Activité complémentaire et revalorisation salariale La circulaire qui fait scandale dans le secteur de la Santé

Activité complémentaire et revalorisation salariale La circulaire qui fait scandale dans le secteur de la Santé

cette circulaire introduit et légitime, en effet, la notion “d’activité lucrative” dans le secteur de la santé avec tout ce que cela implique comme conséquences et dérive

Les dispositions relatives à “l’exercice de l’activité complémentaire”, autorisée dans le secteur de la santé depuis plus d’une décennie, viennent de créer à nouveau une polémique depuis la signature d’une circulaire, en date du 14 avril dernier, par le précédent ministre de la Santé M. Barkat.

En effet, cette circulaire, qui n’a pas été évoquée publiquement, provoque l’ire d’un nombre important de médecins, de professeurs, de syndicalistes, de malades et de leurs familles, qui crient à la mise à mort de la santé publique et dénoncent du même coup une dérive grave du système de santé en des termes sans équivoque, à savoir “une marchandisation de la santé et des malades”.

Cette circulaire, dont ils réclament aujourd’hui l’annulation de la part du nouveau ministre, introduit et légitime la notion “d’activité lucrative” dans le secteur de la santé avec tout ce que cela implique comme conséquences et dérives.

S’appuyant sur les dispositions de l’article 44 du statut général de la Fonction publique, ladite circulaire prévoit désormais que “les praticiens hospitalo-universitaires, les praticiens spécialistes de santé publique, y compris ceux occupant les postes de chef de service et de chef d’unité, sont autorisés à exercer dans les structures privées une activité lucrative les week-ends et jours fériés”.

Plus loin, il est dit que “cette activité lucrative… ne devra pas se faire au détriment de la prise en charge des usagers du secteur public et porter préjudice à la continuité du service public”, en la soumettant à autorisation.

Une précision censée être un garde-fou contre tous les excès, abus et déviations dans la pratique d’une telle disposition, mais qui d’ores et déjà est caduque au vu des très nombreux et fâcheux précédents émaillant l’activité complémentaire de certains médecins et autres hospitalo-universitaires depuis plus de dix ans. Qui n’a pas à l’esprit, aujourd’hui, un témoignage émouvant et troublant des usagers de la santé victimes de ce système.

Pour preuve, l’ex-ministre Barkat avait dû signer, le 20 décembre 2009, une circulaire n° 003 interdisant aux chefs de services ou d’unités d’exercer une activité complémentaire moyennant une prime de compensation, suite “aux dysfonctionnements multiples au niveau des établissements de santé publique, aux excès et dépassements relevés dans la mise en œuvre de l’activité complémentaire”.

L’ancien directeur général du CHU d’Oran, le professeur Attar, a appris à ses dépens ce qu’il en coûte de sanctionner des médecins ayant totalement outrepassé les dispositions de l’activité complémentaire. Ce sera le début des hostilités à son encontre.

Détourner les revendications salariales des médecins

Le débat “intra-muros” sur les conséquences pour les malades et le système de santé de l’exercice de l’activité complémentaire a toujours donné lieu à un malaise profond lorsqu’il s’agit de l’aborder ouvertement et publiquement.

L’un de nos deux seuls intervenants à avoir accepté de s’exprimer ouvertement se trouve être un syndicaliste, M. Mechri, le représentant de la section syndicale du Snapap du CHU Oran : “Nous assistons à une très grave dérive dont les pouvoirs publics ne mesurent pas les effets. C’est une mise à mort de la santé publique. Cette activité lucrative va vider tous les services.

Comment ces services vont-ils être gérés ? Comment prendre en charge les malades quand vous voyez que les résidants, les médecins et tous ceux qui assurent l’essentiel des soins sont dans les cliniques privées parce qu’il n’y aura aucun contrôle quant à leur présence ou pas dans les services ? Il ne faut pas se leurrer…

Mais ce qui est le plus grave, fondamentalement, c’est que cette circulaire a été faite tout simplement pour ne pas répondre positivement aux revendications salariales des praticiens de santé publique et les praticiens spécialistes. On leur dit bon, on ne vous augmente pas mais, voilà, allez dans le privé exercer votre activité lucrative pour compenser, seule la population démunie va en payer les conséquences.”

