Les représentants des divers segments de la nébuleuse islamiste s’émeuvent. Pour eux, “l’opération Aghribs” doit réussir. Tout l’avenir de leur nouvelle stratégie de pénétration en Kabylie en dépend.
Sur le terrain, à Aghribs même, l’affaire dite de la mosquée est entendue : il n’y aura pas de second lieu de culte à proximité de l’ancien qui vient tout juste d’être rénové grâce aux seuls dons mobilisés par les habitants du village.
Ailleurs, dans certaines rédactions et autres QG de partis islamistes, l’agitation est à son comble : une lettre du MSP au chef de l’État lui demandant d’intervenir, un député s’inquiétant de “la sécurité des musulmans en Kabylie”, et pour boucler la boucle, des réactions effarouchées se faisant entendre à l’étranger, c’est bien la preuve que derrière le projet de construction d’une nouvelle mosquée à Aghribs, se cache ce dessein cher aux tenants du salafisme : prendre pied en Kabylie.
De leur côté, les autorités, sans doute instruites des dessous scabreux de ce dossier et surtout des conséquences périlleuses qui pourraient découler d’une immixtion autoritaire des pouvoirs publics, refusent de s’impliquer dans un tel dossier.
C’est ainsi que le directeur des affaires religieuses de la wilaya de Tizi Ouzou, interrogé par un quotidien arabophone, a dit ne rien ignorer “des détails de cette affaire”, qu’il n’est nul besoin d’une commission d’enquête et que toute “intervention extérieure” n’est pas souhaitable, les habitants du village étant, selon lui, les mieux placés pour trouver une solution au litige.
Les représentants des divers segments de la nébuleuse islamiste ne l’entendent pas de cette oreille. Des députés qui ont refusé un débat parlementaire sur la corruption, qui ne se sont jamais rendus dans les contrées secouées par les émeutes où règnent l’injustice sociale, le favoritisme et la répression, des députés dont certains ont séjourné dans les camps du Sud pour avoir pris part à la violente insurrection du FIS en 1991/1992, envisagent d’organiser une caravane vers Aghribs.
Des députés dont les partis n’ont soufflé mot en 2001/2002 lorsque la Kabylie entière brûlait et comptait ses morts au quotidien, des députés et des partis politiques parfaitement indifférents à la situation sécuritaire qui se détériore de jour en jour dans la région et consentant par le silence à la délocalisation de projets économiques vers d’autres wilayas, s’émeuvent de ce que 17 personnes n’aient pas pu imposer leur diktat à un village de 3 500 habitants soutenus par ceux d’une cinquantaine de douars environnants.
Au même moment, un certain cheikh Chems Eddine, sorti on ne sait d’où, mais avec barbe et qamis réglementaires, est mis en vedette par un journal arabophone. Son mérite ? Il se limite à cette question : “Pourquoi pas une seconde mosquée à Aghribs ?” Signe révélateur, la chaîne Al-Jazeera, qui ne cache même pas sa sympathie pour Al-Qaïda, est invitée à assumer sa part de la sale besogne.
Elle s’y est mise, mobilisant tout son “savoir-faire” : elle a tendu le micro à la partie minoritaire, les défenseurs du projet de construction d’une seconde mosquée, et a ignoré ceux qui s’y opposent et qui représentent la majorité écrasante de la population locale. Les autorités locales elles-mêmes, à commencer par le président de l’APC, n’ont pas eu droit au chapitre. Tout l’arsenal politique et médiatique islamiste est donc mis à contribution. À tel point qu’il faut craindre que le bras armé de la nébuleuse se mette de la partie.
Pour l’heure, Aghribs n’a pas encore fait l’objet de représailles terroristes, le dernier attentat sanglant à y être perpétré remontant à février 1995. Mais le danger est bien réel, les appels au meurtre à peine déguisés, étant désormais lancés à la une de journaux et sur des sites Internet. Il faut savoir que la Kabylie subit depuis quelques années les effets d’une nouvelle stratégie islamiste.
L’affaire d’Aghribs n’est pas un cas isolé. Si ce village est prioritairement ciblé, c’est bien parce que le président du RCD, Saïd Sadi, en est originaire. Toute une symbolique. Mais dans de nombreux autres villages des wilayas de Tizi Ouzou, de Béjaïa, de Boumerdès ou de Bouira, des groupes d’activistes travaillent méthodiquement et sans relâche.
Le but de l’opération “Aghribs” est de faire savoir à tous ces groupuscules qu’ils ne sont pas seuls. Pour eux, les anciennes mosquées et les styles architecturaux locaux doivent disparaître et, avec eux, l’islam de nos anciens, afin de leur substituer de nouveaux édifices aux normes du Moyen-Orient et l’islam rigoriste prêché par les salafistes.
Mais on aurait tort de croire
que le salafisme ne cible que la Kabylie. Des faits similaires à ceux d’Aghribs sont notamment signalés dans les Aurès, près de M’chounech, mais aussi dans d’autres régions
du pays.
C’est le signe que c’est toute l’Algérie qui est visée par la nouvelle stratégie de l’islamisme international, la Kabylie étant un bastion à conquérir en priorité, afin d’affaiblir le potentiel qu’elle représente dans le combat pour la démocratie