algérie Télécom a subi un important préjudice. L’affaire statuée tant en première instance qu’en appel, se trouve aujourd’hui pendante devant la Cour suprême.

Quelques années avant, la justice le condamnait à six mois de prison avec sursis dans l’affaire du FAKI. Il s’agit d’un autre scandale lié au fonds algéro-koweïtien. Il n’en demeure, que la personnalité de Chani Medjdoub soulève de multiples interrogations. Son réseau relationnel est à la fois dense et large. Ses contacts sont mondiaux. Ils s’étendent jusqu’aux personnalités asiatiques.

Pour preuve, le principal mis en cause dans cette affaire est un «intime» de Le Zong, la fille unique de l’ex-patron du groupe chinois CITIC-CRCC.

AMOUREUX DE LA CHINOISE LE ZONK ?

Selon des sources sûres, l’Algérien de Aïn Sefra avait une «relation amoureuse» avec Le Zonk. Une «relation», dit-on, qui lui a permis de signer avec le groupe chinois à Pékin un contrat de consultant et de conseiller.

«L’incursion» de Chani Medjdoub dans le dossier de l’autoroute Est-Ouest a eu lieu à l’entame des travaux de la tranche dite «Centre-Ouest» du projet. C’était à la fin de l’année 2006. A la lecture de l’ordonnance de renvoi de la chambre d’accusation, portant N°11/02050, il ressort que le travail de Chani Medjdoub consistait à faire bénéficier les Chinois de «largesses» administratives «même aux dépens de la loi», pour faciliter leur travail en Algérie.

Il s’agit notamment de faciliter l’accès au permis de travail, la délivrance de visas ou encore le transfert de petites sommes en devises à l’étranger, etc.

En contrepartie, il «graissait» la patte aux responsables qui lui ouvraient les portes. Mieux, Chani Medjdoub se faisait passer pour un ancien officier du DRS avec de solides connaissances au plus haut niveau. Il avait également ses entrées auprès de plusieurs hauts responsables d’entreprises économiques et des hauts fonctionnaires de l’Etat.

Lors de son audition par la police judiciaire du DRS, il avait reconnu que dès son entrée en Algérie, il avait pris attache avec le patron de la résidence d’Etat El-Sahel, M. Melzi Abdelhamid.

A ce dernier, il demande de le mettre en contact avec des responsables algériens. M. Medjdoub avait confié, selon nos sources, à M. Melzi, qu’il avait reçu une offre de la part de la société chinoise pour «lever tout obstacle qui pourrait entraver le travail des Chinois sur le projet de l’autoroute».

LE PROJET CHER À FAROUK CHIALI

Chani Medjdoub s’installe et met à exécution sa stratégie. Il assure le rôle «d’agent de liaison » entre les Chinois et les cadres du département des travaux publics y compris l’exsecrétaire général du ministère. Selon la même source, ce dernier n’a jamais reçu d’argent, «mais seulement des cadeaux de valeur en remerciement des faveurs accordées et services rendus».

L’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation a également longuement évoqué le rôle joué par un autre intermédiaire dans cette affaire. Il s’agit du dénommé Addou Sid-Ahmed Taj- Eddine, ami intime du ministre Amar Ghoul. Un natif de Nedroma, né en 1965 et propriétaire d’une entreprise de pêche à Beni-Saf.

Cette dernière a été financée par les pouvoirs publics à l’époque où Amar Ghoul était au ministère de la Pêche. L’ex-ministre des Travaux publics avait reconnu, lors de son audition par la police judiciaire, que sa relation avec Chani Medjdoub remonte à 2008 à l’occasion d’une rencontre, qui a eu lieu à Paris. Il fera savoir que sa relation avec Amar Ghoul date de plusieurs années, «lorsque mon frère était un haut dirigeant du parti Hamas».

«J’ai rencontré Amar Ghoul lors de cérémonies de fêtes familiales et deux à trois fois lors de dîners», a-t-il reconnu, tout en indiquant, selon la même source, «que je suis l’homme de confiance de Amar Ghoul».

