Adidas fête son 60e anniversaire

Adidas fête son 60e anniversaire

La marque aux trois bandes célèbre son 60e anniversaire. Si ses basiques de légendes font toujours recette, Adidas revendique sa créativité avec ses lignes de streewear.

Il est une histoire qu’il faut entendre de la bouche d’un Allemand. Udo Müller est formateur au siège social de Herzogenaurach, près de Nuremberg. Dans le Walk of Fame, sorte de parcours dédié aux grandes heures de la marque, il observe une pause particulière devant une chaussure de football au cuir râpé, mise en scène dans une vitrine tel un joyau de la Couronne. 1954, ­Berne. L’équipe nationale est en finale de la Coupe du monde, face à la Hongrie et ses « Magiques Magyars ». Mais la pluie s’abat sur la partie, et l’Allemagne patine. C’est alors qu’Adi Dassler, le fondateur d’ Adidas, depuis le banc de touche, va entrer dans la légende. À la mi-temps, il brandit sa dernière invention, des crampons ajustables, adaptés aux conditions du terrain. La victoire qui s’ensuit, le « Miracle de ­Berne », et ce trophée présenté à la face du monde s’inscrivent dans la mémoire collective allemande comme une bouffée d’espoir, un pas vers la cicatrisation des plaies de la guerre.

« Sa philosophie, c’était : écouter, modifier, améliorer sans fin », résume Udo Müller. « Il était capable de répandre du liquide vaisselle sur le sol de sa villa pour tester l’adhérence d’une semelle !  » Sa fabrique voit le jour en 1920, dans un modeste local – l’ancienne blanchisserie familiale. Très vite, son histoire se confond avec les plus grands événements sportifs du siècle. Dans l’intimité des champions, courant les stades, les gymnases et les terrains, il façonne les chaussures qui gagnent : celles des athlètes Jesse Owens aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 et d’Emil Zatopek à Helsinki en 1952, du boxeur Muhammad Ali, du footballeur Franz Beckenbauer… À sa disparition, en 1978, dix-sept usines implantées de par le monde produisent 180 000 paires de chaussures par jour.

En 2009, la ligne Performance, dédiée au sport, réalise encore 80 % du chiffre d’affaires. Mais pour le public jeune – autant dire le cœur de cible -, Adidas, c’est surtout trois bandes qui signent le bon look. Consciente de son potentiel, la marque développe depuis plusieurs années toute une batterie de gammes et de partenariats, clairement orientés vers le streetwear, de nature à grignoter quelques parts de marché. Adidas Brand Center, le méga­store de plus de 3000 m² installé sur les Champs-Élysées depuis 2006 et réaménagé à l’automne dernier, en donne un aperçu global.

Un vivier de modèles cultes

Au rez-de-chaussée, on circule parmi les polos de rugby et autres tenues de fitness. Mais c’est au premier étage que l’on remplit son panier des pièces maîtresses de la saison : jogging à paillettes et baskets ailées Jeremy Scott (O by O), minirobe Stella McCartney aussi sexy sur un court de tennis que sur un dancefloor, basiques de luxe en noir et blanc signés Yohji Yamamoto (Y-3), ou tee-shirt Zero Waste, éthiquement conçu d’une seule pièce pour économiser la ma­tière, dans la toute nouvelle gamme SLVR (prononcer « silver »). La ligne phare, Originals, avec son logo vintage en forme de trèfle, est à elle seule un vivier de modèles cultes. C’est ici que l’on trouve les basiques historiques de ses jeunes années (baskets Americana, survêtement vert pomme), et ­toute une collection d’essentiels, revisités dans un esprit old ­school : cardigan preppy d’inspiration eighties, veste zippée Vespa ou baskets Top Ten, rééditées tout en finesse pour les filles.

Son immense popularité, ­Adidas la doit, pour beaucoup, à la branche française du groupe, qui était dirigée par Horst Dassler depuis l’Alsace. Car si Adolf, l’homme aux sept cents brevets, avait la passion des innovations techniques, son remuant fiston avait la bosse des affaires et du marketing. Précurseur, il écume les villages olympiques dès les années 1960 pour promouvoir ses chaussures et développe abondamment le textile afin d’accroître la visibilité de sa marque lors de manifestations sportives qui commencent à rassembler la planète au complet devant les écrans de télévision. À l’écoute du marché, il impose en 1969 la Superstar sur les terrains de basket et évince la traditionnelle Converse.

En deux décennies de publicité offensive, relayée par les dieux du stade et du ballon, Horst Dassler installe sa marque au rang d’icône pour toute une génération. Disparu brutalement en 1987, il ne verra pas les 600 000 maillots des Bleus inonder les banlieues populaires lors de la Coupe du monde de football en 1998, ni le portrait géant de Zidane sur les murs de Marseille. Mais cet acteur fondamental de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « sport business » aurait apprécié le spectacle, assurément. Bien avant ses concurrents Nike et Reebok (aujourd’hui dans le giron du groupe), il avait compris que la frontière entre le sport et le style ne demandait qu’à tomber.

Connecté à la rue

Dans les allées du World of Sports, le siège bavarois d’Adidas aux allures de campus, le message est passé : tout le monde (ou presque) circule en baskets. La moyenne d’âge, sur le site, est de 31 ans. Ben Pruess, le vice-président de la ligne Originals, ne fait pas exception. Le jeune Américain affiche une attitude cool d’ancien skater et revendique une totale connexion avec la mode de la rue. Car, si l’on peut offrir des contrats en or à des champions, rien ne remplace l’engouement spontané des faiseurs de tendances. Ainsi les rappeurs de Run DMC et leur tube My Adidas en 1986 ou les apparitions de Madonna, en survêtement et Gazelle aux pieds, au milieu des années 1990, ont-ils œuvré à la légende de la marque, autant que Steffi Graff ou David Beckham.

« Adidas porte dans ses gènes une dimension sportswear », analyse Ben Pruess. « Dès les années 1960, les trois bandes se sont échappées des stades pour intégrer l’uniforme des jeunes. Mais Originals ne se contente pas de rééditer des articles vintage. Nous nous inspirons du passé pour proposer des produits nouveaux et justes dans leur époque. Ici, on travaille avec des gens de toutes les nationalités qui apportent chacun une vision différente. Nous avons en plus un bureau de style à Portland (États-Unis) et un autre au Japon. Il faut être partout à la fois, pour capter l’air du temps. »

Pour nourrir leur inspiration, les designers du département style ont aussi à leur disposition un formidable stock d’archives, chaussures, textiles et catalogues, le tout entreposé par discipline et par décennie. De quoi rendre fou un collectionneur…

Star des célébrations du 60e anniversaire, la Stan Smith illustre à merveille la passerelle qui a toujours existé entre des produits à l’origine techniques et la rue. Créée en 1964 pour le tennisman français Robert Haillet, elle prend finalement le nom du champion américain en 1971. « C’était la première chaussure de tennis en cuir », se souvient Stan Smith.

« Le maintien était incomparable avec les modèles en toile. Très vite, on l’a vue sur les campus, en boîte de nuit, mais aussi aux pieds d’un public plus traditionnel. Je suis allé à un gala professionnel récemment, cinq personnes en portaient avec leur smoking. Je pense que son extrême simplicité a fait son succès. » La chaussure de sport la plus vendue au monde (40 millions de paires) a son chapitre dans le livre Guiness des records.