Ils sont en grève de la faim et ce jusqu’à la tenue d’un procès équitable. Pourtant, un procès il y en a eu un mais « entaché d’irrégularités tant sur la forme que sur le fond », déclarait ce matin au palais de justice Abane Ramdane Me Belarif lors d’une conférence de presse. C’est qui a poussé les trois condamnés Sator Toufik, Antri Bouzar et Djeider Zerrouk à entamer dès ce jour une grève de la faim.
« Nous avons tout fait pour les en dissuader. Ce n’est pas bon pour eux et ils se mettent en danger. Mais voyez-vous, aujourd’hui, face à une justice inique et orientée, c’est tout ce qu’ils ont trouvé pour se faire entendre », indiquait un autre avocat.
L’affaire ABM/DGSN qui s’est révélée dès l’assassinat du DGSN Ali Tounsi, tué le 25 février 2010, s’est conclue par des condamnations pour faux, usage de faux, fausse déclaration, négligence grave et non dénonciation d’infractions.
Vingt-cinq personnes, dont dix-neuf fonctionnaires de police, ont été condamnées le 9 novembre dernier à des peines de prison ferme allant de 3 à 7 ans. L’ex-chef de l’unité aérienne de la direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), Chouaib Oultache, a écopé d’une peine de 7 ans de prison.
Une affaire de crime d’argent
Selon les avocats de la défense « on veut donner de la consistance à une affaire d’homicide en mettant en toile de fond une affaire de crime d’argent ». Et l’argument est tout trouvé : Sator Toufik, directeur général adjoint d’ABM n’est autre que le gendre de Oultache Chouaib, meurtrier présumé du DGSN Tounsi. Juridiquement, l’affaire ne devait même pas passer devant la Cour ce 12 octobre dernier.
Pour différents vices de forme. Me Belarif va même plus loin puisqu’il avance que « des pièces essentielles de la procédure ont disparu, parce qu’elles constituent des preuves irréfragables de la régularité des marchés incriminés et donc de l’innocence de l’ensemble des personnes condamnées ».
Des rapports passés sous silence
Il s’agit du rapport de l’inspection générale de la sûreté nationale établi et remis au DGSN qui conclut à la parfaite régularité du marché conclu entre ABM et la DGSN. « Ce rapport n’a pas été transmis au procureur de la République en violation de l’article 18 du code de procédure pénale », indique Me Belarif.
Un autre rapport établi celui-là par le laboratoire de la police scientifique et qui fait une analyse comparative des onduleurs proposés par la société ABM et ceux proposés par un concurrent n’a pas non plus été transmis au procureur de la République et a d’ailleurs disparu du dossier de l’instruction remis à la défense.
Pour toutes ces raisons (et pour d’autres encore) « une plainte pénale contre X pour soustraction frauduleuse de pièces de procédures remises à un dépositaire public et pour recel contre le magistrat chargé du dossier a été déposé le 17 octobre dernier. De même, une requête en récusation du juge chargé du dossier a été déposée auprès du président de la Cour d’Alger le même jour », explique l’avocat de la défense. Aujourd’hui, il n’y a aucun écho.
On piétine le décret présidentiel
Sur le fond, l’affaire est entachée d’irrégularité grave, toujours selon l’avocat, dans la mesure où le magistrat en charge du dossier n’a pas appliqué la loi, ne l’a même pas interprété (ce qui pourrait être source de jurisprudence) mais a « carrément ignoré les textes au profit des usages ».
En effet, selon le décret présidentiel portant réglementation des marchés publics, rien n’interdit de retenir l’offre unique qui a été présentée. Ce qui fut le cas en l’espèce puisque seul ABM avait soumissionné et avait été retenu.
Cependant, le magistrat en charge de l’affaire avance que l’offre aurait du être rejetée et l’appel d’offre déclaré infructueux tel que le veut l’usage.
Me Belarif soutient qu’aucune juridiction digne de ce nom ne peut, conformément à la hiérarchie des normes, motiver une décision sur la base d’un usage quand la loi, elle, dit le contraire. L’ensemble des avocats de la défense entendent user de toutes les voies de recours aux fins de faire appliquer la justice.
« Lorsque la justice renie la loi, le citoyen est en danger face aux institutions judiciaires, au pouvoir et à l’arbitraire », s’indigne Me Belarif.