Cette relation de confiance «établie» entre le ministre de tutelle et Addou Sid- Ahmed Taj-Eddine était «tellement solide», au point où ce dernier, ajoute la même source, était à l’origine de recrutement de plusieurs personnes au sein du département, ce qui a contraint d’anciens cadres à quitter le département.

C’est le cas de l’actuel ministre des Travaux publics, M. Farouk Chiali. Selon des sources très au fait du dossier, l’idée du projet de l’autoroute Est-Ouest est à mettre au crédit de Farouk Chiali.

HUIT CENTS MILLIONS DE CENTIMES POUR CHEB KHALED

Selon nos sources, le successeur d’Amar Ghoul à la tête du département des travaux publics occupait, avant sa nomination récente ministre des travaux publics lors du dernier changement gouvernemental, le poste de directeur général de la Caisse nationale des études des grands projets au niveau du ministère des Finances, au lendemain de son «éviction». Cela dit, le processus enclenché, Chani Medjdoub multiplie ses rentrées et sorties.

Toutefois, avec le temps, le groupe chinois rencontre des problèmes en Algérie. Chani Medjdoub s’impatiente et décide de rencontrer Amar Ghoul. Il prend attache avec celui qui est considéré comme «l’intime» du ministre. Il s’agit d’Addou Sid Ahmed Tadj-Eddine. Il voulait que ce dernier lui fixe un rendezvous avec le directeur des grands projets au niveau du ministère, Kheladi Mohamed. Une démarche qui n’a pas abouti pas.

Il fallait attendre la rencontre de Pékin pour que les choses s’accélèrent et Chani consolide sa position. Conforté, «l’intermédiaire» encaisse ses redevances et commissions. En 2007 et 2008, le king du raï, Cheb Khaled, donne deux concerts au niveau du quartier chic de Sidi Yahia et à Riadh-El-Feth.

Chani Medjdoub se charge du volet financier. Sur les quatre milliards de centimes perçus comme commission, il remet au King Khaled 800 millions de centimes. L’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation date de novembre 2011. Les avocats se sont pourvus en cassation contre les conclusions de cette juridiction.

D’où la question de savoir qu’elle suite donnera la Cour suprême à tous les pourvois introduits tant de la part de la défense que du procureur général.

EN ATTENDANT LE VERDICT DE LA COUR SUPRÊME

Le document de la chambre d’accusation comportant plus de 400 pages est remis à la défense. Dans son arrêt, cette juridiction a scindé le dossier en deux parties.

Ainsi, outre le renvoi du dossier devant le tribunal criminel, l’instance judiciaire a signifié une fin de non-recevoir aux demandes formulées par la défense, concernant la levée du contrôle judiciaire et la liberté provisoire pour les mis en cause.

La chambre d’accusation avait également inculpé cinq sociétés étrangères, dont deux suisses, une portugaise, une italienne et une canadienne, pour «trafic d’influence et corruption», et les a disculpées du grief «d’association de malfaiteurs».

Les mêmes chefs d’inculpation ont été retenus également à l’encontre de la société japonaise Cojaal et la société chinoise CITIC-CRCC. Selon le code de procédure pénale, les sociétés susnommées seront jugées en correctionnelle.

Pour leur part, l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchema, et l’ex-officier du DRS, le colonel Khaled, ont vu la chambre d’accusation retenir à leur encontre des chefs d’inculpation relevant de la correctionnelle mais dont le jugement est conditionné par la procédure judiciaire régissant la cour d’assises.

Le juge avait criminalisé les faits retenus contre, notamment, les hommes d’affaires Medjdoub Chani et Addou Tadj-Eddine, l’ancien directeur des nouveaux projets de l’Agence nationale des autoroutes, Mohamed Khelladi, et le directeur des nouveaux projets au ministère des Transports, Salim Hamdane, pour «association de malfaiteurs», «trafic d’influence », «abus d’autorité», «corruption» et «blanchiment d’argent».

A. B.