Dans cet entretien réalisé la veille du dépôt de la demande d’adhésion de la Palestine à l’Onu, son ambassadeur à Alger a tenu à souligner que quel que soit le sort réservé par l’instance onusienne à la requête du président Abbas, celle-ci est déjà une grande victoire diplomatique. « La 66e session de l’AG de l’Onu est focalisée sur le dossier palestinien », a-t-il rappelé.
El Moudjahid : Peut-on dire que la démarche initiée par le président de l’Autorité palestinienne est un évènement historique dans le parcours de la lutte du peuple palestinien ?
« Effectivement, la décision est historique. Et si elle aboutit, elle constituera une grande réalisation sur la voie de l’indépendance et de l’édification d’un Etat palestinien.
Nous sommes partis à l’Onu après une longue expérience avec Israël dans le cadre des négociations qui ont eu lieu sous les auspices des Etats-Unis. Les Américains ont été incapables de faire geler la colonisation ne serait-ce que pour une courte durée. Si les négociations sont bloquées, c’est en raison de l’entêtement israélien et de l’incapacité de Washington, en tant qu’intermédiaire, à les faire aboutir.»

Comment expliquez-vous la position des Etats-Unis, qui depuis l’élection de M. Barack Obama, avaient donné l’impression d’un repositionnement de leur politique au Proche-Orient et notamment sur la question palestinienne ?
« C’est clair qu’il y a une contradiction entre le discours et les actes de Washington. A titre d’exemple, au début de son mandat, M. Obama disait que la colonisation constitue un obstacle sur la voie de la paix. Mais aujourd’hui, il dit que la colonisation n’est pas un obstacle sur le chemin de la paix et des négociations. C’est clair aussi que des pressions ont été exercées pour que l’administration américaine, sous la présidence d’Obama, change de position. Pour notre part, ce que nous pouvons dire c’est que le peuple palestinien tend sa main à tous les peuples du monde afin d’établir une relation basée sur le respect mutuel. Nous demandons à l’administration américaine de jouer son rôle d’intermédiaire et d’afficher sa neutralité. Et si les Etats-Unis affirment soutenir tous les peuples qui aspirent à l’indépendance, à l’autodétermination et à la démocratie nous leur demandons de prendre, à l’égard de la cause palestinienne, la même position et la même détermination. »
Il y a une forte éventualité pour que la démarche n’aboutisse pas. Les USA ont averti qu’ils utiliseront leur veto pour faire rejeter la demande palestinienne. Dès lors, comment envisagez-vous la poursuite des négociations sachant aussi que les Israéliens ont proféré des menaces à l’encontre des Palestiniens ?
« Comme tout peuple qui réclame sa liberté, nous sommes prêts à faire face aux défis. Je vous rappelle que nous sommes passés par des périodes beaucoup plus difficile que celle que nous vivons actuellement. Pour nous, le plus important est que le peuple palestinien ne plie sous aucune pression qui porterait préjudice à ses intérêts supérieurs et à ses droits légitimes. »
Au plan interne, le rejet par l’Onu de la demande déposée par M. Abbas, ne risque-t-il pas de donner des arguments aux factions palestiniennes, à l’image de Hamas qui était contre l’initiative du président Abbas ?
« Les factions palestiniennes vivent en harmonie. Nous avons signé la réconciliation et nous aspirons tous à sa mise en œuvre sur le terrain, car au fond nous avons le même objectif. Hamas et les autres factions ne sont pas contre le fait que la Palestine soit membre de l’Onu. C’est juste qu’il y a des divergences de point de vue sur certains petits détails que tout un chacun est libre d’exprimer en toute démocratie. Mais sur l’essentiel nous sommes d’accord. La demande d’adhésion est une requête palestinienne partagée par tous. Les Palestiniens, depuis un moment, ne prennent plus seuls les décisions importantes. Nous nous concertons préalablement avec nos frères arabes. C’est pour dire que ce à quoi nous aspirons et que le président Abbas s’est chargé de le dire en allant à New York. Ce n’est pas une requête palestinienne ou une requête de Abbas, c’est une requête arabe. Aujourd’hui celui qui est dans une mauvaise posture c’est Israël. Ceux qui sont aussi gênés sont les USA, qui se prétendent démocrates et qui prétendent soutenir les droits des peuples à la liberté. Les USA doivent être en conformité avec ce qu’ils disent. »
Pensez-vous que la demande d’adhésion est une sorte de mise à nu de tous ceux qui affichaient publiquement un certain soutien aux Palestiniens ?
« Lorsque je dis que les Américains doivent être en conformité avec leurs positions, c’est parce qu’il n’est pas permis de dire que tel peuple ou tel pays a le droit à la liberté et le droit de décider de son sort et lorsqu’il s’agit des Palestiniens on leur nie ce droit. Ce sont des droits légitimes. C’est pourquoi nous espérons que les USA changeront leur politique de partialité et qu’ils adopteront une position juste. On ne revendique pas quelque chose d’exceptionnel. On revendique juste ce que tous les pays ont, c’est-à-dire avoir notre Etat sur notre territoire, avoir une souveraineté palestinienne et que nous puissions vivre en liberté et en toute dignité. »
Ne pensez-vous pas que l’explication au refus américain et israélien est à chercher dans leurs craintes des retombées politiques qu’une telle action ne manquera pas d’avoir ?