En effet, aujourd’hui, ce qui est pressenti, pour ne pas dire assuré, c’est l’accélération de la dégradation de la prise en charge de la population et de la qualité des soins au niveau des structures publiques de santé.

Cette vision est entièrement partagée par deux professeurs, chefs de service du CHU d’Oran, membres du conseil scientifique ayant requis l’anonymat.

En effet, ces deux professeurs, qui ont 30 ans de carrière derrière eux, se sont toujours opposés à l’activité complémentaire.

Et de s’expliquer : “Si l’État veut plus de justice sociale, il faut niveler vers le haut et non vers le bas. Aujourd’hui, un chef de service en Algérie dans un CHU avec plus de 20 ans de carrière touche l’équivalent de 1 000 euros soit 100 000 DA ! Comparé aux pays voisins, c’est tout simplement une humiliation, doublée d’une méconnaissance du statut et de la responsabilité de chef de service.

Là où il faut mettre aux normes les services, l’accueil, les équipements, la prise en charge des malades pour que le secteur public se trouve à niveau avec le privé, au contraire, on pousse les médecins à la clandestinité avec des circulaires catastrophiques. Il faut aller vers une revalorisation très conséquente des salaires et qu’ils correspondent au statut reconnu universellement.”

Pour l’autre chef de service, une solution avait été soumise à l’ancien ministre Yahia Guidoum en place de l’activité complémentaire : “Si dans l’impossibilité d’augmenter les salaires, l’on pouvait tout simplement permettre dans les services des structures de santé publique de donner un ou deux lits au privé, on peut ainsi évaluer cette activité, cela éviterait tous les détournements des malades, des consommables, etc. Le médecin reste sur place dans son service et tout le monde est gagnant. Mais là, on nous pousse à devenir des clandestins.

Le président du conseil scientifique du CHU d’Oran déclinera notre sollicitation arguant qu’en sa qualité il ne pouvait se prononcer car la question divise totalement les membres du conseil scientifique.

Par contre, le Dr S. E. Sidhoum, chirurgien orthopédiste à Alger, nous a livré son témoignage sans requérir l’anonymat sur ce sujet, se définissant également comme un militant des droits de l’homme : “L’activité complémentaire n’intéresse qu’une certaine minorité de praticiens hospitalo-universitaires.

Il s’agit de ceux qui veulent le beurre et l’argent du beurre. Je crois que notre corporation médicale est sérieusement malade, gangrenée par des pratiques malsaines au sommet de sa pyramide.

L’introduction hâtive et sans mûre réflexion préalable, il y a plus d’une décennie, de cette loi dite du temps complémentaire, pour pallier théoriquement la faible rémunération des praticiens hospitalo-universitaires et en l’absence d’une autorité efficiente sur le terrain, a engendré de très graves dérives.

J’ai été abasourdi en entendant un de mes patients me dire qu’il avait payé 70 000 DA un professeur d’un hôpital, dit universitaire, d’une wilaya limitrophe d’Alger, pour se faire placer une prothèse totale de hanche à l’hôpital !

Il est triste de voir des cancéreux à un stade avancé, détournés des hôpitaux pour se faire ‘opérer’ en privé moyennant des honoraires variant de 140 000 à 250 000 DA et pour quelques mois de survie. Tout le monde, dans certains services, connaît ces pratiques malhonnêtes, de la femme de salle à l’assistant.” Et de poursuivre plus loin : “Ces graves dérives parmi d’autres et la déliquescence du secteur public moribond sont le fruit d’une non-politique de la santé.

La pratique libérale de la médecine et plus particulièrement dans les spécialités chirurgicales doit être clairement codifiée. Pourquoi les autorités concernées refusent-elles à ce jour de créer une nomenclature des actes chirurgicaux, comme cela se passe dans tous les pays du monde ? Pourquoi les caisses de sécurité sociale ne remboursent-elles pas les actes opératoires pratiqués en privé ?”

C’est là encore une réflexion qui sera partagée par un patron d’une clinique privée qui souhaite ce choix politique en place de celle de l’activité complémentaire. Pour ceux qui exercent l’activité lucrative aucun ne voudra le reconnaître lorsque nous les avons sollicités.

Restent les malades qui traînent dans les services du CHU, ballottés d’un endroit à un autre comme de vulgaires paquets, attendant des médecins et ce droit à la santé et aux soins reconnus par la Constitution.

Djamila Loukil