En fonction depuis plus d’une année en Algérie, l’ambassadeur de Turquie, Adnan Keçeci, a tenu à souligner que la signature d’un accord de libre-échange pourra donner un nouvel élan aux relations économiques entre les deux pays. Il a estimé dans cet entretien, paru dans les colonnes de L’Éco (n°86 / du 15 au 31 mars) que l’Algérie, qui reste prudente sur cette question, est le seul pays dans le bassin méditerranéen avec lequel nous n’avons pas encore établi cet accord.
L’Eco : Lors de sa visite en juin dernier en Algérie, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, a insisté notamment sur l’aspect économique. Concrètement, qu’est-ce qui a été fait jusqu’à présent ?
Adnan Keçeci : La Turquie, en rapport avec notre histoire commune, s’est engagée beaucoup plus avec les pays de la méditerranée, dont l’Algérie. C’est depuis les quinze dernières années seulement que la Turquie a pensé à l’ouverture vers les pays africains. Nous considérons que l’Algérie, membre de l’Union Africaine, a le potentiel de devenir une porte d’ouverture vers le continent africain. C’est dans notre intérêt commun de développer les relations économiques avec l’Algérie, pays ami et frère, qui est une priorité pour la Turquie. Notre volonté est de renforcer les relations ‘’gagnant-gagnant’’ avec l’Algérie. Les relations économiques entre les deux pays sont d’une grande importance. Tout d’abord, nous voulons augmenter le volume du commerce entre les deux pays. Nous sommes à plus de 5 milliards de dollars d’échanges commerciaux.
Nous vendons des matériaux et des produits finis, comme les matériaux de construction, les équipements de voitures et le textile et quelques produits de pétrochimie. Par contre nous importons de l’Algérie pour une valeur d’environ 3 milliards de dollars, des hydrocarbures notamment du gaz liquéfié. Ce qui représente plus de 90% de nos importations. Afin de répondre aux besoins de la Turquie en gaz qui ont augmenté ces dernières années et sont appelés à quadrupler dans les prochaines années, nous avons renouvelé récemment le contrat d’achat de gaz, datant de 1995, pour 10 ans.
Il s’agit d’un accord de vente et d’achat de gaz portant sur un volume de 4 milliards de mètres. Concernant les vols aériens entre les deux pays, nous avons récemment conclu l’accord en vue de l’augmentation du nombre des vols réciproques. Nous sommes aujourd’hui à 28 vols réguliers par semaine. Nous avons de plus augmenté les vols cargos. Plus de 120.000 Algériens ont visité la Turquie l’an dernier et plus de 10.000 Turcs sont venus en Algérie. Nous sommes également en train de faire le maximum pour faciliter l’obtention de visas aux Algériens.
Quels sont, selon vous, les obstacles qui s’opposent au développement des relations commerciales entre les deux pays ?
Les systèmes économiques des deux pays sont différents. L’économie turque est prédominée par le secteur privé qui est le moteur de la croissance de notre pays. Une volonté mutuelle existe pour le développement de nos relations économiques. Cette volonté de coopération et de développement a été évoquée par les deux parties lors de la dernière visite, en juin 2013, du Premier Ministre Turc Recep Tayyip Erdoğan en Algérie. D’autre part, lors de cette visite, nous avons réitéré notre proposition de conclure un accord de libre échange avec l’Algérie. Nous pensons que cela permettra de donner un nouvel élan à nos relations. C’est vrai que les deux côtés ont de bonnes intentions et une bonne volonté. L’Algérie a déjà signé le même genre d’accord avec l’Union Européenne. Et d’après les observateurs, cet accord a eu un effet négatif sur l’économie notamment sur l’industrie locale.
Nous pensons que l’Algérie préfère être plus prudente sur cette question. La Turquie a signé avec plus de 50 pays le même type d’accord. L’Algérie est le seul pays dans le bassin méditerranéen avec lequel nous n’avons pas encore établi cet accord. Nous sommes dans une position désavantageuse puisque les produits européens sont livrés très facilement avec moins de taxes par rapport à nos produits. Cela pose certaines difficultés aux deux côtés. Pour la partie algérienne, il est évident qu’avec un tel accord les produits algériens peuvent également être exportés vers la Turquie avec zéro taxe.