« Des retombées politiques, c’est sûr qu’il y en aura, ne serait-ce que parce que la revendication palestinienne est aussi une requête internationale. Car toute requête dont l’examen est pris en charge par la communauté internationale ou par l’Onu devient une requête internationale de laquelle il en découlera forcément des responsabilités pour sa mise en œuvre. Et cela, de notre point de vue, est très important. »
Pourquoi l’option du dépôt de la requête devant le Conseil de sécurité et non pas devant l’Assemblée générale de l’ONU, sachant que les USA useront de leur droit de veto ?
« Trois raisons expliquent ce choix fait par la direction palestinienne. En premier, le principe de la demande d’adhésion, nous voulions l’inscrire comme un droit légitime du peuple palestinien, nonobstant les pressions exercées. Deuxièmement, en ce qui concerne la démarche, il faut savoir qu’il existe de part le monde de nombreux pays qui n’ont pas obtenu leur adhésion facilement ou dès la première fois. Ce à quoi, nous faisons face aujourd’hui a dû l’être par d’autres pays. Troisièmement, la demande d’adhésion en tant que membre à part entière, il faut qu’elle passe, selon les résolutions de l’Onu, par le Conseil de sécurité. Il y a des équipes juridiques et des experts en droit international et en politique internationale auxquelles nous avons demandé conseil. Il y a aussi une équipe au sein de la direction palestinienne qui travaille pour coordonner ce processus de demande d’adhésion. Aujourd’hui, la position palestinienne est d’aller vers le Conseil de sécurité. Si le Conseil de sécurité accepte la demande, elle sera transmise à l’Assemblée générale pour l’obtention d’un tiers des voix pour qu’elle soit acceptée définitivement. Mais si le Conseil de sécurité refuse, il doit aussi transmettre la demande à l’AG et justifier son refus. Donc vous voyez que quel que soit le sort réservé, la porte ne sera pas fermée en cas de refus du Conseil de sécurité. Et l’AG de l’Onu peut renvoyer la demande au Conseil de sécurité après avoirs émis des remarques ou des recommandations. Il y a une décision palestinienne et je peux vous assurer qu’elle n’a pas été prise à la légère. Elle n’a rien d’une aventure. Mais que nous l’obtenions ou pas l’adhésion, ce qui se passe sur la scène internationale, et le fait que le principal dossier de la 66e session de l’AG de l’Onu soit cette question, est pour nous un acquis. C’est une grande victoire diplomatique. »
Selon vous, déposer cette demande faite à l’Onu a donc remis la question palestinienne au devant de la scène médiatique et politique internationale ?
« C’est sûr. Plus personne ne parle d’autre chose que de cette question. La 66e session de l’AG de l’Onu, qui est le principal événement de l’organisation, est focalisée sur la demande d’adhésion de la Palestine. Les pays membres, les médias internationaux et tout le monde ne parle que de ça. C’est une victoire diplomatique incontestable. Inchallah la direction de l’Autorité palestinienne réussira à faire admettre la Palestine en tant qu’Etat membre de l’Onu. »
Qu’en est-il des menaces israéliennes ?
« On ne craint rien ni personne. Nous vivons l’occupation depuis 63 ans. Israël a perpétré contre nous les pires atrocités : des massacres, des destructions, des exactions, des expulsions, il a contraint à l’exil un grand nombre d’entre nous en faisant d’eux des réfugiés. Israël a commis d’innombrables crimes. Mais elle n’a pas réussi à casser la volonté du peuple palestinien. Et plus, ses agissements seront criminels plus la volonté des Palestiniens sera plus forte et leur détermination plus grande encore. »
Pensez-vous que cette démarche va bloquer définitivement le processus de négociations. Avez-vous une idée sur une date de reprise ?
« Ces négociations sont bloquées depuis plus d’une année. Nous les avons gelées car elles sont devenues inutiles, voire préjudiciables aux intérêts du peuple palestinien car dans le cadre des négociations Israël a construit le mur, édifié de nouvelles colonies, procédé à des expropriations. Israël détruit toute chance de parvenir à une solution politique. Elle se base sur le principe de la force. De notre côté nous sommes prêts pour de nouvelles négociations mais sur la base de principes clairs, d’un calendrier. »
Le monde arabe est en proie à des révolutions internes auxquelles on a donné le qualificatif de « printemps ». Ne risquent-elles pas d’avoir un impact négatif sur la cause palestinienne ?
« La force de la Palestine est puisée dans la force des Arabes. C’est pourquoi on souhaite aux pays arabes, la paix, la stabilité, la sécurité et la prospérité. Nous souhaitons des pays arabes forts. »
Entretien réalisé par Nadia Kerraz