Dans un livre fouillé, l’ancien patron du contre-espionnage français lève les zones d’ombre entretenues en France au titre de cette affaire qui embrouille les relations entre les deux pays.
La deuxième guerre d’Algérie: les zones d’ombre de la tragédie des moines de Tibhirine enfin levées, un livre d’Yves Bonnet, ancien patron du contre-espionnage français, démonte pièce par pièce cette tragédie pour montrer que les hypothèses émises étaient fantaisistes. Loin d’être un ouvrage ordinaire, riche en informations précises émanant des rapports de renseignements, dont certaines publiées par les médias, Yves Bonnet a mené sa propre enquête, sur la base de la masse d’informations dont il dispose, en retournant sur des lieux où (il) ne trouve que désillusion et amertume, après tant d’années de désinformation, de rumeurs et, en fin de compte des coups sournois et stupides portés à l’amitié algéro-française.
Sa mission était de dire l’honneur, celui de témoigner, de prouver, de chasser le mensonge et dénoncer les faussaires, revenant sur le contexte de l’assassinat des moines en 1996 à Tibhirine (Médéa) par le groupe islamique armé (GIA) pour produire un document irréfutable. Dans la gestion du côté français de l’après-drame et de la crise qui s’ensuivit, l’auteur rapporte les propos de Philippe Seguin, ancien président de l’Assemblée française, qui lui disait que «toute l’administration du Quai d’Orsay, où agit un puissant lobby anti-algérien, continue de traiter ces affaires avec un mélange de désinvolture et d’aveuglement, peut-être influencé par la remontée d’informations non seulement orientées, mais de surcroît mal orientées».
«Près de vingt ans après le drame, l’Algérie ne comprend pas l’acharnement médiatique et judiciaire dont elle fait l’objet en France», écrit Yves Bonnet qui charge, dans son livre (VA Editions, 284 pages, avril 2017) qu’il a voulu «honnête et complet», certains médias français, le juge Marc Trévidic et l’attaché militaire le général Buchwalter qui se sont mis, dit-il, en porte-à-faux en voulant semer le doute sur l’armée algérienne.
«Il est évident que l’armée, la police, les services de sécurité algériens ne pouvaient commettre un pareil forfait ni, moins encore, agir aussi stupidement», a-t-il affirmé, s’interrogeant: «A qui fera-t-on croire que des militaires commettant une bavure aussi grave seraient assez pervers et idiots pour trancher les têtes de leurs victimes et prendre le risque insensé de les livrer au public?» Se basant sur des informations vérifiées, des recoupements et des analyses d’anciens collaborateurs, experts et religieux, l’auteur parle de l’inutile polémique lancée par le général Buchwalter qui a voulu apporter, dix ans après le drame, une nouvelle version (supputations) en évoquant une soi-disant bavure de l’armée algérienne.
Quant au juge Trévidic, il lui reproche le fait de tomber dans le piège de la médiatisation pour un dossier qui n’a nullement besoin de publicité, relevant chez lui un seul son de cloche. «La saisine de la justice française que l’Algérie n’a jamais mise en cause, aurait pu poser un problème de compétence: nous avons vu plus haut que celle de la justice algérienne a été purement et simplement éludée, comme s’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un pays de droit», a-t-il écrit, recommandant que «si l’on veut bien considérer que l’entente et même l’amitié avec l’Algérie nous sont absolument indispensables, comme elles le furent pour l’Algérie voici vingt ans, il est sage de s’en tenir à l’état actuel du dossier». En ce qui concerne la partialité des médias dans cette affaire, il considère que ces derniers «ne prétendent plus à l’expression d’opinions mais aspirent au profit pécuniaire».