Qu’en est-il des investissements turcs en Algérie ?
Les entreprises turques travaillent en Algérie sur le principe d’une coopération ‘’gagnant-gagnant’’. Nous avons environ 160 compagnies installées depuis plusieurs années sur le marché algérien. Parmi ces compagnies, douze sont de taille internationale.
Les entreprises turques essayent de participer au développement de l’Algérie. La plupart d’entres elles travaillent dans le secteur de la construction. Ces compagnies sont engagées dans la réalisation de différents projets de grande importance pour l’Algérie. Ces projets sont évalués à 7 milliards de dollars. Par exemple, ces sociétés, qui ont gagné la confiance des pouvoirs algériens, réalisent près de 50.000 logements à travers le territoire national. L’Algérie a un grand avenir et une grande stabilité qui va certainement attirer plus d’investissements turcs. Comme vous le savez, nous avons, avec un investissement de près d’un milliard de dollars, réalisé à Oran et en partenariat avec l’Algérie, une grande usine sidérurgique. La production de ce complexe est destinée au secteur du bâtiment. Elle couvre un quart de la demande du secteur dans le pays. D’après les experts du marché, c’est un bon investissement qui fait gagner beaucoup à l’Algérie. Nous avons aussi des investissements dans le secteur du textile. Les accords de partenariat ont été conclus. Il s’agit du lancement de deux unités industrielles, l’une à Béjaia, de production des vêtements de ville et vêtements techniques, et l’autre à Relizane de produits et articles de bonneterie. C’est un projet très important qui va produire des articles « Made in Algeria », destinés au marché local en vue de substituer les importations mais aussi à l’exportation, point essentiel de nos investissements en Algérie. Via ces complexes, la partie algérienne prévoit de couvrir 30% des besoins du marché en textile comme première phase. Elle prévoit aussi d’exporter notamment vers l’Afrique et l’Europe. Probablement les premiers articles issus des deux complexes seront mis sur le marché durant cette année.
Il y a aussi la présence de la société Hayat spécialisée dans les produits d’hygiène corporelle et les détergents. Hayat DHC a été créée en Algérie en 2005, avec un investissement de 40 milliards de dollars. Cette somme a été consacrée à la construction de deux usines de détergents et de produits d’hygiène corporelle. C’est un bon exemple d’investissement turc en Algérie. Il est à noter que le montant des investissements turcs actuels et en cours est estimé à 3 milliards de dollars.
Que pensent les sociétés turques de la loi 51/49 sur l’investissement ?
Chaque pays a ses propres codes et règles qu’il faut respecter. Si l’Algérie maintient toujours cette décision, c’est qu’il y a une logique. Personne ne peut donner des leçons à l’Algérie pour protéger son économie. Les sociétés turques trouvent généralement des formules qui arrangent les deux parties. Ce qui n’empêche pas de venir travailler ici. Tout dépend de la confiance entre les partenaires des deux pays. Nous avons une volonté très puissante de chaque côté de travailler ensemble au niveau politique, économique et même culturel.
Que prévoit l’agenda de l’ambassade turque en Algérie pour 2014 ?
La Turquie, et bien entendu l’ambassade, œuvrera en 2014 et dans les années à venir à développer davantage ses relations économiques, politiques et culturelles. Il faudrait garder en mémoire qu’en tant qu’Etat, nous avons une histoire commune ancienne de 500 ans. Nous devrons par conséquence travailler pour remettre en valeur ce lien historique et culturel qui est également une porte pour le développement politique et économique entre nos deux pays respectifs. Notre volonté est de développer nos relations économiques, toujours dans l’idée d’une relation de coopération, passant par les échanges commerciaux mais aussi et surtout par les investissements avec transfert de technologie. Nous sommes prêts à partager avec nos amis et frères algériens notre savoir-faire pour contribuer à la volonté de développement des autorités et peuple algériens.
Nassima Benarab